ENCYCLOPEDIE -DE--LA--LANGUE -FRANÇAISE
 

-ABEILLE
----
-
LES ABEILLES ET LES HOMMES
( IV )

croyances,
savoirs
et
apiculture

1-----2
 
 

GRECE et ROME ( II )

CROYANCES
ET
SAVOIRS ( 1 )


1.
Pline, Histoire Naturelle,1472, Manuscrit enluminé pour les Médicis
2. Giovanni (Giovan) Pietro Bellori (Rome,1613-1696). Veterum illustrium Philosophorum, Poetarum, Rhetorum et Oratorum Imagines (1685).
Gravure représentant Aristomachus de Cilicie dont Pline (Hist. Nat. XI, 9) disait qu'il avait observé ses ruches pendant 58 ans, pendant que Phyliscus de Thasos (Thassos) en élevait au désert. Cette gravure, d'après Lalanne (Biographie Portative universelle, col. 74), serait la représentation d'une cornaline antique. Qui pourra nous expliquer l'étrangeté de cette ruche ? qui ne paraît antique en aucun cas.


 
Entre tous, le premier rang appartient aux abeilles, et elles méritent la principale admiration, étant seules, parmi tous les insectes, faites pour l'homme.

Pline, Histoire Naturelle, Livre XI, ch. 4
traduction Emile Littré
Paris : Dubochet, 1848-1850.


 
INTRODUCTION
 

Ce serait en Grèce, avec Aristote (-384/-322), qu'on se serait intéressé pour la première fois de manière rationnelle aux animaux. "L'occupation, appliquée aux essaims (examinum, sing. examen) d'abeilles, ne paraît pas avoir été réglementée par les jurisconsultes grecs, comme elle l'a été par les jurisconsultes romains. Solon et Platon ne se sont guère occupés des abeilles qu'au point de vue de l'économie rurale".
(extrait du Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio, par Charles Daremberg; Edmond Saglio, Edmond Pottier, Georges Louis Lafaye, 1877-1919, 10 vol.).

Le seul exemple de l'abeille va nous permettre de comprendre que l'esprit scientifique grec n'a pas balayé d'un coup la mentalité religieuse dans la manière de penser le monde, mais que ce reliquat mythologique n'a pas empêché Aristote de poser les bases d'une approche scientifique du monde vivant. Pour Aristote,en effet, le mode opératoire magique n'est accepté que sous réserve, en attendant que l'observation le confirme ou l'infirme :
"Telle semble être la vérité en ce qui concerne la naissance des abeilles, à en juger d'après la théorie et d'après ce que nous pensions être les faits à leur sujet; ces faits, cependant, n'ont pas encore été suffisamment bien saisis, et s'ils le sont une fois, alors ils faudra tenir compte davantage des observations que des théories, et des théories seulement si ce qu'elles affirment est en accord avec les faits observés." (Peri geneseos kai phthoras, plus connu sous son titre latin, De Generatione et corruptione, De la génération et de la corruption).

Nous allons maintenant examiner les connaissances supposées ou réelles que les Grecs et les Romains avaient de l'abeille, avant d'aborder l'apiculture antique. Celles-ci se basent largement sur L'Histoire des Animaux d'Aristote (Historiai peri ta zoa, en latin Historia des animalibus, écrit vers 347-342), le premier à avoir fait une synthèse de cette question et que nous étudierons au travers de la traduction anglaise de D'Arcy Wentworth Thompson (biologiste et mathématicien écossais, 1860 -1948), dont nous avons traduit le Livre V et le chapitre 40 du Livre IX. Après Aristote, s'il est fait de nombreuses allusions aux abeilles et à leurs productions il faudra, sauf exception, attendre les auteurs latins pour voir apparaître de nouveau un intérêt autre qu'économique, poétique ou mythique pour nos petites abeilles, à l'exception du mathématicien d'Alexandrie, Pappus (IVe siècle), qui s'est intéressé à la géométrie des cellules. Au début du livre V de ses Collections Mathématiques (Mathematikai synagogai),"il considère cette forme de la section des alvéoles comme étant motivée par la double condition de recouvrir le plan et de correspondre au périmètre minimum pour une surface donnée."
extrait de : http://hypo.ge-dip.etat-ge.ch/www/math/html/amch19.html

On continuera dans le monde romain à mélanger mythe, observation et poésie. Citons les auteurs latins principaux qui ont écrit sur l'abeille, par ordre chronologique :
- Varron (Marcus Terentius Varro, vers -116 à - 27), consacre aux abeilles une grande partie du chapitre 16 du Livre III de son De re rustica (De l'Agriculture).
- Virgile ( Publius Vergilius Maro, - 70 à -19) leur a réservé le Livre IV de ses Géorgiques (vers - 39).
- Columelle (Lucius Iunius Moderatus Columella, vers 4 - 70), consacre aux abeilles le chapitre IX de son De re rustica (De l'Agriculture, Economie rurale).
- Pline l'Ancien (Caius Plinius Secundus, 30 - 79) parle longuement des abeilles dans son livre XI de son Histoire naturelle (Historia Naturalis, Naturalis Historiae Liber), aux paragraphes 4 à 23, reproduits ci-après : Livre XI-2-4, Livre XI-4-8, Livre XI-8-10, Livre XI-10-13, Livre XI-13-15, Livre XI-15-16, Livre XI-16-17, Livre XI-18-19, Livre XI-19-21, Livre XI-21-24.
- Palladius (Palladius Rutilius Taurus Aemilianus, vers 408/431 - 457/461 a traité des abeilles dans son De re rustica, Livre I, 37-39 et IV, 15.

Nous vous proposons d'examiner maintenant la conception que se sont forgés les savants de l'antiquité gréco-romaine sur le petit monde des abeilles, les sources étant chaque fois citées pour que chacun puisse, à sa guise, puiser (presque) directement à la source, quand cela est possible, en cliquant sur les liens précités.

L'ORIGINE DES ABEILLES

(Pour les origines mythologiques, voir GRECE ET ROME - MYTHE ET RELIGION).

 
"Ces mœurs ont fait penser que les abeilles participaient de l'âme divine, qui anime tous les êtres. D'après ces signes et suivant ces exemples, [4,220] on a dit que les abeilles avaient une parcelle de la divine intelligence et des émanations éthérées"

Virgile, Géorgiques, IV, Les Abeilles

extrait de : http://bcs.fltr.ucl.ac.be/Virg/georg/georgiv.html


Aristote ne parle pas de l'origine des abeilles et aurait peut-être fait sienne la phrase de Columelle, en changeant la profession : "Il n'appartient pas plus aux agriculteurs de savoir quand et où sont nées les abeilles", origine à propos de laquelle les auteurs latins ont une opinion étrange que nous explique Varron (voir aussi De l'Agriculture, Livre III, ch 16) ou Columelle (voir De re rustica), mais aussi, avec forces détails du mythe d'Aristée, Virgile (Géorgiques, Livre IV) : c'est la bougonie :

"Je sais enfin que les abeilles qui nous donnent le miel le plus doux naissent du cadavre d’un bœuf en putréfaction; ce qui fait que les Grecs les appellent βούγονας* (nées d’un bœuf), expression que Plautius a latinisée, lorsqu’il disait au préteur Illyrius, accusé d’avoir écrit contre le sénat : « Soyez tranquille, je vous rendrai aussi innocent que celui qui a écrit la Bugonia (naissance des abeilles).»" (Varron, De l'Agriculture, Livre II)

*βούγονας [bougonas] : la bougonie (bugonie, bugonia, bougonia).

