ENCYCLOPEDIE -DE--LA--LANGUE -FRANÇAISE
 

-ABEILLE

LES ABEILLES ET LES HOMMES ( III)

-croyances,
savoirs
et
apiculture

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"Alfred Dürer, 1514 : Eros, Venus et les Abeilles.
"Eros, piqué par une abeille,alors qu’il humait le parfum agréable d'une rose, alla pleurant se réfugier dans les bras de Venus, “Chère mère, je meurs, aie pitié de moi, un serpent volant m'a mordu douloureusement la joue“
Chant anacréontique, 6ème s. av. J.-C."

texte et image extraits de : http://www.db-alp.admin.ch/de/publikationen/
docs/pub_BogdanovS_2006_16291.pdf
 
 

GRECE et
ROME ( I )
 

----MYTHES
et-------
----RELIGIONS-----



Plutôt que de qualités divines, c'est de morale dont nous parle le poète Hésiode (vers - 800 - 600), en comparant l'activité des abeilles à l'oisiveté des faux-bourdons :

"Les dieux et les mortels haïssent également celui qui vit dans l'oisiveté semblable en ses désirs à ces frelons [les faux-bourdons, NDE] privés de dards qui, tranquilles, dévorent et consument le travail des abeilles".

Hésiode , Les Travaux et les Jours, traduction M. A. Bignan, 1841.

Lorsque, dans leurs ruches couronnées de toits, les abeilles nourrissent les frelons, qui ne participent qu'au mal, depuis le lever du jour jusqu'au soleil couchant, ces actives ouvrières composent leurs blanches cellules, tandis que renfermés au fond de leur demeure, les lâches frelons dévorent le fruit d'un travail étranger : ainsi Jupiter, ce maître de la foudre accorda aux hommes un fatal présent en leur donnant ces femmes complices de toutes les mauvaises actions.

Hésiode, Théogonie, traduction M. A. Bignan de 1841.

Homère (VIIIe s. avant notre ère, ou Pseudo-Homère, VIe s) introduit l'origine divine des abeilles, des vierges du Parnasse, et du miel, qu'elles reçoivent en un don divin (voir aussi : L'ANTIQUITE (3) GRECE ET ROME, CHRISTIANISME)

"Je te dirai encore, fils du grand Zeus et de l'illustre Maïa, Hermès, divinité utile aux dieux mêmes, il existe trois sœurs vénérables, vierges toutes les trois, et franchissant l'espace sur des ailes rapides, leur tête est couverte d'une blanche farine, elles habitent un vallon du Parnasse. Éloignées des hommes, elles m'enseignèrent l'art de révéler l'avenir pendant que j'étais enfant et que je gardais les troupeaux. Mon père ne prenait aucun soin de m'instruire de toutes ces choses. Elles voltigent de toutes parts, elles se nourrissent de miel et accomplissent toutes choses. Lorsqu'elles sont rassasiées de miel nouveau, ces vierges disent volontiers la vérité ; mais quand ce doux aliment des dieux vient à leur manquer, elles s'efforcent de détourner les hommes de la route qu'ils doivent suivre."

Homère, Hymne à Hermès, extrait de http://www.kulturica.com/lettres/hymne2.htm

 
Columelle, De re rustica, Livre IX

Au surplus, je serais disposé, plutôt que de les croire, à considérer comme des licences poétiques les traditions fabuleuses sur l'origine des abeilles, qu'Hygin a cru devoir répéter. En effet, il est indigne d'un homme des champs de rechercher s'il a existé une femme de la plus grande beauté, Mélisse, que Jupiter métamorphosa en abeille, ou bien si, comme le dit le poète Evhémère*, les abeilles, filles des frelons et du soleil, élevées par les nymphes Phryxonides, devinrent, dans une grotte de la Crète, les nourrices de Jupiter, qui, pour les récompenser, leur attribua pour aliment le miel dont elles avaient nourri son enfance.

Evhémère (Ευήμερος, Evémeros) de Messène (Evhemerus Messenius), vers 346 - 250, dont l'ouvrage principal est Hiera Anagraphè (Histoire sacrée) sur l'histoire des religions.


Ce don entraînera d'ailleurs, une espèce de concurrence entre les abeilles et les hommes, pour l'obtention du miel, qui finira par fâcher Zeus lui-même :

[234] LES ABEILLES ET ZEUS Les abeilles, enviant leur miel aux hommes, allèrent trouver Zeus et le prièrent de leur donner de la force pour tuer à coups d'aiguillon ceux qui s'approcheraient de leurs cellules. Zeus, indigné de les voir envieuses, les condamna à perdre leur dard, toutes les fois qu'elles en frapperaient quelqu'un, et à mourir après. Cette fable peut s'appliquer aux envieux qui consentent à souffrir eux-mêmes des maux qu'ils font.

Esope (vers - 620 à - 560), Fables, extrait de : http://www.reptilis.org/symbole%20arthro/Grecs.htm

 

 Fables d'Ésope

Esopi appologi sive mythologi cum quibusdam carminum et fabularum

Folio 181, Die Biene und Jupiter (Les abeilles et Jupiter)

Bâle: Jacob Wolff de Pforzheim, 1501

Mais revenons aux vierges d'Homère, qui sont les fameuses Thries (Thriai, Thriae) du Parnasse, figurées peut-être sur les plaques d'or de Camiros (image 11) : "Les sorts que l'on jettoit dans une urne se nommoient thries, du nom de trois nymphes de l'antiquité, qui demeuroient sur le Parnasse, & qui avoient été nourrices d'Apollon, dieu de la divination." Encyclopédie, ou Dictionnaire Raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers de Diderot et d'Alembert (1755-1772).

 11.
---12.
  
