ENCYCLOPEDIE -DE--LA--LANGUE -FRANÇAISE
     

    -ABEILLE
    ----
    -
    LES ABEILLES ET LES HOMMES
    ( XII )

    -croyances,
    savoirs
    et
    apiculture

    -
    MOYEN-ÂGE OCCIDENTAL ( 4 )
    et RENAISSANCE

    LES
    ENCYCLOPEDIES et TRAITÉS
    MEDIEVAUX

    LES BESTIAIRES

    L'espace legislatif

    les mentalites


    Bartholomaeus Anglicus (Barthélémy l'Anlais)
    Le Livre des propriétés des choses
    France ; Paris ?
    1447
    destinataire : Jean de Chalon
    traduction Jean Corbechon
    Bibliothèque Municipale d'Amiens, ms. 0399, f. 140v

     

    ISIDORE DE SEVILLE
     
    LE RENOUVEAU DE L'ENCYCLOPEDIE
     
    LES ENCYCLOPEDIES MEDIEVALES
     
    LES ABEILLES DANS LES ENCYCLOPEDIES ET TRAITÉS
    MÉDIÉVAUX
     
    LES ABEILLES DANS LES BESTIAIRES DU MOYEN-ÂGE
     
    L'ESPACE LÉGISLATIF
     
    LES MENTALITÉS
     


    ISIDORE DE SEVILLE
     

    Avec les Etymologies d'Isidore de Séville (Isidorus Hispalensis, vers 530 - 636), nous devrions quitter l'antiquité par une grande porte culturelle, puisque cette oeuvre est le premier travail encyclopédique du moyen-âge, mais nous n'obtiendrons rien d'autre qu'une succession de banalités ou de superstitions, repris dans la deuxième encyclopédie médiévale, celle de Raban Maur (Hrabanus Maurus, De Universo ou De rerum naturis, vers 842), qui reprend le travail d'Isidore dans le sens allégorique dont nous avons brossé la tendance. Tout d'abord, Isidore reprend le thème d'Aristée (Virgile, Les Géorgiques, livre IV, 281-314), qui renouvelle une colonie d'abeilles en laissant se putréfier la chair d'un veau (Étymologies, Livre 11, 4 : 3). Ensuite (12, 8 :1-3), il évoque l'étymologie du mot apis (abeille), proposant deux explications, soit parce que les abeilles se lient les unes aux autres avec leurs pieds (pes) ou parce qu'elles naissent sans pieds (apes). Il dit ensuite qu'elles dans des lieux fixes, produisent rapidement leur miel, construisent leurs maisons avec beaucoup d'habileté, recueillent le miel de fleurs diverses: A ce sujet, Isidore semble se démarquer de la croyance générale de l'origine divine du miel, mais ce n'est pas sûr. Aristote et ses successeurs se contredisent eux-mêmes à ce sujet. Isidore ajoute qu'elles tissent la cire pour remplir efficacement leur maison de leur progéniture. Elles ont des rois et des armées avec lesquelles elles font la guerre, fuient la fumée et sont irritées par le bruit. Des témoins, poursuit Isidore, confirment que des abeilles naissent de cadavres de boeufs, qui sont sortis sous forme de vers en battant la chair de veaux abattus, devenus ensuite des abeilles. Il est donc correct, affirme l'évêque de Séville, de dire que les abeilles sont nées de boeufs, comme les frelons viennent des chevaux, les faux-bourdons des mules et les guêpes des ânes. Les Grecs appellent les plus grandes abeilles trouvées au fond des ruches des "oestri", mais d'autres parlent de rois, car ils dressent le camp (castra). Le bourdon (fucus, faux-bourdon) est plus grand que les autres abeilles, termine notre encyclopédiste, et il est appelé ainsi parce qu'il mange la nourriture des autres, une nourriture qu'il n'a aucunement contribué à trouver.

    - http://bestiary.ca/beasts/beast260.htm (isidore de séville)


       Isidore de Séville "était encore au berceau lorsque sa soeur, Florentine vit un essaim d'abeilles entrer dans sa bouche puis en ressortir et filer vers le ciel. Elle eut alors connaissance qu'Isidore deviendrait un grand docteur de l'Église."

      "On rapporte que la nourrice d'Isidore l'ayant laissé seul un instant dans le jardin de son père, il fut environné d'un essaim d'abeilles, dont quelques-unes se posèrent sur son visage et sur ses lèvres sans lui faire aucun mal: présage des flots de persuasive éloquence qui devaient couler un jour de la bouche du grand Docteur."

      Légende basée sur la Vita Ambrosius de Paulin de Milan

      extraits de :
      http://carmina-carmina.com/carmina/Mytholocalendes/dictons%20de%20avril.htm
      http://www.magnificat.ca/cal/fran/04-04.htm


     
    Joris-Karl Huysmans (1848-1907), La cathédrale, 1898.

    "D'autre part, saint Isidore de Séville, Mgr sainct Ysidore, ainsi que l'appellent les naturalistes d'antan, incorpore Jésus dans l'agneau, à cause de son innocence; dans le bélier parce qu'il est le chef du troupeau, voire même dans le boue, en raison de la ressemblance que le Rédempteur consentit de la chair du péché.
    D'autres le portraitrisent dans le boeuf, la brebis, le veau, bêtes du sacrifice; d'autres dans les animaux, symboles des éléments, dans le lion, l'aigle, le dauphin, la salamandre, rois de la terre, de l'air, de l'océan et du feu; d'autres, tels que saint Méliton, l'évoquent dans le chevreau et le daim, le poursuivent jusque dans le chameau qui personnifie pourtant, d'après une version différente du même auteur, le désir du fla-fla, le goût de la vaine louange; d'autres encore le transfèrent dans le scarabée, comme saint Eucher; dans l'abeille, considérée cependant ainsi qu'un infâme pécheur, par Raban Maur; d'autres enfin spécifient, avec le phénix et le coq, sa résurrection, avec le rhinocéros et le buffle, sa colère et sa force.
    L'iconographie de la Vierge est moins dense. Sainte Marie peut être célébrée par toute créaLure chaste et bénigne. Dans ses Distinctions monastiques, l'anonyme anglais la nomme avec cette même abeille que nous venons de voir si maltraitée par l'archevêque de Mayence;"
     
    extrait de : http://www.huysmans.org/cath/cath7.htm


     
    LE RENOUVEAU DE L'ENCYCLOPEDIE

    Après Isidore, il faut attendre le XIIIe siècle pour voir apparaître de nouveau une nouvelle vague encyclopédique d'importance, mais c'est à partir du XIIe siècle que la culture occidentale prend un virage important. Ces deux siècles, en effet, se révèlent riches d'une révolution intellectuelle nourrie par la transmission de textes antiques par les Arabes, la fondation des universités, la découverte du papier, la redécouverte de l'écriture cursive, la diffusion plus large du livre dans les milieux scholastiques, le développement de l'indexation, de la mise en page, etc. dans les scriptoria, la construction des grandes cathédrales gothiques, qui sont autant de livres ouverts, la diffusion des nouveaux ordres monastiques, en particulier mendiants, au contact du monde extérieur.