Pline est semble t-il le seul à élargir cette bougonie aux guêpes, aux frelons, reproduits avec un cadavre de cheval, et aux scarabées, reproduits dans celui d'un âne (Hist. Nat. Livre XI, ch. 23)

Ecoutons l'intéressant propos de Jérôme Wilgaux sur le livre de Gilles Tétart, Le Sang des fleurs. Une anthropologie de l’abeille et du miel :

"L’étude du procédé de la bougonie – Aristée reconstituant son essaim d’abeilles à partir de la chair en décomposition de bœufs immolés – permet à l’auteur d’approfondir ses interprétations et, à partir d’une analyse conjointe des thèmes de la putréfaction, de la fécondité et de la virginité, de montrer comment miel et abeilles interrogent les représentations antiques de la production de substances génératives ou nutritives et, par là même, des rapports entre régime alimentaire, procréation et comportement sexuel. Au final, le miel est une substance qui dépasse et inverse les oppositions constitutives de la condition humaine (mortalité/succession des générations ; masculin/féminin) en associant régénérescence et reproduction asexuée."

Extrait de : Jérôme Wilgaux, Gilles Tétart, Le Sang des fleurs. Une anthropologie de l’abeille et du miel. Préface de Françoise Héritier. Paris, Odile Jacob, 2004, 284 p., bibl., L'Homme, 177-178, Chanter, musiquer, écouter, 2006
http://lhomme.revues.org/document2312.html

   Illustration de la bougonie chez Virgile (Les Géorgiques) dans un livre imprimé à Lyon en 1517,
 


CLASSIFICATION

 

    Dialogues de PLATON (428-348/47)
    Le Ménon
    72 a-c

    SOCRATE – Il me semble que j'ai vraiment beaucoup de chance, Ménon, si, cherchant une
    unique vertu, j'ai débusqué un essaim de vertus installé chez toi. Eh bien, Ménon, en continuant
    avec cette image, celle de l'essaim, si, ayant, moi, demandé, ce qu'est une abeille dans sa réalité, tu répondais qu'il en est de toutes sortes, que me répondrais-tu, si je te demandais : « Quand tu
    déclares qu'il y a des quantités d'abeilles de toutes sortes et différentes les unes des autres, veux-tu dire qu'elles sont différentes en tant qu'abeilles, ou bien, ce qui les distingue, n'est pas autre chose que cela, par exemple la beauté, la taille et certains caractères du même genre? Dis-moi, si je t'interrogeais ainsi, que répondrais-tu ?
    MÉNON – Moi ? Ceci : qu'en tant qu'elles sont des abeilles, il n'y a aucune différence entre deux d'entre elles.
    SOCRATE – Or, si je te demandais ensuite : « Eh bien, Ménon, dis-moi quelle est cette propriété qui, sans créer la moindre différence entre ces abeilles, fait qu'elles sont toutes la même chose. D'après toi, qu'est-ce que c'est ? » A coup sûr, tu saurais me le dire!
    MÉNON – Oui.
    SOCRATE – Eh bien, c'est pareil aussi pour les vertus! Même s'il y en a beaucoup et de toutes
    sortes, elles possèdent du moins une seule forme caractéristique identique chez toutes sans
    exception, qui fait d'elles des vertus. Une telle forme caractéristique est ce qu'il faut bien avoir en vue pour répondre à qui demande en quoi consiste la vertu.


Au Livre IV, Aristote montre clairement son souci de classifier les insectes :

"Continuons maintenant d'examiner les insectes de la même manière. Ce genre comprend beaucoup d'espèces et, quoique plusieurs espèces soient clairement rapprochées les unes des autres, celles-ci ne sont pas classées sous une désignation commune, comme dans le cas de l'abeille, le bourdon*, la guêpe et d'autres insectes similaires et cela vaut aussi pour ceux qui, par exemple, ont leurs ailes dans une gaine ou une carapace..."

* BOURDON : voir plus loin le § sur les faux-bourdons.

Nous avons déjà l'impression, à ce stade, qu'Aristote a une idée assez confuse sur la classification des animaux, sans parler de l'assimilation des bourdons (faux-bourdons) à une espèce à part entière. Ce qui ne l'empêche pas d'établir des différences, par exemple entre les animaux dont l'aiguillon est externe (scorpion) ou interne (abeilles, guêpes), les insectes diptères (la mouche) des tétraptères (abeilles), et répète encore que certains ont des ailes "gainées" ou non (Livre IV, chapitre 7).Un peu plus loin, notre petite abeille prend même sa place parmi un ensemble d'animaux, après que l'auteur a classé les mammifères, les poissons et les oiseaux :

"On peut classer tous les autres animaux, avec très peu d'exceptions, dans quatre genres : les mollusques, les crustacés, les testacés (coquillages) et les insectes. Parmi ces quatre genres, les mollusques, les crustacés et les insectes ont tous des sens : en tout cas, ils possède la vue, l'odeur et le goût. Quant aux insectes, tant ailés qu'aptères, ils peuvent détecter la présence d'objets parfumés, telles les abeilles qui détectent la présence de miel à distance."

Au Livre IX (ch. 40), Aristote fait entrer quelques hyménoptères dans un genre (genos) d'insectes, parmi lesquels le "bourdon" (voir faux-bourdons) ou "l'abeille voleuse" qui désigne vraisemblablement des abeilles parasites, à l'image de certaines mélipones, telle Lestrimelitta limao. Là encore, le concept fluctuant du genos assimile une espèce à un type particulier de comportement. S'agissant de l'abeille travailleuse (l'ouvrière), Aristote (mais aussi Varron) prétend que la meilleure (en saut en longueur ? en tonnage de miel ?) est petite, ronde et tachetée. Virgile nous donne un autre indice : elles "luisent et brillent d'un éclat vif, et leurs corps sont couverts de mouchetures régulières, aussi brillantes que l'or" : nous sommes très loin des clés de détermination (voir abeille-introduction). Plus loin ce sont les abeilles criardes et voyantes, comme les femmes du même acabit, qui ne valent rien, au contraire des abeilles noires (discrètes, donc) et industrieuses. Columelle, de son côté, ne se fatigue pas et reprend telles quelles les remarques d'Aristote ou de Virgile à ce sujet. Pline compte deux espèces d'abeilles domestiques, l'une ronde et l'autre plus allongée, plus velue et plus irascible. Il cite une espèce de la région du Pont, de couleur blanche et deux autres "sur les bords du fleuve Thermodon...l'une qui fait du miel sur les arbres, l'autre, sous terre ; toutes deux construisent un triple gâteau et sont très productives".