13.
 Grèce, île de Rhodes, Kameiros (Camiros), vers - 620 - 630, British Museum (image 11), Musée du Louvre (images 12 et 13).

 
image 11. Plaques (pectoral, ceinturon) en bronze doré repoussé, décorées de déesses-abeilles, qui représenteraient Artemis, très semblables à d'autres parures exhumées au même endroit lors des fouilles de l'archéologue et photographe Auguste Salzmann (1824-1872) et d'Alfred Biliotti, vice-consul de Londres à Rhodes, de 1852 à 1864 :
image12. "Maîtresse des animaux" (Artemis ? aux lions)
image 13. Centaure saisissant un lièvre.

Des déesses abeilles à l'Artémis d'Ephèse, nul doute qu'il y eut pendant des siècles des prêtresses accompagnées dans leurs dévotions de ces abeilles virginales et purifiantes :


 

Ephèse, Ve s. avant notre ère
monnaie en argent
Ø 15 mm
3,17 g

- à gauche : avers, avec abeille et lettres grecques E et F
- à droite : revers avec incuse*

* INCUSE : Se dit d'une face d'une monnaie qui présente la même gravure que l'autre face mais en creux. Ce type de frappe assez rare se rencontre dans les monnaies grecques antiques archaïques. Également utilisé pour des impressions sur la tranche des pièces de monnaie.

Selon Philostrate (Philostratos, Lucius Flavius Philostratus vers 170 - 247), les Athéniens venus coloniser l'Ionie ont été conduits par les Muses, qui ont pris la forme d'abeilles (Images ou Tableaux, 2, 8). Par contre, on lit un peu partout que Pausanias, dans son fameux Periegesis Hellados (Description de la Grèce) parle des prêtres d'Artemis comme des rois-abeilles, c'est totalement faux. Pausanias parle (Périégèse, VIII, 13, I) des histiatoras ("amuseurs") d'Artemis, que les Ephésiens appellent "Essênas", dont personne, semble t-il, ne connaît vraiment la signification (bien entendu sans rapport avec la secte célèbre des Esséniens).


Ephèse, IIe s. avant notre ère
tétradrachme en argent
Ø 18 mm
3,96 g

- à gauche : avers, avec abeille et lettres grecques E et F
- à droite : revers avec cerf et abeille, et mention : ΑΠΟΛΛΟΔΩP[ΟΣ] (Apollodor[os])

 

 

 

 

 

Musée archéologique d'Ephèse.
Grande Artemis
2,92 m de haut.
Matériaux : Marbre
Ier siècle

L'Artémis éphésienne, déesse anatolienne héritée du culte de Cybèle, dont on peut voir les attributs de griffons (autour de la tête) et de lions (sur les bras).
On l'appelle Artemis polymastros ("plusieurs seins", cette polymastie n'étant qu'une interprétation parmi d'autres : certains y ont vu des oeufs (fécondité), des abeilles (symbole d'Ephèse), mais on penche aujourd'hui pour des testicules de taureaux, immolés pour la déesse. Les prêtresses d'Artemis, mais plus généralement des Mystères (Rhéa, Déméter, Perséphone), étaient nommées Melissai* (sing Melissa, melissa ), terme issu de meli , le miel, transmis au latin mellis, melittus ("assaissonné de miel", qui a donné le nom de l'île de Malte, par exemple). Une de ces Melissa, prêtresse de Déméter, fut mise à mort pour n'avoir pas divulgué les Mystères de la déesse, et celle-ci fit naître des abeilles de son corps.

* Inschriften von Ephesus 2109

"Sur la robe d’Artémis on peut voir toute sortes d'animaux représentant les pulsions primaires et sur les côtés, en alternance , une abeille [mais aussi sur la ceinture, NDE] et une fée (du grec phémé et du latin fabula, parole). L’abeille est une métaphore de la parole. Le mot abeille [en hébreu, Dvora : Debora, Deborah, NDE] vient du phénicien Dbr qui veut dire parole. On appelait abeilles les prêtresses du Temple d’Artémis, les Pythonisses et tous ceux qui guérissaient par la parole. Assimilées à la parole l’abeille symbolise l’éloquence, l’intelligence et la poésie. Des légendes affirment que des abeilles se seraient posées sur la bouche de Pindare* quand il était enfant ainsi que sur celles de beaucoup d’autres poètes."

http://www.psychanalyse-paris.com/926-Artemis-d-Ephese-deesse-de-la.html

* voir plus bas, NDE

Homère parle peu des abeilles dans ses œuvres principales, l'Iliade et l'Odyssée, mais un passage de l'Iliade (Livre XIII) doit être évoqué pour sa riche symbolique, explorée par le néoplatonicien Porphyre (vers 234-305), dans L'antre des Nymphes (ΠΟΡΦΥΡΙΟΥ ΠΕΡΙ ΤΟΥ ΕΝ ΟΔΥΣΣΕΙΑΙ ΤΩΝ ΝΥΜΦΩΝ ΑΝΤΡΟΥ : Porphyrioy peri toy en odysseiay ton nymphon antroy, en latin De antro nympharum, que nous exposerons plus loin. Voyons d'abord le passage d'Homère :

"
Devant le port, il y a un olivier à grandes feuilles, proche d'une agréable grotte, obscure, consacrée aux Nymphes dites Naïades, au-dedans de laquelle se trouvent des cratères et des amphores de pierre, où les abeilles déposent leur miel. Il y a là de hauts métiers à tisser en pierre sur lesquelles les Nymphes tissent de pourpres manteaux - une merveille à contempler ; ici jaillissent des eaux perpétuelles ; il y a deux portes, l'une en direction de Boréas, est destinée à la descente (sur Terre) des hommes, tandis que l'autre, orientée vers Notus, réservée aux Dieux, n'est pas empruntée par les humains, car c'est la voie qu'empruntent les Immortels".

Les auteurs grecs (ou romains), tout en croyant à l'origine divine du miel, ne sont pas très cohérents sur la question, nous le verrons. Aristote est le plus emblématique de ces auteurs, car il transformera la croyance en une vérité scientifique, preuve à l'appui, croyance qui sera soutenue très longtemps, nous le verrons (voir prochain chapitre, CROYANCES ET SAVOIRS). Seul Ovide prétend connaître le premier découvreur de ce mets divin, Liber-Bacchus :

Voici que s'assemblent, guidés par ces tintements, des insectes inconnus,
ce sont des abeilles qui suivent les sons des cymbales.
Liber les recueille dans leur vol et les enferme au creux d'un arbre,
et pour récompense, il découvre le miel.