    Cependant, la culture continue d'être élaborée et véhiculée par les maîtres à penser chrétiens, monastiques surtout, nous allons bientôt le voir. Ainsi, subordonnée à la connaissance des choses divines, ce savoir de type encyclopédique n'est ni recherchée pour lui-même, car sous-tendu par la question théologique, ni basé sur l'expérience, mais il est plutôt le fruit de compilations d'une pseudo-science antérieure. De plus, le développement de la prédication au XIIIe siècle réclame des livres à cet usage, ce à quoi serviront en partie les "encyclopédies"*, et autres ouvrages "exégétiques" de cette époque, comme les recueils de distinctiones, qui sont des dictionnaires d'interprétation spirituelle ou d'exempla*.

    * ENCYCLOPEDIES : les guillemets servent ici à rappeler que le concept d'encyclopédie et encore moins le mot n'existent pas à cette époque.
    * EXEMPLA : "Les recueils d'exempla. L'exemplum est un récit, une historiette ou une fable donné comme véridique et destiné à être inséré dans un discours, en général un sermon, pour convaincre un auditoire par une leçon salutaire qui a valeur d'exemple. Aux XIIe et XIIIe siècles, la forme et l'emploi d'exempla renouvellent la prédication envers les laïcs qui prennent une place plus importante dans la société. Ce sont surtout les dominicains qui diffusent les idéaux et les valeurs de l'Église en tenant compte de l'évolution de la société. Illustrés d'exempla, leurs sermons sont d'une grande efficacité. Les premières compilations d'exempla apparaissent vers 1250. Elles servent à la fois de catalogue pour les prédicateurs et de lecture pieuse pour le public lettré. Au XIVe siècle, les recueils d'exempla sont "moralisés" : une interprétation allégorique ou symbolique, dans un sens religieux conforme à l'enseignement traditionnel de l'Église, vient compléter l'histoire citée en exemple. C'est un tel recueil que Jacques de Cessoles a composé autour du jeu d'échecs."

    extrait de : http://classes.bnf.fr/echecs/histoire/exempla.htm

    Il y a l'exemple du moine Raoul Glaber (Glaber Rodulfus), dont il a été plusieurs fois questions dans cette encyclopédie, qui raconte* l'histoire d'un paysan hérétique, Leutard, qui s'était endormi dans son champ. Pendant ce temps, un essaim d'abeilles était entré à l'intérieur de son corps, l'avait piqué à l'intérieur puis était ressorti par sa bouche, avant de lui confier une mission. Visiblement, Raoul fait un emprunt ici à Grégoire de Tours mais troque les mouches (en général, symboles du mal) de Grégoire par des abeilles (en général, symboles du bien). Ailleurs, Raoul dit que "les abeilles sont des insectes nobles et utiles qui, selon la légende, seraient venus directement du Paradis". On retrouvera un peu plus tard, au tout début du XIIe s., les mêmes approches sur la question chez Landolf Senior (Landolfo, Landolfus, Landolphus, Landulfi Senioris : Historia Mediolanensis, Histoire de Milan)

    * dans Historiarum libri quinque ab anno incarnationis DCCCC usque ad annum MXLIV : Cinq livres d'histoires depuis l'an 900 après l'Incarnation jusqu'en l'an 1044, dont le titre abrégé est Historiae, Historiarum, Histoires.

    Moins connu que sa Légende Dorée, les Sermons de Jacques de Voragine citent souvent l'abeille de manière positive ou négative, selon l'usage de sa métaphore :

    "Les abeilles butinent les fleurs et délaissent le reste de la plante : il en est ainsi de l'homme qui doit garder la doctrine et laisser de côté la " conversatio ". Ce qui peut s'appliquer au prélat orgueilleux qui est comme une plante produisant une fleur quand il prononce la parole de Dieu."
    "Les adulateurs sont comme les abeilles qui portent du miel dans leur bouche, mais qui piquent avec leur postérieur."
    "De même que l'abeille pique, mais produit cependant du miel, les persécutions blessent la chair mais apportent la consolation spirituelle."
     
    "Moïse adoucit les eaux amères en y jetant du bois ; de la même manière, de l'eau de mer devient douce lorsqu'on la verse dans un vase en cire."


    Jacobus de Voragine (1275-1285), Sermones aurei, Quadragesimale
    parus dans éditions Clutius de 1760.
    extraits de : http://gahom.ehess.fr/thema/index.php?idindex=182&lg=fr
     

     
    Bartholomaeus Anglicus (Barthélémy l'Anlais)
    Le Livre des propriétés des choses
    traduction Jean Corbichon
    France, Paris, vers 1450-1475
    BNF Français 22532,folio : 327v : le miel
    328r : le tonneau (meloton ?) à hydromel
     

    LES ENCYCLOPEDIES MEDIEVALES

    Introduction

    Passons en revue les auteurs des plus grands travaux encyclopédiques de cette époque, qui appartiennent quasiment tous à l'univers monastique. Commençons par le XIIe siècle,vec le célèbre Livre des simples médecines du médecin de l'Université de Salerne, Matthaeus Platearius (Matteo Plateario, Plataire, Platéaire). Lambert de Saint Omer (Lambertus Audomarensis, † vers 1120),lui, est l'auteur du Liber floridus (Livre fleuri, vers 1120) est un chanoine. Herrade de Landsberg (vers 1130 - 1195), connue surtout pour son Hortus deliciarum (Jardin des Délices, vers 1175) est une abbesse. Alexander Neckham (Necham, Nequam, 1157-1217), qui a écrit un De Naturis Rerum (De la nature des choses) de plus est abbé. Au XIIIe siècle Barthélémy l'Anglais (Barholomeus, voir image 10 et 15 : ABEILLE - LE MOYEN-AGE 2 - OCCIDENT 2, APICULTURE : LES RUCHES), est franciscain, Thomas de Cantimpré (Cantimpratensis, Cantipratenus, Cantipratanus, 1201-1272), auteur du Liber de natura rerum ou De Natura Rerum, De Naturis Rerum (Traité de la Nature, 1233 - 1248) est dominicain, tout comme Vincent de Beauvais (Vincentius Bellovacensis, vers 1190 - 1267) qui écrit l'oeuvre la plus ambitieuse de l'époque, le Speculum Maius ou Grand Miroir (1240 -1260). Inclassable enfin, est l'oeuvre arabe du Secret des Secrets :

    "Le Secret des Secrets a été diffusé en Europe selon une version courte et une version longue, toutes deux étant issue d’un original archétypal arabe, le Kitâb Sirr al-’asrâr (950-975) , inspiré du plus ancien « speculum principis », le as-Siyâsat al-’ammiyah (c. 724-743.
    La rédaction courte a donné lieu dès la fin du Xe siècle à une version arabe revue, au XIIe siècle à une traduction latine de Johannes Hispalensis (Jean de Séville), le De Regimine sanitatis ou Epistula Alexandro de dieta servanda, et au début du XIIIe siècle à une traduction catalane, la Poridat de la Poridades.
    La rédaction longue a été traduite en latin après 1227 par Philippe de Tripoli. Ce texte, le Secretum secretorum, a donné lieu à de très nombreuses traductions en langue vernaculaire."