LES CASTES

Les rois (les reines)

D'emblée (Livre des Animaux, Livre I, ch. 1), Aristote nous dit que la société dont la société des abeilles est soumise à un maître. Ce sont bien sûr les Reines, que l'on a pris très longtemps, nous le verrons, pour des rois, faute de prouver que cette sorte d'abeille s'accouplait ou portait ses enfants. Ces rois seraient dépourvus de dard, "à moins que par hasard ou ne prenne pour un dard une espèce de gros cheveu qu'ils portent à leur ventre, et dont toutefois ils ne se servent pas pour nuire" dit Columelle (op.cit.) qui rapporte qu'Hyginus (voir plus loin) prétend que les "rois" naissent avec leurs ailes. Ce qui est certain, avance Pline, "c'est que le roi ne se sert pas de son aiguillon : le peuple lui obéit merveilleusement". Chose amusante, la reine pourvoit aussi peu à la nourriture de la ruche que le faux-bourdon mais il (le roi) n'est jamais taxé de paresseux comme ce dernier. Pline sait pourquoi, car "il visite les travaux dans l'intérieur, paraît donner des exhortations et seul est exempt de travail." Superbe leçon de démocratie !

Il y a deux types de rois, nous dit Aristote ( Livre des Animaux d'Aristote, Livre V, ch. 21), un rouge et un noir. Sans doute s'agit-il dans le premier cas des reines fécondées, dont la robe tire parfois vers la couleur rouge, tandis que les reines stériles ou vierges demeurent plutôt noires (confusion augmentée chez Varron qui parle de trois couleurs). Cette imprécision, ajoutée à d'autres confusions subsistera pendant tout son exposé, qui ne profitera pas des riches observations délivrées. Car il faut bien se rendre compte que les informations que nous fournit le savant philosophe sont nombreuses et que, beaucoup, prises isolément sont pertinentes. Ainsi, dans ce paragraphe, Aristote restitue sans doute l'expérience des apiculteurs de son époque, qui savent (sans en connaître le début de réponse) que l'absence ou la présence des "rois", leur surnombre ou au contraire leur nombre insuffisant jouent un rôle dans le renouvellement de l'espèce, dans l'essaimage. Mais Aristote (mais aussi Varron, ou Virgile) parle surtout des périls liés à l'absence ou la surreprésentation royales : "car, de même que dans l'espèce raisonnable des humains, chez les animaux muets et dépourvus de raison, l'empire ne souffre point de partage." (Columelle, De re rustica, Livre IX).

Aristote sait que les reines sont deux fois plus grandes et plus minces que les ouvrières, possèdent un aiguillon et prétend qu'elles ne s'en servent jamais , ce qui n'est pas rigoureusement exact, nous le verrons. Par ailleurs, il rapporte une nouvelle fois qu'on parle des rois comme des mères et en donne un argument convaincant. En leur absence, dit-on, la reproduction des bourdons (faux-bourdons) serait possible, mais pas celle des abeilles (ouvrières) : c'est rigoureusement vrai : on dit alors que la ruche est bourdonneuse et c'est la découverte de la parthénogenèse, au XVIIIe siècle, qui nous expliquera ce phénomène, que les anciens auraient été bien en peine de prouver (Livre V, ch. 22). Cette hypothèse est loin d'être isolée : Aristote nous dit en substance que ses contemporains en discutent, mais avant lui, nous avons au moins deux auteurs qui en parlent, Sémonide d'Amorgos (né vers - 650) et Xénophon (vers 431 - 355) et après lui, Plutarque (vers 40 - 120).

Pour aborder notre premier auteur, nous devons dire un mot sur la conception des femmes que Sémonide d'Amorgos développe dans Iambe des femmes, le premier exposé misogyne de l'histoire, dit-on. En fait, il n'est qu'une variante de la théorie des Grecs sur les femmes, basée sur des superstitions racistes, dont Hésiode est le premier chantre connu : "A l'origine, la divinité créa l'esprit sans tenir compte de la femme...C'est de la première femme qu'est sortie la race des femmes en leur féminité. D'elle est sortie la race maudite, les tribus des femmes" (Hésiode, Théogonie, 590-591). Genos ou phylla, race ou tribu, la femme n'est pas humaine à proprement parler et Sémonide range les dix genres de femmes qui existent issus des animaux essentiellement : porc, renard, chien, âne, belette, jument, signe, abeille, en plus de deux éléments, la terre et la mer. Chaque animal est l'illustration d'un mal (ou malheur : kakon). La femme est donc "souillon, rusée, coquine, impudente, amorphe, cyclothymique, gloutonne impénitente, lubrique, folle de son corps, laide à faire rire et partagent toutes un défaut : l'incontinence dans les travaux d'Aphrodite. En résumé, quel plus grand mal que la femme aurait pu être crée pour l'homme", conclut Sémonide d'Amorgos.

extrait de : La maladie sacrée, les parthenoi dans le regard de la médecine grecque, par Virginie TORDEUX
Université Rennes 2
http://memoireonline.free.fr/06/07/507/maladie-sacree-parthenoi-medecine-grecque-classique.html#fnref308

Ce qui nous intéresse ici surtout, c'est que seule la femme-abeille trouvera grâce auprès de Sémonide :

"« Bienheureux celui qui l'a reçue, car seule elle échappe au blâme ; sa fortune prospère et grandit grâce à elle et elle vieillit aux côtés de son mari qui l'aime et qu'elle aime, après lui avoir donné une belle et louable descendance ; elle se distingue parmi toutes les femmes et une grâce divine l'entoure...Ce genre de femme est le meilleur et le plus avisé dont Zeus ait fait don aux hommes. »
 
C'est une joie de posséder un tel oikos quand elle imite ainsi la ruche 308(*) : une armée de travailleuses avec, à leur tête, une travailleuse en chef, travailleuse elle-même et inspiratrice. Elle contribue à la bonne gestion des richesses et elle contribue à la prospérité de la maison de son époux. Avec la femme-abeille, il peut y avoir avantage à vivre avec une femme. Toutefois, l'abeille ne revalorise pas le genre auquel elle appartient car elle n'a de valeur que relative moins en elle-même que pour ce qu'elle apporte à son mari. Elle donne sans cesse : enfants, travail, et sollicitude. Pourtant, étant femme, elle reste dénuée, par essence, d'intellect.
 