3, 745 Dès que les satyres et Silène, le vieillard chauve, eurent goûté cette saveur,
ils cherchèrent à travers tout le bois les blonds rayons de miel.
Le vieillard entend, au creux d'un orme, le bourdonnement de l'essaim* ;
il aperçoit les alvéoles de cire, mais il en dissimule la présence.
Paresseusement assis sur un âne à l'échine courbée,

* essaim sauvage : apes silvestres, ferae, rusticae, opposé à essaim domestique apes urbanae, cicures.


3, 750 il colle sa monture contre l'écorce creuse de l'orme.
Il se hisse dessus, prenant appui sur une branche
et cherche avidement le miel caché dans le tronc.
Des frelons par milliers arrivent et enfoncent leur dard
sur son crâne dénudé, marquant de piqûres sa face grimaçante.

3, 755 Il tombe, tête en avant, et reçoit un coup de sabot du petit âne ;
il pousse un cri et appelle ses compagnons à l'aide.
Les satyres accourent et se moquent du visage tuméfié
du vieux bonhomme ; lui boitille, avec son genou blessé.
Le dieu rit, lui aussi, et montre comment faire un cataplasme de boue ;

3, 760 le vieux suit ces conseils et s'enduit la face de boue.
Le miel est apprécié du Père Liber, et c'est à juste titre que nous offrons
à son inventeur des coulées de miel éclatant sur un gâteau chaud.
Pourquoi des galettes pétries par une femme ? La raison en est claire :
Ce sont des choeurs de femmes que Liber excite avec son thyrse.
 
Ovide, les Fastes, Livre III, Mars.
Traduction nouvelle annotée
par Anne-Marie Boxus et Jacques Poucet (2004)

extrait de : http://bcs.fltr.ucl.ac.be/FASTAM/F0-Intro.html

Mais revenons au début du texte d'Homère. Le symbolisme des cavités (grotte, antre, caverne, et mêmes vases) est très prisé des Grecs, en particulier des Néoplatoniciens, et si les abeilles étaient censées se trouver dans la grotte d'Ithaque, elles étaient aussi là, selon une tradition peut-être tardive, pour nourrir le grand Zeus lui-même, dans l'antre de sa terre natale, la Crète :

"Maintenant allons ! Je vais exposer les instincts merveilleux dont Jupiter lui-même a doté les abeilles, en récompense d'avoir, attirées par les bruyants accords et les retentissantes cymbales des Curètes, nourri le roi du ciel dans l'antre de Dicté."

(Virgile, vers - 70 à - 19, Les Géorgiques, Livre IV : Les Abeilles, 149).
 
Pour garder un bon souvenir de cette enfance, Zeus changera la couleur des abeilles :

"Je n'omettrai pas une autre circonstance très singulière qui concerne les abeilles. On raconte que Jupiter voulant que l'on conservât la mémoire de son séjour sur le mont Ida, changea leur couleur naturelle, et leur en fit prendre une autre qui approche du bronze doré, que d'ailleurs, cette montagne étant extrêmement haute et fort exposée aux vents et aux neiges, il rendit les abeilles de cette montagne insensibles à toutes les injures de l'air et à toute l'intempérie de leur séjour."

Diodore de Sicile (vers - 90 à - 20), La Bibliothèque historique, livre V, chapitre 70
extrait de : http://hodoi.fltr.ucl.ac.be/concordances/diodore_14/lecture/30.htm

Revenons encore au texte d'Homère et à l'interprétation de Porphyre, qui nous intéresse pour sa riche symbolique autour du miel divin et purificateur :

"Que signifient les cratères et les amphores où l’on ne dit pas qu'aucun breuvage soit versé, mais où les abeilles construisent leurs rayons comme dans des roches ? Puis ce sont les métiers très longs placés pour les Nymphes; mais pourquoi ne sont-ils pas faits de bois ou d'une autre matière, mais de pierre comme les amphores et les cratères ? (...) Mais pourquoi les amphores sont-elles pleines non d'eau mais de miel ? Car dit Homère,
les abeilles construisent leurs rayons.
tiqaibssein, c'est manifestement tiqnai et tn bsin, ce qui veut dire déposer la nourriture*; or les abeilles mangent et boivent du miel.