    extrait de : http://www.uhb.fr/alc/medieval/sdspres.htm

    LES ABEILLES DANS LES ENCYCLOPEDIES ET TRAITÉS
    MÉDIÉVAUX
    (pour la médecine et la cuisine, voir LA CUISINE : Le miel, LES TRAITÉS DE MÉDECINE de PHARMACIE, d'AGRICULTURE)


    Commençons par Le Livre des simples médecines de Matthaeus Platearius (Matteo Plateario, Plataire, Platéaire), professeur de botanique à l'Université de Salerne au XIIe siècle a aussi beaucoup été copié. C'est en fait un dictionnaire de végétaux, minéraux et animaux, dans lequel Platearius montre l'importance agricole de l'apiculture à son époque :
     
    1   2  3
     3b    
     Matthaeus Platearius (Matteo Plateario, Plataire, Plateaire, Platéaire, XIIe s.), Le Livre des simples médecines (voir abbaye -jardins3.html).
    1. France, Poitou, vers 1480 Fol. 183, BnF, Département des manuscrits, Français 1307. Ruche en vannerie spiralée et abeilles
    2. France, Nord, 3e quart du XVe siècle. Fol. 215v, BnF, Département des manuscrits, Français 112319. Ruche en vannerie et abeilles
    3. France, Ouest, 1520-1530, Fol. 193v, BnF, Département des manuscrits, Français 12322. Ruche en vannerie spiralée et abeilles.
    Détail de la ruche avec inscription : miel sur le cadre
    3b. France, Bourgogne, 1452, BNF, Nouvelles acquisitions françaises, ms. 6593,
    folio 137v.

    Evoquons maintenant Lambertus, chanoine de la collégiale de Saint-Omer, qui déclare dans son prologue du Liber Floridus son désir de cueillir, telle l'abeille, les nombreuses fleurs de la connaissance recueillie par les Anciens, ce qu'Herrade, abbesse du couvent de Hohenbourg (Mont Sainte-Odile) de 1167 à 1195, exprime un peu de la même manière, comme le fera plus tard Brunetto Latini (1220 - 1294, Livre dou Tresor) : Un pêle-mêle encyclopédique où l'abeille n'a pas un seul chapitre pour s'exprimer. La seule abeille du livre étant Brunetto lui-même, en butineuse annonçant que son livre est comme "une bresche de miel cueillie de diverses flors". On voit bien que le sujet de l'homme de science faisant son miel du savoir est devenu un topos de la littérature encyclopédique. Quant aux propos de Neckham sur les abeilles (op. cit. Livre II, ch. 163) ils sont inspirés du livre IV des Géorgiques de Virgile, dont nous avons déjà parlé, ainsi que des Etymologies d'Isidore de Séville, et fournissent avec elles une leçon de morale. Les abeilles commencent leur vie comme des larves sans jambes, nous dit l'abbé augustinien de Cirencester (1213) et acquièrent finalement des ailes, sont chastes, obéissants à leur Roi et mettent toutes les choses en commun... comme les moines. Barthélémy l'Anglais a un petit avantage sur son prédécesseur Neckam, car il accèdera à des traduction latines de l'oeuvre d'Aristote, effectuée par les Arabes, oeuvre à propos de laquelle nous avons vu tout ce qui se rapporte au monde des abeilles et de l'apiculture. Deux siècles plus tard encore, Jean de Cuba, dans son fameux Livre de Santé (Hortus Sanitatis) reprendra à son compte tout ce que dit Barthelemy sur le faux-bourdon, texte intéressant aussi sur les appellations.

     A


     B    
    Barthélémy L'Anglais (Bartholomeus, Bartholomaeus Anglicus, Bartholomew the Englishman, vers 1190-après 1250)
    A. Tractus de Herbis.
    BNF, folio 80,ms latin 6822, 2e moitié du XVe siècle
    inscription : malabatrum (voir malabathrum).
    B. Le livre des propriétés des choses, traduction française de Jean Corbichon pour Charles V, Musée Condé du château de Chantilly, ms. 339, folio 155v.
    Cet ouvrage fut offert en étrennes en 1404 au duc Jean de Berry par ses quatre secrétaires. Il fut enluminé à Paris en 1403 dans l'atelier du Maître de Virgile, à qui l'on attribue plus de soixante manuscrits dont deux sont conservés au musée Condé.

    Thomas de Cantimpré, quant à lui, écrit son Livre des abeilles quand il a abandonné les sciences, objet hostile des études dominicaines, et cet ouvrage, dédié à Humbert de Romans, maître général des frères prêcheurs de 1254 à 1263, sera traduit en plusieurs langues, dont le français à la demande de Charles V (1372), sous le titre de "Bien universel des mouches à miel". Il est plus connu sous son nom latin, le Bonum universale de apibus (Liber de apibus, Liber apum, Apiarium ou encore Bonum universale de proprietatibus apum : "Du bien universel tiré des propriétés des abeilles", vers 1230 - 1240) Ce sera son dernier ouvrage, un recueil d'édification par l'exemple, à destination en particulier des abbés et des ecclésiastiques, dont la conduite est critiquée par Thomas. Le De Apibus compare la société humaine à une grande ruche et dont le thème se développe à partir du Livre IX de son Traité sur la Nature, au chapitre des abeilles (De apibus). Thomas suit Aristote en général et n'accepte pas les points de vue de Michael Scot (Michel Scot, Scotus, vers 1175 - 1236, traducteur d'Aristote et d'Averroès à Tolède), que ce dernier développe dans son ouvrage encyclopédique majeur, Liber Introductorius, et qui traite de médecine, d'astronomie, d'astrologie, de météorologie et de musique. Scot prétend qu'il y a deux sortes de miel, un miel divin, naturel, dont parle les auteurs antiques, mais aussi un miel artificiel, sécrété lors de la digestion de l'animal. Thomas reprend l'idée des abeilles "qui conservent leur virginité tout en procréant de manière abondante", en parlant des abeilles* "qui honorent l'hostie que des voleurs avaient jetée sous leur ruche en ne gardant que la pyxide d'argent*" (du grec pyxis, coffret : boîte où l'on conservait l'Eucharistie). L'exemplum sur l'hostie est très courante : L'évêque de Clermont-Ferrand, Aimeric (1111-1150) avait raconté un évènement similaire à Pierre le Vénérable (Petrus Venerabilis, 1092/4-1156, neuvième abbé de Cluny de 1122 à 1156, De Miraculis, I, 1 : écrit entre 1135 et 1144/ajouts jusqu'à 1156*) :

    "En Auvergne, sur les conseils d'un sorcier, un paysan garde une hostie dans sa bouche et tente de la souffler dans sa ruche, mais elle tombe par terre. Les abeilles recueillent avec vénération l'hostie. Pris de remord, le paysan noie la ruche et y trouve un nouveau-né très beau mais apparemment mort, qui disparaît mystérieusement quand il l'emporte pour l'enterrer. Peu après, ce lieu devient stérile et désert"