(*) 308 Pierre Brulé, op. cit., p 49."

extrait de : voir précédent extrait.

Comment se fait-il que, dans ce fatras de stupidités, il y ait place pour une idée juste, celle qui concerne le sexe de la reine et des ouvrières ? Le hasard ? Plutôt une grande confusion régnant dans des esprits façonnés dès la naissance par la superstition, le présupposé, le mythe. C'est ce que, sans misogynie (et par comparaison, avec une certaine douceur), nous démontre Xénophon, dont la conclusion restera une des pierres angulaires de toutes les sociétés archaïques : Dieu a fait l'homme pour une raison, la femme pour une autre (Economique, ch. 7).

"Mais en quoi vois-tu que je puisse coopérer avec toi à l'accroissement de notre maison ? — En remplissant de ton mieux les fonctions que la nature te destine, et que, d'accord avec la nature, la loi ratifie. — Quelles sont donc ces fonctions ? — Je les crois moi de la plus haute importance, ou l'on dira que la mère-abeille n'est occupée dans sa ruche que des plus viles fonctions. Les dieux, ô ma femme! me semblent avoir bien réfléchi avant d'unir les deux sexes pour la plus grande utilité de l'un et de l'autre. D'abord, afin d'empêcher l'extinction de l'espèce animale, les deux sexes se réunissent pour engendrer. Un autre avantage de cette union, c'est de procurer, du moins à l'homme, des soutiens de sa vieillesse. Ensuite, les hommes ne vivent pas en plein air comme le bétail ; il est évident qu'il leur faut des maisons. L'homme, devant amasser des provisions chez lui, doit avoir, il est vrai, des ouvriers qui travaillent en plein air; car c'est en plein air qu'on défriche, qu'on sème, qu'on plante, qu'on fait paître les troupeaux; et c'est avec tous ces soins qu'on se procure le nécessaire. Mais aussi, les provisions une fois rentrées dans la maison, il faut quelqu'un qui les conserve et s'occupe des travaux qui ne peuvent avoir lieu qu'au logis. D'ailleurs, ce n'est que sous une habitation couverte qu'il est possible de nourrir un enfant nouveau-né. C'est là seulement qu'on peut préparer les aliments que donne la terre, ou convertir en habits la laine des troupeaux. Ces fonctions, soit intérieures, soit extérieures, demandent travail et surveillance; aussi Dieu a-t-il fait l'homme pour les premières, comme la femme pour les secondes.

Xénophon, Economique, ch. 7
extrait de : http://remacle.org/bloodwolf/historiens/xenophon/economique.htm

 
 

Iambe, iambique

Article de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert


IAMBE, s. m. (Littér.) ïambus, terme de prosodie greque & latine, pié de vers composé d'une breve & d'une longue, comme dans , D, ms. Syllaba longa brevi subjecta vocatur iambus, comme le dit Horace, qui l'appelle aussi un pié vîte, rapide, pes citus.
Ce mot, selon quelques-uns, tire son origine d'Iambe, fils de Pan & de la nymphe Echo, qui inventa ce pié, ou qui n'usa que de paroles choquantes & de sanglantes railleries à l'égard de Cerès affligée de la perte de Proserpine. D'autres aiment mieux tirer ce mot du grec , venenum, venin, ou de , maledico, je médis ; parce que ces vers composés d'ïambes, furent d'abord employés dans la satyre. Dict. de Trévoux.
Il semble qu'Archiloque, selon Horace, en ait été l'inventeur, ou que ce vers ait été particulierement propre à la satyre.
Archilochum proprio rabies armavit ïambo. Art Poët. Voyez IAMBIQUE.
 
Supplement Panckoucke
 
IAMBE, (Musiq. des anc.) Pollux (Onomast. liv. IV. chap. 9. met le iambe au nombre des modes propres aux petits joueurs de cithare. Voyez PYTHIQUE (Musique instr des anc.) Suppl.
Le iambe étoit aussi la troisieme partie du nome Pythien, suivant le même auteur. Suivant Strabon, le iambe composoit, avec le dactile, la quatrieme partie de ce même nome. Voyez PYTHIEN (Musiq. des anc.). Suppl. (F. D. C.)
 
 
IAMBIQUE, adj. (Littér.) espece de vers composé entierement, ou, pour la plus grande partie, d'un pié qu'on appelle ïambe. Voyez IAMBE.
Les vers ïambiques peuvent être considérés ou selon la diversité des piés qu'ils reçoivent, ou selon le nombre de leurs piés. Dans chacun de ce genre, il y a trois especes qui ont des noms différens.
 
1°. Les purs ïambiques sont ceux qui ne sont composés que d'ïambes, comme la quatrieme piece de Catulle, faite à la louange d'un vaisseau.
Phaselus ille, quem videtis hospites.
 
La seconde espece sont ceux qu'on appelle simplement ïambes ou ïambiques. Ils n'ont des ïambes qu'aux piés pairs, encore y met-on quelquefois des tribraques, excepté au dernier qui doit toûjours être un ïambe ; & aux impairs des spondées, des anapestes, & même un dactyle au premier. Tel est celui que l'on cite de la Médée de Seneque.
Servare potui, perdere an possim rogas ?
 
La troisieme espece sont les vers ïambiques libres, qui n'ont par nécessité d'ïambe qu'au dernier pié, comme tous les vers de Phedre.
Amittit meritò proprium, qui alienum appetit.
Dans les comedies, on ne s'est pas plus gêné, & peut-être moins encore, comme on le voit dans Plaute & dans Térence, mais le sixieme pié est toûjours indispensablement un ïambe.
 
Quant aux variétés qu'apporte le nombre de syllabes, on appelle ïambe ou ïambique dimetre celui qui n'a que quatre piés.
Queruntur in sylvis aves.
 
Ceux qui en ont six s'appellent trimetres, ce sont les plus beaux, & ceux qu'on emploie pour le théatre, sur-tout pour la tragédie ; ils sont infiniment préférables aux vers de dix ou douze piés en usage dans nos pieces modernes, parce qu'ils approchent plus de la prose, & qu'ils sentent moins l'art & l'affectation.
Dii conjugales, tuque genialis tori
Lucina custos, &c.
 
Ceux qui en ont huit, se nomment tétrametres, & l'on n'en trouve que dans les comédies.
Pecuniam in loco negligere, maximum
Interdum est lucrum. Terent.
 
Quelques-uns ajoûtent un ïambe monometre, qui n'a que deux piés.
Virtus beat.
On les appelle monometres, dimetres, trimetres & tétrametres, c'est-à-dire, d'une, de deux, de trois, & quatre mesures, parce qu'une mesure étoit de deux piés, & que les Grecs les mesuroient deux piés à deux piés, ou par épitrices, & en joignant l'ïambe & le spondée ensemble.
 