Les théologiens se sont servis du miel pour un grand nombre de symboles divers. Le miel en effet possède des propriétés nombreuses ; il purifie et conserve, grâce à lui beaucoup de choses restent incorruptibles et des blessures anciennes sont guéries par lui, il est doux à goûter et fait des fleurs par les abeilles qui naissent parfois des bœufs. Aussi en versant sur les mains de ceux que l'on initie aux mystères léontiques, afin de les laver, du miel au lieu d'eau, on leur prescrit de garder leurs mains pures de toute action fâcheuse, malfaisante et infâme, et parce que le feu purifie, on offre aux mystes ces effusions spéciales, l'eau étant écartée comme contrariant l'action du feu. Bien plus le miel purifie la langue de toute erreur. Mais en offrant du miel au Perse gardien des récoltes on symbolise sa fonction de gardien. C'est pour cette raison que certains ont pris pour du miel le nectar et l'ambroisie que le poète fait couler goutte à goutte dans les narines des morts pour empêcher la décomposition.
Car le miel est la nourriture des dieux. C'est pour cela encore qu'il appelle quelque part le nectar roux, sa couleur en effet est pareille à celle du miel. Mais nous examinerons ailleurs de plus près s'il faut entendre le miel dans le sens de nectar. Au reste, dans Orphée, Jupiter tend un piège à Saturne au moyen du miel : celui-ci gorgé de miel est pris d'ivresse et de vertige comme s'il avait bu du vin et s'endort ainsi que dans Platon, Poros après qu'il s'est gorgé de nectar. Car chez Orphée la nuit dit à Jupiter pour lui conseiller la ruse à l'aide du miel :
Quand tu le verras sous les chênes à la cime chevelue
Ivre des œuvres des abeilles au bourdonnement sonore, enchaîne-le.
Telle est l'aventure de Saturne : il est lié et châtré comme Uranus. Le poète théologien fait entendre par là que la volupté enchaîne les puissances divines et les fait tomber dans la génération et que celles-ci énervées perdent dans le plaisir une partie de leurs forces. Ainsi lorsque Uranus poussé par le désir du coït descend sur la terre il est châtré par Saturne. Pour les théologiens la douceur du miel qui allèche Saturne et le fait châtrer n'est pas autre chose que le plaisir du coït. Car Saturne le premier de ceux qui s'opposèrent à Uranus est aussi une sphère céleste ; et certaines forces descendent du ciel et des planètes ; mais Saturne recueille celles qui viennent du ciel et Jupiter celles qui viennent des planètes.
Le miel passant pour purifier, préserver de la corruption naturelle et exciter à la génération par l'attrait du plaisir est pris à juste titre pour symbole des Nymphes Hydriades parce que les eaux auxquelles président celles-ci sont incorruptibles, purificatrices et qu'elles aident à la génération. Car l'eau aide à la génération. Pour cette raison les abeilles construisent leurs rayons dans des cratères et des amphores. Les cratères symbolisent les sources (ainsi auprès de Mithra est placé un cratère en guise de source) et les amphores figurent les vases avec lesquels nous puisons l'eau des sources.
Les sources et les fontaines conviennent aux Nymphes Hydriades et particulièrement aux âmes nymphes que les anciens appelaient proprement abeilles parce qu'elles sont ouvrières de plaisir. Aussi Sophocle a-t-il dit des âmes sans inexactitude: L’essaim des morts bourdonne et monte.
Les anciens donnaient encore le nom d'abeilles aux prêtresses de Cérès en tant qu'elles étaient chargées d'initier aux mystères de la déesse souterraine et ils disaient Koré douce comme le miel. Ils appelaient aussi abeille la lune qui préside à la génération et d'un autre nom taureau ; car le signe du Taureau est le point d'exaltation de la lune ; et comme les abeilles naissent des bœufs, on nomme Née des bœufs les âmes qui vont vers la génération et Voleur de bœufs le dieu qui connaît les secrets de la génération.
On a fait aussi du miel le symbole de la mort (c'est pour cela qu'on offrait des libations de miel aux dieux souterrains) et du fiel le symbole de la vie, soit que l’on voulût signifier que la vie de l’âme périt par la volupté et renaît par l'amertume (de là vient qu'on offrait du fiel aux dieux), soit que l’on voulût faire entendre que la mort délivre de la douleur et que cette vie est pénible et amère.
Cependant on n'appelait pas indistinctement abeilles toutes les âmes qui vont vers la génération, mais celles-là seules qui devaient vivre selon la justice et retourner ensuite à leur lieu d'origine ayant accompli des œuvres agréables aux dieux. Car cet animal (l'abeille) aime à revenir à son point de départ et surtout il est juste et sobre : aussi appelle-t-on sobres les libations de miel. De plus les abeilles ne se posent pas sur les fèves ; celles-ci étaient regardées comme symbole de la génération rectiligne et rigide parce que presque seules de tout ce qui se sème, elles sont entièrement trouées et non interceptées par des membranes disposées entre les nœuds. Donc les rayons de miel et les abeilles étaient les symboles propres et communs aux Nymphes Hydriades et aux âmes qui, pareilles aux nouvelles mariées, ont pour but la génération."

traduction Joseph Trabucco (1918, Paris Emile Nourry Editeur)

Il est étonnant que Porphyre ne cite pas le passage de L'Iliade, si limpide sur le symbolisme du miel dans les rituels funéraires, qui raconte l'incinération du corps de Patrocle, célébré par Achille lui-même :

"Et le Roi des hommes, Agarnemnôn, l'ayant entendu, renvoya aussitôt le peuple vers les nefs égales ; et les ensevelisseurs, restant seuls, amassèrent le bois. Et ils firent le bûcher de cent pieds sur toutes ses faces, et, sur son faîte, ils déposèrent, pleins de tristesse, le cadavre de Patroklos. Puis, ils égorgèrent et écorchèrent devant le bûcher une foule de brebis grasses et de boeufs aux pieds flexibles. Et le magnanime Akhilleus, couvrant tout le cadavre de leur graisse, de la tête aux pieds, entassa tout autour leurs chairs écorchées. Et, s'inclinant sur le lit funèbre, il y plaça des amphores de miel et d'huile. Puis, il jeta sur le bûcher quatre chevaux aux beaux cous. Neuf chiens familiers mangeaient autour de sa table. Il en tua deux qu'il jeta dans le bûcher. Puis, accomplissant une mauvaise pensée, il égorgea douze nobles enfants des Troiens magnanimes. Puis, il mit le feu au bûcher, afin qu'il fût consumé, et il gémit, appelant son cher compagnon :
- Sois content de moi, ô Patroklos ! dans le Hadès, car j'ai accompli tout ce que je t'ai promis. Le feu consume avec toi douze nobles enfants des magnanimes Troiens. Pour le Priamide Hektôr, je ne le livrerai point au feu, mais aux chiens."