    Dans le Liber exemplorum ad usum praedicantium (Franciscain, anonyme, 1275), les abeilles honorent l'hostie qu'un paysan leur a donnée*

    * extraits du Thesaurus Exemplorum Medii Aevi,
    http://gahom.ehess.fr/thema/index.php?idindex=182&lg=fr

     
    « Un malheureux s'était emparé, dans l'église de Niedermorschwihr, d'une hostie consacrée, avec laquelle il voulait accomplir une célébration sacrilège. Mais, après avoir accompli son vol, il fut saisi d'une telle frayeur en passant auprès de la chapelle des Trois-Épis que, dans son effroi, il jeta loin de lui la sainte Hostie. Or, quelques graines de froment perdues avaient produit, à côté de la porte de la chapelle, trois beaux épis, tellement rapprochés l'un de l'autre, qu'ils semblaient sortir d'une seule tige. L'Hostie y resta accrochée, et aussitôt un essaim d'abeilles arriva avec un bourdonnement harmonieux et entoura les épis d'un élégant ostensoir en cire, comme pour protéger le Corps du Seigneur et lui rendre hommage. Une céleste musique se fit entendre, et toutes les fleurs des champs, se balançant sur leurs tiges et inclinant leurs corolles, envoyèrent au Créateur leurs parfums les plus suaves.
    Quelques passants, témoins de ces merveilles, tombèrent à genoux devant la sainte Hostie, et après l'avoir adorée, ils allèrent prévenir le curé de Niedermorschwihr de ce qui se passait. Le curé s'empressa d'accourir avec son peuple sur le lieu du prodige, et après avoir adoré le Sacrement, il l'emporta triomphalement dans son église. »

    Récit de 1491
    François d'Ichtersheim, Topographie, Ratisbonne 1710



    Revenons à Pierre le Vénérable car, dans sa première lettre à Héloïse, l'abbé de Cluny s'inspire en termes poétiques de l'étymologie hébraïque de Déborah :
    "Tu seras pour les servantes de Dieu, c'est-à-dire pour l'armée céleste, ce que Débora fut pour le peuple juif. Ce combat dont le prix est si grand, aucun temps, aucun événement ne l'arrêter : ta victoire seule y mettra un terme. Le nom de Débora, ton érudition le sait bien, signifie en langue hébraïque «abeilles »cela encore tu seras Débora, c'est-à-dire une abeille. Tu constitueras une réserve de miel, mais pas seulement pour toi : tous les sucs que tu auras recueillis en divers endroits et de diverses fleurs, tu les verseras par ton exemple, par ta parole, par tous les moyens possibles dans le coeur des soeurs de ta maison ou dans celui d'autres femmes. Dans le court espace de cette vie mortelle, tu te rassasieras de la secrète douceur des saintes Écritures et, par ta claire prédication, tu en rassasieras les bienheureuses soeurs jusqu'au jour où, selon la parole du prophète, les montagnes distilleront l'éternelle douceur et où du sein des collines couleront le lait et le miel. En effet, bien que cela soit dit du temps de la grâce, rien n'empêche, et même il est plus doux de l'entendre du temps de la gloire."

    extrait de : http://www.pierre-abelard.com/text-lettre1-pierre-ven-heloise.htm

    Cependant, il y a chez Thomas, comme chez les autres "encyclopédistes", une volonté d'embrasser les connaissances du temps, comme dans l'antiquité, même si, l'auteur ne s'en cache pas, son miel est fait de précédentes récoltes : Aristote, le Physiologus, Varron, Pline, Isidore, pour la zoologie en particulier, qui ne peut pas être éclairée par l'énumération de cinquante espèce de vers parmi lesquels on trouve pêle-mêle abeilles, guêpes, fourmis, mouches, scarabées, cigales, punaises, mille-pattes, et même crapauds, grenouilles ou sangsues. Espèce, avons-nous dit et Thomas de citer des genres (genus) divisés en d'autres genres (toujours genus) : là encore, on ne sort pas du flou aristotélicien, aggravé par les traductions latines approximatives de l'arabe, que Thomas a trouvé chez Michael Scot.

    Le texte du Secret des Secrets, maintenant, évoque l'abeille à la manière des chrétiens, pour faire comprendre que l'homme est la créature de Dieu la plus complète de la Création, qui réunit tout ce qui se trouve dans l'univers, y compris chez les animaux :

    "Sachez, chier filz, que Dieu crea homme tressaige creature et ne fist onquez
    nulle chose qui ne soit trouvee en l’omme car l’omme est
    hardy comme leon, paoureux comme lievre, large comme
    gal, aver comme chien, dur et aspre comme corbel, debon-
    naire comme la turtre, despiteux comme lyonnesse et privé
    comme columbe, malicieux et barateux comme regnart,
    simple comme l’aignel, legier comme chevrel et samblable
    a la chievre en pluiseurs condicions, pesant et paresceulx
    comme l’ours, precieux et chier comme l’oliffant, vil, fol,
    et rude comme l’asne, rebelle comme petit roy, obeïssant
    et humble comme le paon, grant parleur sans proffit
    comme l’ostruce, proffitable comme la mouche qui fait
    le miel, dissolut comme le senglier, estrange comme
    le torel, il regibe comme le mulet et se remue comme le
    poisson, raisonnable et chaste comme angle, luxurieux
    comme le porc, lait comme le buffle et bel comme le cheval.


    extrait de : http://www.uhb.fr/alc/medieval/S2.htm

    Que nous traduirons ainsi :

    Sachez, cher fils, que Dieu créa l'homme très sage créature et ne créa aucune autre chose qui ne se retrouvât en l'homme, car l'homme est hardi comme le lion, peureux comme le lièvre, généreux comme le coq, avare comme le chien, dur et fourbe comme le corbeau, pieux comme la tourterelle, malicieux comme la lionne, familier comme la colombe, malicieux et perfide comme le renard, simple comme, l'agneau, léger comme le chevreau et semblable à la chèvre sur plusieurs points, lourd et paresseux comme l'ours, précieux et estimable comme l'éléphant, vil, stupide et grossier comme l'âne, rebelle comme un petit roi, obéissant et humble comme le paon, hâbleur et inutile comme l'autruche, laborieux comme la mouche qui fait le miel [l'abeille, NDE], débauché comme le sanglier, surprenant comme le taureau, il regimbe comme le mulet et se remue comme le poisson, raisonnable et chaste comme l'ange, luxurieux comme le porc, laid comme le buffle et beau comme le cheval.

    Nous ne nous attarderons pas sur l'oeuvre imposante de Vincent de Beauvais, mais qui, pour notre sujet présent n'est pas d'un grand intérêt. Encore une fois, tout ce qu'il sait sur la zoologie lui vient d'Aristote et le Speculum Naturale (Miroir de la Nature, vers 1244) en général, dont fait partie le sujet des animaux, est plus conçu comme un commentaire élargi de l'Hexaemeron d'Ambroise, avec forces citations bibliques, qu'un traité rationnel, ce qui ne nous étonne vraiment pas après tout ce qui a été dit plus haut sur ce sujet.