Tous ceux dont on a parlé jusqu'ici sont parfaits, ils ont leur nombre de piés complets, sans qu'il y manque rien, ou qu'il y ait rien de trop.
 
Les imparfaits sont de trois sortes ; les catalectiques auxquels il manque une syllabe.
Musae jovem canebant.
 
Les brachycatalectiques auxquels il manque un pié entier.
Musae jovis gnatae.
 
Les hypercatalectiques qui sont ceux qui ont une syllabe ou un pié de trop.
Musae sorores sunt Minervae,
Musae sorores Palladis lugent.
 
La plûpart des hymnes de l'Eglise sont des ïambiques dimetres, c'est-à-dire de quatre piés. Dict. de Trévoux.


Tournons nous un instant vers la politique en citant d'abord Plutarque, dans un texte parmi tant d'autres où la cité est comparée à une ruche : cette comparaison sera inlassablement reprise durant des siècles et des siècles, nous le verrons, sous de multiples formes, servant des visions de l'existence tout aussi multiples.

"Naturellement le chef d'un État est dans une cité ce qu'est dans une ruche la reine des abeilles. Il doit penser toujours à cette similitude lorsqu'il tient entre ses mains le timon des affaires."

Plutarque, Préceptes Politiques, ch. 17

 
Dion de Pruse (Bythinie, 40-120 ap. J.-C., ), dont on possède quatre-vingt discours, "est surnommé Chrysostome (Bouche d’or) grâce à son talent et à sa virtuosité oratoire, se définit comme un philosophe qui fait de la politique (Les discours Bithyniens, XLVIII, 14) ; il participe aux affaires politiques en Bithynie et a pour protecteur, Cocceius Nerva, le futur empereur (avènement de Nerva en 96 ap.), qui lui fait accorder la citoyenneté romaine. Dion exprime sa philosophie politique dans ses déclamations oratoires ; il a une vision stoïcienne du monde – dans ses discours Sur la royauté (I-IV), il fait un parallèle entre l’autorité du Roi sur ses sujets et celle de Zeus sur l’univers. Cet ardent helléniste, défenseur des vertus traditionnelles, achève sa carrière en protégé de l’empereur Trajan."

extrait de : http://www.revue-texto.net/Reperes/Themes/Duteil/Duteil_Rhetorique3.html

Extrait de l'article Rhétorique, culture et politique, sur le discours XLVIII de Dion de Pruse dans les moralia de Plutarque, de Marie-Henriette Quet, paru dans la revue des Dialogues d'histoire ancienne Année 1978, Volume 4, Numéro 4 :

" Les abeilles

La cité est volontiers comparée à une ruche (363), tantôt de manière
négative, tantôt de façon positive. A la différence d'une ruche saine et flo-
rissante qui bourdonne, la cité la plus prospère est calme et paisible (364).
C'est un essaim d'êtres raisonnables et policés (365) qu'il faut traiter par la
douceur (366) et non par la violence, comme les abeules. Cependant, dans
cette cité, comme le fait le roi des abeilles (367) dans la ruche, commande par
nature (368) l'homme politique. Les frelons ne sont pas mentionnés, mais le
bourdon (369) auquel ne saurait s'identifier un vieil homme retiré des affaires.
Enfin, sous l'influence de l'amour de la vertu, les compagnons des bons rois
se groupent autour d'eux comme les abeilles sous l'effet de philtres (370).
Manifestement le monde des abeilles pose problème parce qu'insectes utiles
et grégaires elles ne se laissent pourtant pas conduire par la douceur, et cela
Plutarque ne le comprend pas.

La ruche

II arrive qu'une comparaison soit plus subtile et ne se comprenne que
replacée dans le contexte. Ainsi la comparaison de la cité de Pruse avec une
ruche et une fourmilière dans le discours 48 (445). Dion s'adresse à ses
concitoyens à Pruse, devant l'assemblée, et cherche à convaincre la masse
des «pauvres gens», pourtant membres de l'assemblée, de ne pas porter à la
connaissance du proconsul Varénus Rufus, les plaintes et les griefs qu'ils ont
à formuler à rencontre de certains «hommes de bien», notables éminents,
membres du conseil, qui ne se seraient pas acquitté de leur promesse
d'achever des constructions promises (446) et conserveraient par devers eux
des fonds appartenant à la cité. Il écrit : «Ce n'est pas un vilain spectacle que
voir des abeiïles vivre en bonne intelligence et personne n'a jamais pu observer
un essaim en révolution ou guerre intestine. Bien au contraire les abeilles
travaillent et vivent ensemble, se donnent les unes aux autres de la nourriture
tout en se nourrissant elles-mêmes. "Eh Quoi !" — me dira-t-on "il y a dans
l'essaim des bourdons (447), mouches inutiles, qui dévorent le miel". — Oui,
par Zeus, c'est vrai. Pourtant les fermiers (448) préfèrent bien souvent con-
server dans la ruche ces insectes mêmes, car ils ne veulent pas jeter le trouble
dans l'essaim.

Ils jugent préférable de perdre un peu de miel, plutôt que de
créer la confusion chez toutes les abeilles. Chez nous, à coup sûr, il n'y a pas
de paresseux bourdons qui «bourdonnent faux» et se gavent de miel. Il est
aussi bien réjouissant de voir comment les fourmis vivent en commun, sortent
en commun, portent en commun les charges trop lourdes, comment elles
se cèdent le passage les unes aux autres. N'est-il donc pas honteux que des
hommes se montrent moins sensés que de petits animaux, eux-mêmes si
insensés ?» (449).

Platon, nous l'avons vu, utilise l'image de la ruche et propose d'en
chasser les frelons que sont les sycophantes et autres misérables (450). Dion
reprend l'image de la ruche mais il la renouvelle. S'il assimile, de manière
implicite, les notables malhonnêtes à des faux-bourdons, c'est pour refuser
immédiatement cette association et affirmer que la cité est prospère et pai-
sible comme la ruche. L'image lui permet, non d'attribuer à chacun un rôle
déterminé correspondant dans la ruche à celui qui serait le sien dans la cité,
mais de gommer les différences de statut pour insister sur l'apprentissage
nécessaire de la solidarité, de la réciprocité, de la concorde que connaissent
les insectes communautaires. Rien ne correspond dans l'univers civique à
l'uniformité de la fourmilière ou de la ruche. Dans la cité on distingue des
fonctions et des statuts différents, là où dans la fourmilière ou la ruche il
n'y a qu'un terme générique. Aux fourmis, aux abeilles correspondent des
hommes de bien et de pauvres gens, des notables, un démos, des magistrats
élus, un archonte, un conseil. Aux actions collectives de l'univers animal

extrait : http://www.persee.fr/



Les bourdons (faux-bourdons)