Homère, L'Iliade, chant XXIII,170, traduction Leconte de Lisle (1818-1894)
extrait de : http://philoctetes.free.fr/ilchant23.htm

De même que Patrocle, Achille sera honoré dans la mort comme un grand guerrier :

"Et nous avons pleuré dix-sept jours et dix-sept nuits, Dieux immortels et hommes mortels ; et, le dix-huitième jour, nous t'avons livré au feu, et nous avons égorgé autour de toi un grand nombre de brebis grasses et de boeufs noirs. Et tu as été brûlé dans des vêtements divins, ayant été parfumé d'huile épaisse et de miel doux ; et les héros Akhaiens se sont rués en foule autour de ton bûcher, piétons et cavaliers, avec un grand tumulte. Et, après que la flamme de Hèphaistos t'eut consumé, nous rassemblâmes tes os blancs, ô Akhilleus, les lavant dans le vin pur et l'huile ; et ta mère donna une urne d'or qu'elle dit être un présent de Dionysos et l'oeuvre de l'illustre Hèphaistos. C'est dans cette urne que gisent tes os blancs, ô Akhilleus, mêlés à ceux du Mènoitiade Patroklos, et auprès d'Antilokhos que tu honorais le plus entre tous tes compagnons depuis la mort de Patroklos. Et, au-dessus de ces restes, l'armée sacrée des Argiens t'éleva un grand et irréprochable tombeau sur un haut promontoire du large Hellespontos, afin qu'il fût aperçu de loin, sur la mer, par les hommes qui vivent maintenant et par les hommes futurs."

Homère, L'Odyssée, chant XXIV, 68, traduction Leconte de Lisle (1818-1894)
extrait de : http://philoctetes.free.fr/odchant24.htm

En fait, les offrandes de nourriture aux morts, dont le miel, ne concernaient pas seulement les guerriers (dont les fastes cérémonies sont frappantes) :

"Je verse sur la terre du tombeau, dit Iphigénie dans Euripide, le lait, le miel, le vin ; car c'est avec cela qu'on réjouit les morts"

Euripide, Iphigénie, 162, mais aussi Eschyle, Choéphores, 476 et Oreste, 115-125, Virgile, VI, 883.
extrait de la Cité Antique de Fustel de Coulanges
http://remacle.org/bloodwolf/livres/Fustel/livre1.htm#10

 
La Cité Antique, de Fustel de Coulanges

«Chez les Grecs, en avant de chaque tombeau il y avait un emplacement qu'ils appelaient "pura" et qui était destiné à l'immolation de la victime et à la cuisson de sa chair (11). Le tombeau romain avait de même sa culina, espèce de cuisine d'un genre particulier et uniquement à l'usage du mort (12). Plutarque raconte qu'après la bataille de Platée les guerriers morts ayant été enterrés sur le lieu du combat, les Platéens s'étaient engagés à leur offrir chaque année le repas funèbre. En conséquence, au jour anniversaire, ils se rendaient en grande procession, conduits par leurs premiers magistrats, vers le tertre sous lequel reposaient les morts. Ils leur offraient du lait, du vin, de l'huile, des parfums, et ils immolaient une victime. Quand les aliments avaient été placés sur le tombeau, les Platéens prononçaient une formule par laquelle ils appelaient les morts à venir prendre ce repas. Cette cérémonie s'accomplissait encore au temps de Plutarque, qui put en voir le six centième anniversaire (13). Un peu plus tard, Lucien, en se moquant de ces opinions et de ces usages, faisait voir combien ils étaient fortement enracinés chez le vulgaire. "Les morts, dit-il, se nourrissent des mets que nous plaçons sur leur tombeau et boivent le vin que nous y versons ; en sorte qu'un mort à qui l'on n'offre rien, est condamné à une faim perpétuelle (14)."

(11) Euripide, Électre, 513.
(12) Festus, v. Culina.
(13) Plutarque, Aristide, 21.
(14) Lucien., De luctu. Cicéron, Pro Flacco, 38. »

extrait de : http://remacle.org/bloodwolf/livres/Fustel/livre1.htm#10


Cependant, Lucien évoque ses doutes par la bouche de Mercure :

"CHARON. Pourquoi donc couronnent-ils ces pierres et les frottent-ils de parfums, tandis que d'autres, élevant un bûcher près des tombes, creusent des fosses, y font cuire des mets splendides et y versent, si je ne me trompe, du vin et de l'hydromel.
MERCURE. Je ne sais pas, nocher, à quoi cela peut servir, quand on est chez Pluton. Ils s'imaginent peut-être que les âmes volent d'en bas vers les dîners qu'on leur présente, qu'elles se régalent de la fumée des viandes et qu'elles boivent l'hydromel répandu sur les fosses.
CHARON. Eux ! boire et manger, des crânes tout secs ! Tu te rirais de moi, si je te parlais de cette façon, à toi qui les conduis ici tous les jours."

Lucien, Charon ou les Contemplateurs, XXII.
extrait de : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Lucien/charon.htm#20a


Le miel a été aussi un moyen de chasser les mauvais esprits, thème que l'on trouve à plusieurs reprises, chez Apollonius, avec Médée. Le miel n'est pas cité, mais on ne voit pas comment il pourrait être absent de la liqueur avec laquelle la magicienne endort le dragon qui veille sur la Toison d'or :

"Tels qu'on voit du milieu d'une forêt embrasée s'élever des tourbillons de fumée qui se succèdent sans cesse et forment mille contours dans les airs, tels paraissent les replis innombrables du dragon, qui s'agite avec fureur et dont le corps est couvert d'écailles éclatantes. Médée s'avance hardiment vers lui en invoquant la redoutable Hécate et priant doucement le Sommeil, le plus secourable de tous les dieux, d'assoupir le monstre. Jason la suit, non sans effroi, mais bientôt le dragon, dompté par la force du charme, abaisse ses replis menaçants et s'étend en une infinité de cercles (9), semblable à un flot qui se répand sans bruit sur le rivage. Cependant il lève encore la tête et cherche de tous côtés sa proie en ouvrant une gueule effroyable. Médée, secouant un rameau de genièvre nouvellement coupé, lui répand sur les yeux une liqueur enchantée qui l'endort (10). Sa tête retombe sur la terre et son corps tortueux couvre au loin la forêt. Jason alors, par l'ordre de Médée qui se tenait toujours auprès du monstre et ne cessait de faire agir le charme, enleva la Toison de dessus l'arbre. Ils sortirent ensuite de la forêt et retournèrent vers le vaisseau."