    Ouvrage pratique, le Traité d'Agriculture ou Traité des profits champêtres et ruraux, de Pietro de Crescenzi (Petrus de Crescentius, Crescentiis, Pierre de Crescens, 1230 - 1310) fait partie des ouvrages qui sont appelés à se développer, où la morale ne tient pas lieu de substrat fondamental, l'auteur écrivant à la manière des Romains dans un but pédagogique. traitant de la vie des abeilles, de l'installation et de l'entretien des ruches, de la récolte du miel, tout au long de ses onze chapitres, dont le neuvième est consacré à l'apiculture.

       
     Pietro de Crescenzi (vers 1233 - 1321, Bologne)
    De omnibus agriculturae partibus et de plantarum animaliumque,
    Ruralia commoda ou Opus ruralium commodorum, 1306, dont le roi Charles V commandera la première traduction française, en 1373.
    Edition de Basileae, Per Henrichum Petri, gravure de 1548.
    source : http://gallica.bnf.fr/

     
    Le Jardin de Santé de Jean de Cuba, que nous avons évoqué plus haut, est traduit en français pour A. Vérard autour de 1500. Comme chez les anciens auteurs latins, le faux-bourdon continue de s'appeler fucus (plur. fuces) et sont qualifiés de mouches imparfaites, quand les autres abeilles (dont le terme n'est pas cité, mais il désigne les ouvrières) sont de vraies mouches, des mouches à miel, des mouches apes, que l'auteur répertorie dan le deuxième traité de son Hortus Sanitatis (1485, consacré...aux oiseaux :

    "Chapitre LI. .De fuco Mousche.
     
    Fucus.
     
    Bartholomeus au livre des proprietes des choses dit que fucus est la plus grant mousche a miel. Et est dicte fucus pource qu'elle mangeue les labours estranges quasi comme fagus, a cemot "fagin", qui est a dire "manger". Car il mangeue etpaist ce qu'il n'a pas labouré, car il ne fait point de miel, mais il mangeue le miel des autres. Duquel dit Virgile: "Ignauum fucospecus". Ces mousches appellees fuces sont sans aguillon ainsi comme mousches imparfaictes, et sont servantes des vrayes mousches, et pour ce les vrayes mousches leur enjoignent et commandent. Elles dechassent les premieres aux oeuvres, et celles qui retardent elles les poignent et pugnissent sansclemence ne misericorde. Et non pas tant seulement en l'oeuvre aydent les vrayes mousches dictes apes, mais aussi en impregnation. Et certainement de tant qu'il y aura plus grant multitude d'iceulx detant se sera plus grant abundance de esprouvemens et de congregacions. Et quant le miel commencera a maturer et estremeur elles les chacent, et toutes au miel assemblees les expellentet degettent, et ne sont point veues si non au printemps. Ces mousches nommees fuces ediffient les mansions aux roys et imperateurs des vraies mousches apes, et les font amples, magnifiques et separees, et de couverture eminentes. Et sont faiz six angles en toutes les chambres d'une chascune. Et combien que ces mousches fuces ayent et soustiennent tant de labours, touteffois a paine leur est permis de manger du miel si non ce qu'ilz prennent et desrobent ainsi que dit Pline.

    extrait de : http://www.uhb.fr/alc/medieval/cuba1/cuba1.htm

    Chapitre XII.
     
    De apice. Mousche a myel.

    A Apis.

    Aristote. La mousche a miel appellee en latin Apis est une beste anuleuse de corps ayant ung membre ou aguillon qui luy yst et sort hors de la bouche par lequel elle gouste et attire et prent legiere de corps. Elle a quatre esles et quatre piedz, c'est assavoir deux au coste dextre et deux au senestre,et n'en a point plus de quatre affin qu'ilz ne luy empeschent son voller. Ceste beste ne prent point l'air et ne alaine point. Elles mangeussent le myel, et par especial au temps de necessité. Et quant elles commencent a estre malades, la diminucion et descroissance du myel apparoist, car elles le mangeuent et ne le reparent point. Elles ayment bonnes odeurs, et se esjouyssent et delectent aux eaues courantes.
     
    L'acteur.
     
    Les mousches a myel ayment chose necte et hayent le froit, la puanteur et le fiens. Elles vollent ensemble congregees et assemblees, et sont soliciteuses et convoiteuses environ leur oeuvre, et degectent et expellent celles qui sont oyseuses.
    Du Livre des natures des choses. Les mousches a myel sur toutes autres bestes prevalent et sont preexcellentes en dignité et utilité, et les plus nobles en douaires, et vigorent en noblesse et agilité, en audace et hardiesse et subtilité de engin et de entendement.
    Ambrosius. Les /64rb/ mousches a myel ordonnent et font entre elles ung roy, et non pas par fort, mais par jugement. Et combien que elles soient mises soubz roy, touteffois elles sont en liberté, car elles tiennent la prerogative du jugement et l'affection de la foy de devocion, et ayment le roy entant qu'il est d'icelles ordonné et constitué. Et est cestuy roy formé de cleres noblesses et aornemens de nature si que il precelle en grandeur de corps et en espece. Et ce qui est au roy le plus noble et le plus grant, c'est la debonnaireté et mansuetude de meurs, car il n'est pas armé d'aguillon, mais de sa majesté, et si a aguillon il n'en fiert point par vengeance. Et sont certes loix de nature et qui ne sont pas escriptes par lectres, mais empraintes es meurs et condicions affin que elles soient plus legieres pour punir a ceulx qui tiennent et possedent grandes puissances, mais les mousches qui font le myel qui ne obtemperent pas aux loix se vexent et batent l'une l'autre par condannacion de penitence, affin que par la navreure et bleceure de leurs aguillons elles meurent.
     
    Ambrosius.
     
    Nulles des mousches a myel ne osent yssir de leurs maisons pour aller en aucunes pastures si non que le roy premier yssu se donne la principaulté de voller, et que il volle tout le premier; et est leur alleure par les champs et terres qui sont redolentes et de bonne odeur. Ou il y a jardins premierement, entre les herbes et fleurs doulces, habitent et mectent les fondemens de leur exercice et allee. Les mousches qui font le myel sont ordonnees a divers ouvrages et offices, car les unes apportent les fleurs, les autres mollifient la cire et les autres apportent l'eaue. Et non point leurs ouvrages et labours temps determiné, mais quant elles ont les choses convenables incontinent les preparent, et si labourent et oeuvrent continuellement quant le temps est serain.
     
    Virgile en Georgiques.
     
    Maintenant je diray les natures que le dieu Jupiter a absconses et mucees es mousches qui font le myel. Elles ordonnent en elles ducz et gouverneurs magnanimes par l'ordre de toutes gens. Les meurs et les estudes et leurs collections et batailles . Elles ont ung roy qui est au millieu d'elles en sa maison auquel toutes obeyssent sans contredit. Et quant les mousches vont en labour il se repose en sa maison. Elles cueillent les fleurs a leur bec et /64va/en font leurs maisons. Les unes apportent la viande et les autres l'appareillent et font leur oeuvre en ung vaissel moult ordonneement, et mectent en la plus haulte partie plus de cire et es plus basses parties mectent plus de myel Et sont si nettes que nulle ordure entre elles ne demeure.
    Les operations des mousches a myel.
     