Le terme par lequel les Grecs désignaient le mâle de l'abeille, le faux-bourdon, que l'on traduit souvent par bourdon ou frelon, est le plus souvent kephèn, kephènes (κηφῆνες), qui désignait aussi le frelon, d'où une fréquente confusion dans les traductions, due à l'imprécision des auteurs anciens. Les auteurs latins utilisent le mot fucus (plur. fuces, fucorum, désignant aussi, comme chez les Grecs, le frelon), mais aussi fur (plur. fures, chez Varron)

Aristote sait que les "bourdons" sont dépourvus de dard (Livre V, ch. 21) mais conserve une opinion anthropocentrique qui imagine qu'ils envient les (autres) abeilles qui en sont pourvues (Livre IX, ch. 40, § 6). Pline, quant à lui, avoue que le fait qu'ils naissent sans aiguillon reste un mystère. Ceci dit, Aristote rapporte encore une fois en passant une hypothèse qui aurait mérité d'être approfondie : ils pourraient être des mâles (Livre V, ch. 21). Le Stagyrite en fait ensuite une espèce d'abeille (Livre V, ch. 22) sans dard et oisive. C'est le moment d'introduire la problématique de l'espèce et de reparler de leur classification, qu'Aristote avait ébauchée pour l'ensemble des animaux (voir plus haut, le chapitre des généralités). Encore une fois, le travail d'Aristote n'a aucune visée taxonomique, le terme de genos ou d'eidos, genre ou espèce, peut être souvent traduit par famille, terme générique pouvant s'appliquer à un groupe d'animaux ayant grosso modo un certain nombre de ressemblances. Nous voyons ici que le faux-bourdon n'est pas compris comme un membre d'une espèce particulière (au sens strict de générique-spécième ou de taxon) mais une espèce à part entière, des animaux qui nichent chez les abeilles (voir § de la ruche), qui sont nourris logés gratis, en quelque sorte (Livre IX, ch 40, § 6). On peinerait d'ailleurs à identifier les autres espèces d'abeilles citées par Aristote, tant sont pauvres leurs descriptions : la première est la meilleure, nous dit-il (en production de miel ? en vol piqué ?), noire au ventre plat. Vous n'avez pas trouvé ? Aristote reparle des "bourdons" au Livre IX, ch. 40 (voir la ruche, plus haut) et en fait des paresseux et des profiteurs (Varron, Virgile le confirment), ce que ne manqueront pas de resservir bien des écrivains futurs s'exprimant par analogie sur la société. Pline n'y va pas de main morte : "...espèces d'abeilles imparfaites, produites les dernières, ébauchées par des parents fatigués et épuisés, progéniture tardive, et, pour ainsi dire, les esclaves des abeilles véritables." Commandés par elles, ajoute t-il, poussés à l'ouvrage, ils les aident dans leur travail. Leur exclusion de la ruche est rapprochée par Aristote d'un moment pauvre en miel et de diminution du couvain, ce qui est juste puisqu'ils sont virés à l'automne, après avoir fait un unique job très bien payé en miel et en jours de vacances ! Varron exagère cependant ce comportement en prétendant que les abeilles font tout le temps la guerre aux "bourdons". En tout cas, Aristote, Columelle et Pline admettent que les faux-bourdons sont utiles à la ruche, pour propager l'espèce, diront les deux derniers. Les abeilles ne travaillent-elles pas plus en leur présence ? (ch. 40, § 14)

Les abeilles travailleuses (ouvrières)

Ce paragraphe consacré aux ouvrières est assez court. La plupart des autres § s'y rapportent, car bon nombre de choses dites sur les abeilles en général se rapportent aux ouvrières, que les auteurs appellent tout simplement abeilles (apium, apum, sing. apis, apes) la plupart du temps.

Pourvue d'un aiguillon (Livre V, ch. 21 ; Livre IX, ch. 40, § 12), il se raconte qu'elles pourraient être des femelles (Livre V, ch. 21), rapporte Aristote, mais il dira ailleurs que la chose est impossible, puisque "la nature ne donne pas d'arme de combat aux femelles" (Génération des Animaux, 759, 3). Aristote affirme au Livre IX (ch. 40) que l'abeille travailleuse détruit dans certaines situations les cellules des "rois" et des "bourdons" et jettent ces derniers hors de la ruche. L'auteur associe ces comportements à différents problèmes, mais n'envisage jamais leur interdépendance. Comme pour la production de miel, Aristote fait l'impasse sur le printemps, où le nid reprend son activité, pour indiquer que les abeilles reprennent le travail "de préférence en été" (ch. 40, § 12). Varron termine le chapitre 16 de son traité d'agriculture (Livre III) en décrivant comment on sauve les pauvres abeilles surprises par les intempéries en plein travail : une étonnante leçon de secourisme ! Pline pense, comme d'autres, que les abeilles jeunes travaillent à l'extérieur et les plus vieilles à l'intérieur, anthropocentrisme oblige !

 
ANATOMIE, PHYSIOLOGIE
 

     
    Suétone
Caius Suetonius Tranquillus (vers 70 - 150)
Prata (Les Prairies)
Fragment 161, De animantium naturis : De la nature des animaux

De animantium naturis

Leonum est fremere uel rugire. tigridum rancare. pardorum felire. pantherarum caurire. ursorum uncare uel saeuire. aprorum frendere. lyncum urcare. luporum ululare. serpentium sibilare. onagrorum mugilare. ceruorum rugire. boum mugire. equorum hinnire. asinorum rudere uel oncare. porcorum grunnire. uerris quiritare. arietum blatterare. ouium balare. hircorum miccire. haedorum bebare. canum latrare seu baubari. uulpium gannire. catulorum glattire. leporum uagire. mustelarum drindrare. murium mintrire uel pipitare. soricum desticare. elephantum barrire. ranarum coaxare. coruorum crocitare. aquilarum clangere. accipitrum plipiare. uulturum pulpare. miluorum lupire uel lugere. olorum drensare. gruum gruere. ciconiarum crotolare. anserum gliccire uel sclingere. anatum tetrissitare. pauonum paupulare. graculorum fringulire. noctuarum cuccubire. cuculorum cuculare. merulorum frendere uel zinziare. turdorum trucilare uel soccitare. sturnorum passitare. hirundinum fintinnire uel minurrire (dicunt tamen quod minurrire est omnium minutissimarum auicularum) gallinae crispire. passerum titiare. apum bombire uel bombilare. cicadarum fritinnire.