Apollonius de Rhodes (vers - 295 - 215, Argonautiques, 4, 127-166)

Chez Apulée ou Virgile, avec l'épisode de Psyché (Apulée) ou de la sybille (sorte de prophétesse, Virgile) qui endorment le chien monstrueux à trois têtes, Cerbère :

 
"(VI, 18, 1) Lacédémone, cette noble cité de l'Achaïe, n'est pas loin; elle touche au Ténare, où l'on n'arrive que par des sentiers peu connus; c'est un soupirail du sombre séjour de Pluton. Osez vous engager dans sa bouche béante : devant vous s'ouvrira une route où nul pas n'a laissé sa trace, et qui va vous conduire en ligne directe au palais de l'Orcus; mais il ne faut pas s'aventurer dans ces ténèbres les mains vides. Ayez à chaque main un gâteau de farine d'orge pétri avec du miel, et à la bouche deux petites pièces de monnaie."
(...)
(VI, 20, 1)Ainsi parla cette tour prévoyante en véritable oracle. Psyché dirige aussitôt ses pas vers le Ténare. Munie de ses deux oboles et de ses deux gâteaux, elle descend rapidement le sentier souterrain; passe, sans mot dire, devant l'ânier boiteux; donne le péage au nocher, reste sourde aux instances du mort qui surnage; ne tient compte de l'appel insidieux des tisseuses; et, après avoir endormi, en lui abandonnant son gâteau, la rage du gardien infernal, elle pénètre dans la demeure de Proserpine.

Apulée, vers 125 - 170
Les Métamorphoses, Livre VI
Le conte d'Amour et de Psyché
extrait de : http://bcs.fltr.ucl.ac.be/apul/amor12.html

 

 "Un gâteau sommeilleux lui jette promptement,
Détrempé dans le miel mêlé d’un jus charmant.
Ses trois gosiers ouvrant d’une ardeur affamée,
Il engloutit en l’air la galette charmée.
Le Monstre tôt après au somme a succombé,
Son puissant dos maté croulant est retombé,
Et l’énorme largeur de l’échine et du ventre
Sur la terre épandue emplit le sein de l’Antre.
"


Virgile, L'Enéïde, VI, 419
Traduction de Marie de Jars, Demoiselle de Gournay,
in Les Advis ou les presens de la demoiselle de Gournay, 1641.
extrait de : http://www.gelahn.asso.fr/docs88.html

Porphyre évoque sans s'y attarder le rôle du miel dans les rituels religieux (le texte parle de libations), et il est clair que ce rôle était important dans l'antiquité, en Grèce à Rome, mais aussi en Egypte (voir ABEILLE INDUSTRIELLE, La parfumerie). Citons de nouveau Apollonius, en l'honneur de Zeus (Jupiter) :


"A cette vue, Circé comprenant le sujet de leur arrivée, adora la justice de Jupiter qui déteste le meurtre, mais se laisse fléchir aux prières des suppliants. Aussitôt elle commença les cérémonies usitées dans ces occasions, pour purifier les criminels. Elle étendit d'abord sur l'autel un jeune pourceau qui têtait encore sa mère, et l'ayant égorgé, elle teignit de son sang les mains des deux coupables. Elle répandit ensuite des libations en implorant la clémence de Jupiter, et lorsque les Naïades qui la servaient eurent emporté hors du palais toutes les choses dont elle venait de se servir, elle fit brûler devant le foyer des gâteaux et d'autres offrandes mêlées de miel, en versant dessus des libations exemptes de vin, afin d'apaiser la colère des redoutables Euménides et d'adoucir même la malheureuse victime du forfait, soit que le sang répandu par les coupables fût celui d'un étranger ou d'un de leurs concitoyens."

Apollonius de Rhodes, L'expédition des Argonautes ou La conquête de la toison d'or
Poème en quatre chants, chant quatrième, traduction J.J.A Caussin
extrait de : http://remacle.org/bloodwolf/poetes/falc/apollonius/livre4.htm

Théocrite, en l'honneur d'Adonis :

"Voici encore tous les mets que, sur le plateau, apprêtent les femmes,
mêlant des fleurs variées à la blanche farine,
avec tout ce qu'ajoutent miel suave et macération dans l'huile fine."

THEOCRITE, vers 311 - 260, Idylles, XV, La Chanteuse, vers 115-117
Les Syracusaines ou Les femmes qui fêtent Adonis
Traduction nouvelle annotée par
Marie-Paule LOICQ-BERGER
extrait de : http://bcs.fltr.ucl.ac.be/theocrite/SyracIntro.html#editions

Tibulle, à Osiris, puis aux Lares (les Genii loci des Romains, dieux domestiques qui veillaient sur les maisons, les carrefours, etc.) :

"Viens ici et célèbre avec nous le génie par des jeux, le génie par des choeurs ; baigne tes tempes de flots de vin. Que les onguents ruissellent de la chevelure brillante, que sa tête et son cou portent de souples guirlandes. Oui, viens ce jour, tandis que je t'apporte en hommage de l'encens, et de doux gâteaux au miel de l'Attique."

Mais vous, Lares de mes pères, sauvez-moi, vous qui m'avez nourri, lorsque, petit enfant, je courais à vos pieds. Ne rougissez pas d'être formés d'un vieux bois : c'est ainsi que vous habitiez l'antique demeure de mon aïeul. On observait mieux sa foi, lorsque, objet d'un pauvre culte, un Dieu de bois se dressait dans une étroite chapelle. On l'apaisait, soit en lui offrant une grappe de raisin, soit en ceignant d'une couronne d'épis sa chevelure sacrée, et celui dont le voeu avait été exaucé lui apportait lui-même des gâteaux, accompagné de sa petite fille qui tenait derrière lui un pur rayon de miel. Ah ! Dieux Lares, écartez de nous les traits d'airain, et pour victime vous aurez une truie rustique de mon étable pleine ! Je le suivrai avec un vêtement pur, et je porterai une corbeille couronnée de myrte, le myrte aussi couronnant ma tête.


Tibulle (Albus Tibullus, vers 54 - 19), Elégies I : 7, 50 ; 10, 15.