    (A) Aristote. Les mousches qui font le myel prennent la cire aux fleurs et avec les piedz de devant la congregent et amassent, et de la l'envoient aux piedz du millieu, et puis apres aux cuysses des piedz de derriere et puis elles vollent avecques icelle, et adonc est manifestee la pesanteur d'icelle.
     
    B La vertus et operation de la cire, le lecteur le trouvera cy dessus au traictié des herbes en la lectre de .C. au chapitre. CIJ.
     
    C Et de la vertu et operation du miel il trouvera aussi en cellui mesmes traictié en la lectre de .M. au chapitre. CCXCIJ

    extrait de :
    http://www.uhb.fr/alc/medieval/cuba1/cuba2.htm#Chapitre%20.xij.Deapice.Mousche%20a
     

    LES ABEILLES DANS LES BESTIAIRES DU MOYEN-ÂGE

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    4. Bestiaire de Manuel Philes (Philé, Philae)
    , abeilles, 1275-1340, poète byzantin d'Ephèse, Περι Ζοον ιδιωτητος, Peri zoon idiotetos, traduit dans les éditions latines par :
    De Animalium Proprietate, De Natura Animalium (Des propriétés animales, De la Nature Animale)
    Copiste et Peintre : Ange Vergèce, 1566
    Paris, Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 3401, f. 018
    5.Bestiaire du Nord de la France. Ruches en vannerie clayonnée -nord-est et sud de la France) et abeilles, XIIIe siècle, BNF 6838b, folio 29v.
    6. Bestiaire d'amours de Richard de Fournival. Apiculture, folio 260
    France, 3e-4e quart du XIIIe siècle Paris, BNF, Département des Manuscrits, Français 1444, manuscrit réunissant différents bestiaires.
    7. Concordantiae caritatis d'Ulrich von Lilienfeld (Ulric, Udalricus Campililiensis, abbé de l'abbaye cistercienne de Lilienfeld, fondée en 1202).1349 -1351, conservé à la Lilienfeld, Stiftsbibliothek, CLi 151. La ruche est une ruche tronc verticale. Remarquez l'apiculteur, protégé légèrement par une blouse et un couvre-chef blanc, sans masque : il semble d'ailleurs avoir été piqué !
    8. bestiaire d'Angleterre, XIIIe, musée Fitzwilliam, Université de Cambridge


    Dans un registre empreint autant à la morale que les encyclopédies, on trouve les bestiaires, un genre qui se rattache à la tradition du Physiologus :

     
    "Les bestiaires apparaissent en Angleterre au XIIe siècle*, à destination du monde aristocratique. Puis ils se répandent dans le Nord de la France et en Normandie. Les Bestiaires en latin sont destinés aux clercs ; les Bestiaires en français aux laïcs. De nombreux écrivains se sont emparés du genre pour créer des bestiaires spirituels, philosophiques, ou courtois.
     
    Le plus ancien bestiaire en français est celui de Philippe de Thaon (vers 1120). A côté des compilations en latin directement issues du Physiologus, le Bestiaire divin de Guillaume le Clerc, celui de Gervaise (vers 1150), le Bestiaire en latin de Pierre de Beauvais (avant 1218) et sa traduction en français, le De animalibus d’Albert le Grand (1260) sont les principaux représentants de ce genre à finalité didactique et morale.Parodie courtoise du bestiaire moralisé, le Bestiaire d’Amour de Richard de Fournival (vers 1250, image 6) marque la fin du genre.
    Les bestiaires latins commencent toujours par les bêtes sauvages et particulièrement le lion. Viennent ensuite les animaux domestiques, puis les petites bêtes - fourmis, oiseaux, insectes, monstres et vers. Tout en commençant généralement par le lion, les bestiaires français entremêlent les catégories d’animaux pour construire un Bestiaire du Christ.
     
    Les manuscrits sont illustrés, et leur iconographie obéit à des codes précis. Le nom de l’animal est prolongé à la fois par une description des ses principales caractéristiques, et par une représentation figurée car, selon Richard de Fournival, "La mémoire a deux portes, la vue et l’ouïe ; et chacune ouvre sur un chemin qui y conduit, la peinture et la parole".

    extrait de : http://expositions.bnf.fr/bestiaire/arret/3/index.htm

    voir images d'abeilles du Bestiaire d'Anne Walsh, d'Aberdeen, royal de Durham, etc. dans :
    ABEILLE - LE MOYEN-AGE 2 - OCCIDENT 2, APICULTURE : LES RUCHES


    Le texte ci-dessus parle d'Albert le Grand, un Dominicain encore, de son vrai nom Albrecht von Bollstädt, savant, philosophe et théologien germanique (vers 1193 -1280). L'ouvrage qui nous concerne ici est le De animalibus, qui, dans les pas d'Aristote, n'empêche pas l'auteur d'observer attentivement différentes espèces animales, probablement de son jardin personnel où il aimait jardiner, mais aussi chanter et prier. Il étudie en particulier les araignées, les fourmis et les abeilles, auxquelles il consacre le chapitre 17, en s'intéressant à leur anatomie. Un jour, ayant trouvé un miel abondant dans des nids d'abeilles sauvages, il remarque que ce miel n'est pas parfait, qu'il est un miel inférieur.

       
    Homme cherchant à attraper un essaim d'abeilles avec un sac de tissu blanc, couleur conseillée depuis l'antiquité.
    Book of Hours (Livre d'Heures), Angleterre, XIVe siècle
    British Library, Stowe 17

    L'ESPACE LÉGISLATIF

    Des temps historiques les plus lointains, nous l'avons vu avec la Mésopotamie, les civilisations successives ont réglementé l'apiculture, aussi bien pour la production du miel, les impôts sur le miel, l'économie apicole, ainsi que le droit relatif à la propriété des ruches. Le moyen-âge ne fait pas exception et possédera différentes législations qui feront parfois l'objet de codification, comme celle des Carolingiens, avec le capitulaire de Villis de Charlemagne (voir : Capitulaire de Villis).

     


    CAPITULAIRE DE VILLIS
    traduction, commentaires d'Alain Canu
    extraits de : http://www.noctes-gallicanae.org/Charlemagne/Capitulaires/Capitulare_De_villis.htm

    "XVII. Que chacun ait autant d’hommes affectés à s’occuper des abeilles pour pourvoir à nos besoins qu’il a de domaines sous son autorité."

    Commentaire : "Nous avons vu, que les maires n’avaient généralement dans leur ressort qu’une seule terre, un seul domaine, qui pouvait néanmoins comprendre plusieurs villages. Les judices, au contraire, étendaient leur juridiction sur plusieurs terres, et par conséquent sur plusieurs mairies.
    Le miel, dont il sera encore question dans la suite, était d’un grand usage au moyen âge. Au neuvième siècle, l’abbaye de Saint-Germain en récoltait, pour la seule mense conventuelle, près de huit hectolitres. Chez les Bavarois, les colons et les serfs des églises payaient la dîme de leurs ruches. Dans un. papyrus de Marini, une redevance totale de soixante-dix livres de miel est imposée à deux colons. Le miel était en partie produit dans des ruchers, en partie recueilli dans les bois. Les employés à ce genre d’industrie, appelés apiarii par Pline, sont désignés dans les-documents du moyen âge sous le nom de cidelarii. Zeidler est encore, en allemand, un gardien d’abeilles."