"DE LA NATURE DES ANIMAUX


Les lions grognent ou rugissent ;
les tigres ronronnent, feulent, râlent ou miaulent ;
les léopards feulent ;
les panthèrent rugissent ;
les ours grondent, grognent, ou hurlent ;
les sangliers grognent, grommellent, nasillent ou roument ;
les lynx *** .
les loups hurlent .
les serpents sifflent ;
les onagres *** ;
les cerfs brament, rallent, rotent, réent ou raient ;
les bœufs mugissent, meuglent ou beuglent ;
les chevaux hennissent ou s'ébrouent ;
les ânes braient ;
les porcs grognent ;
les verrats grognent ou *** ;
les béliers bêtent ou blatèrent ;
les brebis bêlent ;
les boucs béguettent, bêlent ou chevrotent ;
les chevreaux bêlent, béguettent ou chevrotent ;
les chiens aboient, jappent, hurlent, grognent, clabaudent, clatissent ou halètent ;
les renards glapissent ou jappent ;
les chiots glapissent ou jappent ;
les lièvres couinent ou vagissent ;
les belettes *** ;
les rats chicotent ou couinent ;
les souris chicotent ;
les éléphants barètent ou barrissent ;
les grenouilles coassent ;
les corbeaux croassent, croaillent, coraillent ou graillent ;
les aigles trompettent, glapissent ou glatissent ;
les éperviers tiraillent, glapissent ou piallent ;
les vautours *** ;
les milans huissent ou ***;
les cygnes trompettent, drensent, drensitent ou sifflent ;
les grues glapissent, trompettent ou craquent ;
les cigognes graquent, craquettent, claquettent ou glottorent ;
les oies cacardent, criaillent, sifflent ou cagnardent ;
les canards cancanent, nasillent ou canquettent ;
les paons braillent, criaillent ou paonnent ;
les coqs coquelinent ou chantent ;
les corneilles [pour choucas] corbinent, craillent, criaillent, babillent ou graillent ;
les chouettes hioquent, huent, ululent ou chuintent ;
les coucous coucoulent ou coucouent ;
les merles sifflent, appellent, babillent, flûtent ou chantent ;
les grives *** ;
les étourneaux pisotent ;
les hirondelles gazouillent, trissent, truisottent ou tridulent ;
les poules gloussent, caquettent, claquettent, cocaillent, coclorent, codèquent, coucassent ou crétellent ;
les moineaux pépient, chuchètent ou chuchotent ;
les abeilles bourdonnent ou *** ;
les cigales craquettent, cricellent, criquettent ou stridulent."

extrait de : http://www.ac-poitiers.fr/lettres/lang_anc/eSuetonius3.htm


L'abeille, comme la guêpe, fait partie pour Aristote des insectes qui n'inhalent pas l'air, ce qui est exact et que Basile de Césarée quelques siècles après, tentera d'expliquer. C'est aussi un insecte, nous dit Aristote qui possède des ailes et des pattes (indéniablement), qui, comme l'homme, la guêpe, la fourmi ou la grue, est une créature sociale en plus d'être grégaire (Livre I, ch. 1). Aristote connaissait les abeilles solitaires, nous le verrons, l'abeille de son propos désigne ici l'abeille mellifère. Varron est plus précis à ce sujet, distinguant les abeilles sauvages des abeilles domestiques, les premières habitant "des lieux incultes", les secondes "des champs cultivés". Elles sont plus irascibles, affirme Pline mais confirme comme d'autres auteurs qu'elles "l'emportent par le travail et le produit".

L'abeille est dépourvue de sang (c'est vrai), telle la guêpe et certains animaux marins (Livre I, chapitre 4). Puis le Stagyrite cite l'abeille parmi les créatures à pattes. Après avoir parlé des bipèdes (dont les hommes et les oiseaux) et des quadrupèdes (tels les lézards ou les chiens), Aristote donne l'exemple des abeilles, "qui possèdent comme d'autres animaux plus de pattes encore" (Livre I, chapitre 5). S'agissant des ailes, les animaux qui en sont pourvus sont classés selon l'apparence de celles-ci, les abeilles étant classées dans les animaux à ailes membraneuses, comme les hannetons. Celles-ci ne repoussent pas après avoir été ôtées, pas plus que le dard, dont la perte cause la mort de cet insecte (Livre III, chapitre 12 et Virgile le dit aussi), ce que nous savons rigoureusement vrai . Les insectes n'ont ni voix ni langage, affirme Aristote, mais certains produisent des sons grâce à leurs ailes ou par de l'air interne et il donne l'exemple du bourdonnement des abeilles et des mouches "qui se produit par la succession des ouvertures et fermetures de leurs ailes pendant le vol" (Livre IV, chapitre 9). S'agissant du sommeil des animaux, il est patent, nous dit notre auteur, que la plupart des animaux diurnes s'endorment la nuit venue, et le cas de l'abeille est évident, elle "qui se repose le soir tombé et cesse son bourdonnement" (Livre IV, chapitre 10). Mieux, Virgile confie : "quand elles ont pris place dans leurs chambres, le silence se fait pour toute la nuit..."

C'est vrai, même si, nous le verrons, des différences subtiles existent entre différents états de repos. Aristote résume assez bien le développement de la larve ouvrière (Livre V, chapitre 22, § 7 et ss.), à ceci près que ce qu'il prend pour de l'excrément est en fait une régurgitation, nous en reparlerons. Mais au § 8, il se trompe en privant "le jeune roi" de métamorphose, ce qui est étonnant, par rapport aux observations assez fines qu'il rapporte sur la larve de l'ouvrière. De plus, l'oeuf du "roi" n'est pas rouge : celui qui aura soufflé cela à notre auteur a dû voir de la gelée royale séchée, un peu rougeâtre, la même que décrit Columelle, rapportant les propos d'Hygin (Caius Julius Hyginus, env. - 67 à - 17, De Apibus : Des abeilles). Une grande erreur apparaît au § 11, quand Aristote (mais aussi Virgile et Pline) évalue à six ou sept ans l'espérance de vie de l'abeille , alors qu'elle se compte habituellement en plusieurs semaines, à l'exception de la reine, dont l'âge ne peut excéder deux ans. Voulez-vous connaître le secret des robes animales ? Aristote vous le délivre dans son traité intitulé Génération des Animaux (Peri zoon geneseos, ch. V, § 9) : "...et par exemple, les abeilles [787] sont d'une seule couleur bien plutôt que les frelons et les guêpes. On le comprend bien ; car, si c'est la nourriture qui cause le changement, il est tout simple que des aliments variés fassent aussi beaucoup varier les mouvements et les sécrétions de la nutrition, d'où viennent les poils, les plumes et la peau."

extrait de : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/generation5.htm#I

Ou le secret de l'intelligence de l'abeille ? La réponse est dans son traité des Parties des Animaux (Peri zoon morion, Livre II, ch. 2) :


"Une même distinction existe aussi dans le liquide qui est analogue au sang (hémolymphe, NDE). Cela explique comment il se fait que les abeilles et d'autres créatures semblables à elles possèdent une nature plus intelligente que beaucoup d'animaux pourvus de sang."