Nous ne nous étonnerons pas que ce soit un autre Néoplatonicien, un des derniers, qui commence sa biographie de Platon en donnant aux abeilles, après Pline (Histoire Naturelle, Livre. XI, ch. 16), le rôle sacré de remplir sa petite bouche de bébé de rayons de miel, sur le mont Hymette, connu jusqu'aujourd'hui pour être une région apicole (Olympiodore, La Vie de Platon, introduction au commentaire de l’Alcibiade, VIe s). Pindare, bien avant lui, aurait eu ce privilège divin, dont le thème se retrouve chez les premiers auteurs chrétiens (voir LES DEBUTS DU CHRISTIANISME) et que les byzantins ont repris au sujet du poète grec :

"Encore enfant, selon Chamaléon et Istros, il fut pris par une étrange fatigue, alors qu'il chassait sur l'Hélicon ; puis il visité par une abeille qui déposa des rayons de cire sur ses lèvres. On dit aussi, qu'après avoir vu dans un rêve sa bouche regorgeant de miel, il devint poète."

"Biographie ambroisienne", auteur anonyme

"Nourrisson encore ; une abeille vint par là,
Et rejeta son miel sur ses lèvres d'enfant."

La Vie métrique d'Eusthate de Thessalonique (XIIe siècle)

extraits de : http://remacle.org/bloodwolf/poetes/falc/pindare/pindaredivers.htm
 

 

 

"Dédale n’apparaît qu’une fois dans l’Iliade, au chant 18 et à propos d’une place de danse à Cnossos. Selon Sarah Morris (1992), c’est seulement au Ve siècle [avant notre ère, NDE] que se forge la légende d’un Dédale sculpteur et architecte, qui trouve cependant son origine dans des influences proche-orientales."


extrait de : http://tc.revues.org/document1164.html

"Dédale demeura longtemps chez Cocalus, et se fit admirer des Sicaniens par ses talents. Il construisit dans la Sicile plusieurs ouvrages qui sont parvenus jusqu'à nous.... Il dédia ensuite à Vénus Erycine une ruche d'or, travail admirable qui imitait à s'y méprendre une ruche véritable. Il exécuta en Sicile beaucoup d'autres travaux d'art que le temps a détruits."
Diodore de Sicile, La Bibliothèque historique, livre IV, chapitre 78

extrait de : http://hodoi.fltr.ucl.ac.be/concordances/diodore_04/lecture/78.htm
 

Ovide, Métamorphoses, 8, 182-235

"8, 182 Durant ce temps, Dédale avait pris en haine la Crète
et son long exil. Il ressentait la nostalgie de son pays natal
8, 185 et, voyant la mer fermée devant lui, il dit : « Que les terres et les ondes
me fassent obstacle, soit ! Mais le ciel reste ouvert. Nous irons par là ;
Minos peut bien maîtriser tout, il n'est pas maître de l'air. »
Sur ces paroles, il se concentre sur un art inconnu et impose à la nature
des lois nouvelles. En effet, il dispose des plumes régulièrement,
8, 190 commençant par la plus petite, les plus courtes suivant les longues :
on les croirait poussées sur un plan incliné ; c'est ainsi qu'un jour
apparut peu à peu la flûte rustique, faite de roseaux inégaux.
Alors, il attache les plumes centrales avec du lin et celles d'en bas
avec de la cire, et, une fois ainsi disposées, il les incurve légèrement
8, 195 pour imiter les vrais oiseaux. Le petit Icare se tenait près de lui
et, le visage rayonnant, ignorant qu'il manipulait un danger pour lui,
tantôt il saisissait les plumes déplacées par la brise vagabonde,
tantôt, à l'aide de son pouce, il amollissait la cire blonde,
et par ses jeux entravait le travail étonnant de son père.
8, 200 Lorsqu'il eut mis la dernière main à l'oeuvre entreprise,
l'artisan équilibra lui-même son corps entre ses deux ailes
et resta suspendu dans l'air qu'il mettait en mouvement.
Il équipa aussi son fils et dit : « Icare, je te conseille de voler
sur une ligne médiane, car, si tu vas trop bas, l'eau risquerait
8, 205 d'alourdir tes plumes, et trop haut, le feu du soleil pourrait les brûler.
Vole entre les deux. Ne regarde ni le Bouvier, ni Hélicé
ni l'épée brandie d'Orion, c'est mon ordre ; suis ta route,
en me prenant pour guide ! » En même temps, il lui transmet
les règles du vol et adapte à ses épaules des ailes qu'il ne connaît pas.
8, 210 Pendant que l'homme mûr s'affairait et donnait ses conseils,
ses joues se mouillèrent et ses mains de père se mirent à trembler.
Il donna à son fils des baisers qu'il ne répéterait plus et, soulevé
par ses ailes, il s'envole le premier, soucieux de son compagnon,
comme l'oiseau qui pousse du nid dans l'espace sa tendre progéniture ;
8, 215 Dédale l'exhorte à le suivre, l'initie à son art maudit,
agite ses propres ailes et se retourne, regardant celles de son fils.
Un pêcheur prenant des poissons à l'aide d'un roseau tremblant,
un berger appuyé sur son bâton, un laboureur penché sur sa charrue,
les virent, restèrent interdits et prirent pour des dieux ces êtres
8, 220 capables de voyager dans l'éther. Déjà, sur leur gauche, se trouvait
l'île de Junon, Samos – ils avaient dépassé Délos et Paros – ;
sur leur droite se trouvaient Lébinthos et Calymné, riche en miel.
C'est alors que l'enfant se sentit grisé par son vol audacieux,
et cessa de suivre son guide ; dans son désir d'atteindre le ciel,
8, 225 il dirigea plus haut sa course. La proximité du soleil bientôt
ramollit la cire parfumée qui servait à lier les plumes.
La cire avait fondu ; Icare secoua ses bras dépouillés
et, privé de ses ailes pour ramer, il n'eut plus prise sur l'air,
puis sa bouche qui criait le nom de son père
8, 230 fut engloutie dans la mer azurée, qui tira de lui son nom.
De son côté, son malheureux père, qui n'est plus père désormais,
déclara : « Icare, où es-tu ? Dans quel endroit dois-je te chercher ? »
« Icare, » disait-il ; il aperçut sur l'eau des plumes,
maudit son art et honora d'un tombeau le cadavre de son fils,
8, 235 et cette terre fut désignée par le nom du défunt inhumé.