    "LXII. (...) Que tous les ans, sur des comptes séparés, précis et ordonnés, à date de naissance du Seigneur, chaque intendant porte à notre connaissance afin que nous puissions savoir ce que nous avons de chaque chose et en quelle quantité, à savoir :
    le compte, parmi toutes nos terres labourées, de celles qui le sont avec les bœufs que nos bouviers conduisent, le compte de celles qui le sont par les possesseurs des fermes qui nous doivent le labour ;
    le compte des porcs ;
    le compte des cens, le compte des obligations contractuelles et des amendes ;
    le compte du gibier pris dans nos bois sans notre permission ;
    le compte des divers contrats ;
    le compte des moulins, le compte des forêts, le compte des champs, le compte des ponts ou des bateaux ;
    le compte des hommes libres et celui des villages assujettis à notre fisc ;
    le compte des marchés ;
    le compte des vignes, le compte de ceux qui nous doivent du vin ;
    le compte du foin ;
    le compte du bois à brûler et des torches ;
    le compte des planches et autres bois de construction ;
    le compte des tourbières ( ?) ;
    le compte des légumes ;
    le compte du millet et du panic ;
    le compte de la laine, du lin ou du chanvre ;
    le compte des fruits des arbres, le compte des noyers ou noisetiers, le compte des arbres greffés de toutes les espèces ;
    le compte des produits des jardins, le compte des navets ;
    le compte des viviers ;
    le compte des cuirs, le compte des peaux, le compte des cornes ;
    le compte du miel et de la cire ;
    le compte de la graisse et du suif ou savon ;
    le compte du vin de mûres, du vin cuit, de l’hydromel et du vinaigre, le compte de la bière, du vin nouveau et du vin vieux ;
    du blé nouveau et du blé ancien ;
    le compte des poules et des œufs ainsi que celui des canards, c’est-à-dire des oies ;
    le compte des pêcheurs, des forgerons, des fabricants d’écus et des cordonniers ;
    le compte des fabricants de huches et de coffres c’est-à-dire de hottes, le compte des tourneurs et des selliers ;
    celui des producteurs de fer et de plomb c’est-à-dire des mines de fer et autres mines de plomb ;
    le compte des tributaires ;
    le compte des poulains et pouliches."

     

    L'impôt seigneurial en nature conférant au seigneur féodal une certaine portion du miel issu des ruches de ses vassaux est appelé abeillage (abbeillage, anc. aboillage (n. f.), de aboille, l'abeille, dictionnaire La Furetière, 1690). Cette coutume empruntée aux coutumes romaines a été appliquée en divers pays de manière assez semblable dans les grandes lignes. En plus d'une dîme, nous l'avons vu, ce droit donnait aussi au seigneur (puis ensuite au citoyen) la propriété des abeilles éparses et non poursuivies, qui fera pendant longtemps l'objet de procès pour tout le flou que cette notion recouvrait.

       Texte du Domesday (voir plus bas) connu sous le nom d'Inquisitio Eliensis (IE, Ely Inquest) ou Liber Eliensis. C'est l'inventaire de l'île d'Ely (= anguille), dans le Cambridgeshire, Angleterre.

    En Angleterre, vers l'an mil, les Rectitudines Sungularum Personarum parlent des obligations et des bénéfices de certaines corporations, dont celle d'apiculteur (beo ceorl), appartenant à un rang très inférieur parmi les hommes libres, alors que les abeilles et les ruches, on s'en douterait, appartiennent au seigneur, selon son degré de vassalité. A la conquête Normande, une nouvelle source vient enrichir les connaissances que nous avons sur l'organisation terrienne et agricole de l'Angleterre, à savoir le Domesday Book, compilé en 1086 et divisé en deux ensembles de textes, le Petit et le Grand Domerday. L'apiculteur y est nommé custos apium, du personnel apicole étant désigné par le terme melittarii, sans que l'on sache vraiment si on appelle ainsi les ouvriers qui oeuvrent régulièrement dans les forêts à la récolte du miel sauvage (comme partout dans le monde, d'ailleurs), et qu'on appelera ensuite honeyers. Différents types de ruches apparaissent dans le Domesday, telle la vascula (petite ruche), le vasa apum, qu'on trouve dans le Huntingdonshire et dans d'autres comtés. Le gaulois rusca est aussi utilisé, dans le Suffolk, par exemple, et désigne semble t-il des ruches-troncs. Les rayons étaient extraits en trois fois, nous dit-on : miel supérieur et cire, miel inférieur et sandarach (mélange de couvain et de miel) et enfin, cire sèche, sans qui'il soit fait mention du pollen, dont on se demande si les auteurs savaient que l'abeille le récoltait et le consommait. Le miel était extrait par un sac en tissu. Le miel premier était de meilleure qualité, le deuxième s'obtenait en tordant le tissu, tandis que l'hydromel était obtenu en lavant le tissu à l'eau chaude, avec le dernier miel.

    Citons enfin, le texte, irlandais et anonyme du Lebor na Cert (Book of Rights, Livre des Droits, manuscrit le plus ancien de la fin du XIVe s.), qui évoque la question de l'impôt, ou plutôt tribut, dû entre les différents rois d'Irlande, ceux de Tara et de Cashel, les deux capitales rivales de l'Irlande médiévale (mais Cashel décline après la bataille de Beloch Mughna, en 908 où le roi de Tara défait son rival) :

    "Son tribut à la maison de Tara
    (Il devrait en être satisfait)
    c'est soixante boeufs, vingt cochons,
    et vingt "fiitches" (?) d'un bon poids.
    Vingt brassées d'aromates,
    vingt oeufs de mouette brillants
    vingt ruches d'abeilles
    qu'il devra tout donner à la fois."

    LES MENTALITÉS


     
    Voici "une des deux lettres adressées en Corse en mars 1439 par le Florentin Poggio Bracciolini à l'humaniste ligure Bartolomeo Guasco. Âgé de près de soixante ans, Poggio Bracciolini, qui a passé la plus grande partie de sa vie adulte à la curie romaine, avait fondé une famille trois années plus tôt et jouissait d'un loisir tranquille en Toscane. De son côté, Bartolomeo Guasco, d'une quinzaine d'années son cadet, occupait dans l'île la fonction de commissaire de la commune génoise, peu avant l'arrivée du nouveau gouverneur, Giano Fregoso, dont il avait d'ailleurs été le précepteur à Sarzana. En effet, sa carrière était intimement liée à la fortune de la famille génoise Fregoso. Voici la première moitié de cette lettre :