extrait de : http://bcs.fltr.ucl.ac.be/metam/met08/m-08-152-259.htm


 
 



Statuette de cire mutilée à usage de defixio
contenant un morceau de papyrus sur lequel la partie d'un charme est écrite
Egypte romaine , le 2ème siècle ap J.-C.
British Museum, EA 37918, hauteur 7,6 cm, Egypte ou Soudan

"L'envoûtement criminel ou amoureux par le biais d'images de cire ou de terre est bien attesté dans l'antiquité gréco-romaine (notamment sous le nom de defixiones)
La deuotio (devotio, NDE) est à rattacher au verbe "dévouer", au sens ancien du terme en français, venu du latin (verbe deuouere) et qui signifie vouer quelqu'un à une divinité, à une puissance surnaturelle. On "dévouait" ainsi à Rome aux dieux infernaux quiconque passait le Rubicon. Le particulier qui veut agir contre un adversaire conclut avec les divinités souterraines une sorte de pacte : il leur donne son adversaire (c'est-à-dire, en fait, sa vie toute entière, ou certaines de ses fonctions vitales) et prie alors ces divinités d'accomplir ce qu'il ne peut faire lui-même.
 
La defixio désigne le procédé par lequel on exécute la deuotio. Il s'agit donc d'un rite d'envoûtement. Comme nous l'avons dit plus haut dans l'introduction, l'instrument en est le plus souvent des tablettes de plomb, roulées ou pliées et percées d'un ou plusieurs clous. Il faut rattacher ce mot au verbe latin defigere (= ficher, clouer). En terme de magie "defigere" c'est "percer l'image de quelqu'un", d'où l'envoûter. Le clou n'a pas seulement pour rôle (cf. Introduction) de clore la tablette mais d'affirmer la force de la volonté du rédacteur sur le destinataire qu'il veut, en quelque sorte, assujettir (Ovide, Amours). La différence avec le katadesmos (= ligature) grec est que l'envoûtement, ici, se fait par un lien (du verbe deisthaï) vers le bas (sens du préfixe kata-) ; de "lier vers le bas", on passe aisément au sens d'"immobiliser" mais le mot latin defixio s'est très vite employé aussi pour les envoûtements grecs.
 
La defixio s'emploie dans différentes circonstances dont nous ne citerons que les plus courantes : faire perdre son adversaire dans un concours athlétique ou un procès susciter l'amour chez une personne aimée ou la détacher d'un autre attaquer les calomniateurs ou les voleurs. Ces défixions sont souvent accompagnées du nom d'une divinité à qui l'on "confie" l'adversaire visé. Assez souvent on trouve une grande liste de dieux avec leurs qualificatifs ; ces listes sont d'ailleurs tout à fait hétéroclites : dans les dieux du panthéon grec habituel se trouve mêlé très souvent le nom d'Adonaï, terme hébreu par lequel on désigne le Seigneur. Les divinités en question sont, en majorité, les dieux d'en bas, du centre de la terre : renversement du culte civique quotidien adressé aux dieux d'en haut. Ce renversement est d'ailleurs une des caractéristiques des actes de magie.
 
Les premières défixions citées, appelées défixions judiciaires, sont très nombreuses à Athènes vers le Ve-IVe siècles. Les malédictions de ces tablettes souhaitent souvent le mutisme chez l'adversaire (Defixiones tabellæ) : priver de logos un Grec est certes la pire des calamités ! Mais on peut souhaiter aussi à un adversaire en justice une bonne et définitive maladie (Papyrus grecs magiques).
 
Dans les défixions qui concernent les amants ou amantes on assiste à de rageuses malédictions, qui visent les différentes parties du corps qui servent à se séduire, s'étreindre ou faire l'amour. Ces malédictions ont pour but de séparer des êtres unis par un amour illégal ou immoral. Évidemment les souhaits de mort abondent dans ces malédictions remplies de haine (Defixiones tabellæ).
 
La tablette de plomb qui porte ces défixions peut être accompagnée d'une figurine de cire, de terre ou de plomb dans laquelle on a enfoncé aiguilles ou clous pour rendre malade ou impuissant, pour tuer ou pour rendre amoureux. Beaucoup de ces figurines, notamment celles trouvées à Délos, ont été volontairement mutilées. Il y a même une sorte de rituel dans la fabrication de ces figurines (Papyrus grecs magiques). On peut aussi se servir d'autres objets que des figurines, par exemple des objets ayant appartenu à la personne visée et que l'on détruit (Virgile, Énéide). Il en est resté, même jusque dans les temps modernes, l'habitude d'écraser coquilles d'escargots ou d'oeufs pour éviter qu'on ne s'en serve à des fins maléfiques ...
 
Papyrus ou tablettes présentent, dans le corps de l'inscription, des mots magiques (sans aucune signification) disposés en carrés ou en triangles isocèles (pointe tournée vers le bas puisqu'on demande l'aide des divinités souterraines), ou constituant le karkinos (= "crabe" qui marche à reculons) c'est-à-dire un vers rétrograde ou palindrome."

extrait de :
http://www.ac-versailles.fr/pedAGOGI/anti/magie/magie07.htm


 
Sources :
 
- http://jfbradu.free.fr/GRECEANTIQUE/turquie/ephese/musee/13musee-ephese.htm (artemis-ephese)
- http://www.mediterranees.net/mythes/centaures/daremberg.html (dessin camiros)
- http://www.insecula.com/us/oeuvre/O0005232.html (camiros bijou déesse centaures)
- http://www.uni-mannheim.de/mateo/desbillons/esop.html (Ésope)
 

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