    Alors que je demandais très souvent de tes nouvelles, en raison de l'intérêt que je te porte, auprès de gens dont je me doutais que tu leur étais connu et cher, j'ai appris que depuis longtemps, et même depuis beaucoup plus longtemps que ton humanité ne peut le supporter, tu te trouvais chez les Corses, peuple sauvage et inhumain. Je me demandais avec étonnement, dans la mesure où tu es un homme totalement voué depuis son plus jeune âge à nos études, c'est-à-dire les humanités, ce que signifiait un si long séjour chez des hommes aussi barbares : commander à ces hommes, et à plus forte raison, être à leur tête, voilà ce que j'estimerais être la plus misérable des servitudes. Mais à mon idée, tu évolues parmi ces Corses comme les abeilles parmi les buissons de ronces, où elles récoltent le miel pour en remplir leurs ruches. [...]. Florence, le 18 mars [1439].
    (...)
    Avec cette référence implicite à Virgile, à l'exaltation des abeilles dans le livre IV des Géorgiques, ne faisait-il pas aussi allusion à sa façon, au mythe de l'âge d'or, à ce moment où la ronce distille le miel, où les animaux vivent en paix, où la nature généreuse et abondante donne ses fruits sans travail, où surtout les hommes cultivent l'amitié, la concorde, la justice, dans une totale communauté17 ? S'il se trouve que le miel appartenait depuis longtemps aux représentations obligées de la Corse, son amertume et son âpreté le disputaient presque toujours à son abondance. « Abondant » en effet dans l'île pour Diodore de Sicile, comme pour Lukos de Rhégion ou Étienne de Byzance (qui y voyait la cause de la longévité des insulaires), il était aussi « amer et âpre, car sentant le buis » pour Pline l'Ancien (et Théophraste), et par là « infâme » aux yeux d'Ovide. Virgile lui-même, dans la IXe Bucolique, faisait dire au pâtre Lycidas, « criaillant », comme il dit, « telle une oie parmi les cygnes harmonieux »18: « Eh bien ! Puissent tes essaims éviter les ifs de Cyrnos [Corse] ! Puissent tes vaches, en paissant le cytise, gonfler leurs mamelles ! ». La ronce y distillait sans doute beaucoup de miel, par la vertu des abeilles, mais les buis et les ifs de l'île semblaient devoir en gâter la saveur. Si l'abeille était bien pour Poggio, dans ce milieu du Quattrocento, le modèle du lettré, l'humaniste installait dans ce dispositif exemplaire, entre le lettré et le puissant, un troisième terme, ce peuple sauvage et inhumain, à la saveur encore amère. Avec Poggio, l'humaniste prenait sa place dans cette nature, il la fécondait lui-même pour faire advenir, abeille récoltant le miel parmi les buissons de ronce, un nouvel âge d'or19."

    Notes (celles du préambule ne figurent pas ici) :

    "17 Sur ce sujet, H. Levin, The Myth of Golden Age in the Renaissance, London, 1969. On connaît, par l'édition de deux lettres de l'humaniste Giovanni Toscanella, comment ce dernier, dans les années 1425-1429, avait « lu » à Florence aux jeunes neveux de Tommaso Fregoso, pendant cinq mois, pour l'enseignement de la langue latine et du style, les Bucoliques, les Géorgiques et l'Énéide (R. Sabbadini, « Giovanni Toscanella », Giornale Ligustico di Archeologia, Storia e Belle Arti, 17, 1890, lett. II et III, p. 130-134). Bartolomeo Guasco a sans doute été pendant les mêmes années le précepteur des mêmes ou d'autres jeunes Fregoso à Sarzana.
     
    18 Ces références d'après O. Jehasse, Corsica Classica. La Corse dans les textes antiques du viie siècle avant J.-C. au xe siècle de notre ère, Ajaccio, 1986, respectivement, d'après Athénée, II, p. 47 a, livre V, 14 ; Étymologies, éd. Lindsay, 1989-91 ; Histoire des Plantes, V, 8 ; Histoire Naturelle, XVI, 28 et Amours, I, XII, 7-10. Les vers des Bucoliques, IX, 30-31, dans la traduction d'E. de Saint-Denis (Paris, 1983) sont : « Sic tua cyrneas fugiant examina taxos / sic cytiso pastae distendant ubera uaccae ».
     
    19 Il faut remarquer que l'utilisation de la métaphore du miel appartient aussi à la tradition biblique et scolastique, la providence divine y tenant une place semblable à la providence de la nature : « Du miel et du lait sont sous ta langue » (Cantique des cantiques, IV, 11). Pour Albert le Grand (auteur prétendu), Marie contient le miel céleste, c'est-à-dire le Christ, caché en son sein (De Laudibus Beatae Mariae Virginis libri XII, Strasbourg, Martin


       
     
     Andrea Alciato, Emblemata, Emblema CLXXXVII.
    Les emblèmes
    Paris, Jean Richer, 1584

    folios 242 r et 242v, avec détail du folio 242 v, le casque (galea : morion, heaume, dans le texte) dont les abeilles (apibus, apum : avettes) font les cellules (favos : non traduit dans le texte) de leur ruche (alveoli : ruche) pour leur miel (mella)

    "De la guerre la paix vient.
    Vois-tu le morion promené en bataille,
    Porté un si long temps d’un hardy combatant,
    Tant de fois arrousé du sang humain, & tant
    Assailly, esprouvé & d’estoc & de taille,
    Maintenant il repose, à la petite avette
    Servant comme de rusche à faire son miel doux.
    O le bon changement! & nous en sommes tous
    Resjouis en nos coeurs, puisque la paix est faitte.
    “Arriere les combats, arriere les gendarmes,
    “Et ne nous en aydons que bien tard desormais,
    “Sinon quand ne pourrons autrement vivre en paix,
    “Et qu’en necessité faudra prendre les armes.
     
    Une mesme chose peust estre accommo-
    dee a deux usages, & prinse en deux fa-
    çons, comme le heaume ou morion, sert à la
    guerre, & en temps de paix sert de repaire
    aux abeilles. Delà est tiree la cause finalle de
    la guerre, sçavoir est que lon ne la commen-
    ce jamais, sinon que par autre moyen on ne
    puisse avoir paix."

    source texte et illustrations : http://www.emblems.arts.gla.ac.uk/french/emblem.php?id=FALc177

       
     Hieronymus Lang, Dessin de préparation à un vitrail, Suisse, 1553.
    Les personnages des mariés se tiennent sur des ruches, symboles d'un ménage bien organisé, économe et sage.
     

     
    sources :

    - http://homepage.mac.com/mreddygbr/skepFAQ/
    - http://www.univ-corse.fr/congres/Beretti.pdf
    - http://www.nationalarchives.gov.uk/domesday/world-of-domesday/food.htm
    (ely inquest)
    - http://www.larsdatter.com/beehives.htm
    - http://tarvos.imareal.oeaw.ac.at/server/images/7005079.JPG, 7004810.JPG, 7004839.JPG (Concordantiae caritatis)
    - http://www.chateaudechantilly.com/pdf/DPresse-22.pdf
    - http://www.photo.rmn.fr/LowRes2/TR1/11S4GY/03-012287.jpg (barthelemy)
    - http://www.godecookery.com/afeast/brew/brew031.html (barthelemy)
    - http://www.getty.edu/art/gettyguide/artObjectDetails?artobj=279&handle=li (vitrail)
     
     

     
    -------