 
LA REPRODUCTION
 

Sur la reproduction des insectes, Aristote affirme que ces derniers engendrent tous des larves*, à l'exception de certaines espèces de papillons. L'auteur parle des différents stades de mue et dit que l'abeille, abordant le stade nymphal*, cesse de se nourrir et que, sa taille maximale atteinte, elle casse le couvercle qui fermait la cellule (Livre V, ch. 19), ce qui démontre chez Aristote une observation assez fine et qui fait supposer (avec toutes les autres observations du même type que nous relèveront), qu'Aristote connaissait déjà l'utilisation des ruches d'observation (voir le § sur la ruche)

* LARVE : (du latin larva , "masque, diable, fantôme"). Les Latins désignaient souvent la larve comme un ver (vermis), un petit ver (vermiculus), les Grecs utilisent souvent le mot σκώληξ, σκωλήκιον (scolex, scolexion). Larva, en latin, ne recouvrait pas l'acception de larve.

* NYMPHAL, NYMPHE : du grec νύμφη (nymphè, nympheion, "jeune fille", "jeune épouse") par le biais du latin (nympha, plur. nymphae), qui désignait déjà dans l'antiquité le stade de métamorphose de l'insecte (χρυσαλλὶς, chrysalis, spécialement pour les papillons, notre chrysalide, bien sûr) entre l'état de larve et celui d'adulte ou imago .

Aristote ne cache pas que plusieurs hypothèses avaient cours sur la reproduction de l'espèce chez l'abeille et ce secret d'alcôve ne sera pas résolu avant très longtemps, car la reine des abeilles vole très haut, à l'abri des regards, nous le verrons, pour mener à bien sa noce : Pourtant Aristote décrit sans le savoir le moment précis de cette noce (Livre IX, ch. 40, § 5). Comme nous naissons dans des choux, les abeilles naîtront donc longtemps par magie dans l'esprit des hommes, faute d'assister à un quelconque accouplement. Comment se pourrait-il d'ailleurs, remarque Pline, que le même accouplement produise des individus parfaits (les ouvrières) et des individus imparfaits (les faux-bourdons) ? Le fait même "qu'elles ne se laissent pas aller à l'accouplement" force l'admiration de Virgile (Géorgiques, IV). Aristote cite la croyance la plus commune, qui fait les abeilles chercher leurs petits dans des fleurs (callyntrum ? roseau ou olivier) avant de les ramener dans leurs cellules (Virgile parle des feuilles et des herbes). Comme pour l'origine des abeilles elles-mêmes, Columelle dit qu'il n'appartient pas aux agriculteurs de savoir "si ces insectes se propagent par l'accouplement, comme nous le voyons chez les autres animaux, ou si c'est sur les fleurs qu'elles recrutent leur postérité, comme l'assure notre Virgile;" Aristote précisera (Livre V, ch. 22, 4e §), encore que ce n'est qu'une théorie parmi d'autres, les tenants de celle-ci, dit-il, prétendant que les petits sont rapportés dans leurs cellules par la bouche. On remarquera qu'une hypothèse aurait mérité d'être creusée : celle qui fait des abeilles travailleuses (les ouvrières, bien sûr) les enfants des "maîtres du nid", idée qu'il creusera plus loin, nous allons le voir plus bas. (Livre des Animaux d'Aristote, Livre V, ch. 21).

LE COMPORTEMENT

 
 Pseudo-Apulée ( Sextus Apulieus Barbarus, IVe siècle), Herbier (De Herbis, Herbarius), compilation de 131 plantes.

BNF, Ms Latin 6862, folio 28v,
Abeilles indispodées par l'odeur des iris, IXe siècle, Reims ou Laon.

Les abeilles ne se posent jamais sur des fleurs fanées mais toujours sur des fleurs fraîches et embaumées (Livre IV, chapitre 8). Sans connaître les phéromones, les anciens avaient bien compris que les odeurs avaient une importance pour les insectes. Aristote lie telle condition climatique à tel ou tel comportement des abeilles, (Livre V, ch. 22, 3e §), mais une nouvelle fois, Aristote saute du coq à l'âne : il coince ce propos météorologique entre un paragraphe sur les "rois" et un autre sur les rayons de leur nid, sans développement aucun. Le butinage est bien résumé par le Stagyrite (6e §), qui parle de l'abeille visitant les fleurs "ayant un calice", "à la saveur sucrée", prenant "le jus des fleurs" avec un organe semblable à une langue (le proboscis), avant de le rapporter au nid. Cette description de l'abeille butineuse se fera plus précise au Livre IX, ch. 40, 6e §, mais l'auteur avoue que "personne ne peut expliquer vraiment ce qu'elle récolte, pas plus que le processus exact de leur travail". L'abeille fait partie des insectes qui vont dans des cachettes et se dissimulent pendant certaines périodes, l'hiver pour l'abeille (Livre VIII, ch.14), qui pendant ce temps ne touche quasiment pas à sa nourriture (c'est vrai, elle est pour le couvain à venir, surtout).

Comme les hommes, les abeilles (mais aussi les araignées ou les fourmis) travaillent. Varron précise qu'elles aiment travailler, Pline précise "qu'elles se soumettent au travail, exécutent des ouvrages, ont une société politique, des conseils particuliers, des chefs communs et, ce qui est plus merveilleux, ont une morale...tant "d'habileté et d'industrie" (industria). Mais les anciens ont des avis divergents sur la question du travail, à savoir si le travail des animaux se fonde sur une technique (technè, tekhnè, technèi : art, technique en grec) ou sur l'instinct (phusei : instinctif, par nature). Certains n'ont qu'une idée vague de la question : "Le matin, elles se ruent hors des portes; aucune ne reste en arrière" (Virgile, Géorgiques, IV)

Aristote ou Pline ont entendu parler de la spécialisation du travail (hekastôn tôn ergôn) chez l'abeille (Livre IX, ch. 40, § 12). Les butineuses, dit Pline "sont reçues par trois ou quatre abeilles, qui les déchargent de leur fardeau et à l'intérieur aussi, les emplois sont divisés : les unes construisent les autres polissent, d'autres passent les matériaux, d'autres préparent des aliments avec ce qui a été rapporté. En effet, elles ne mangent pas à part pour qu'il n'y ait aucune inégalité ni dans le travail, ni dans la nourriture, ni dans la distribution de temps." Mais étonnamment, Aristote saura dans ce cas prendre une distance toute scientifique au sujet de cette intelligence animale :

"Mais c’est surtout visible pour les animaux autres que l’homme, qui n’agissent ni par art (tekhnêi) ni par recherche, ni par délibération ; d’où cette question : les araignées, fourmis et animaux de cette sorte travaillent-ils avec l’intelligence (nôi) ou quelque chose d’approchant ? […] Si donc c’est par une impulsion naturelle (phusei) et en vue de quelque fin que l’hirondelle fait son nid et l’araignée sa toile […], il est clair que cette sorte de causalité existe dans les êtres naturels."

Aristote, Physique II, 8, 199a

extrait de : http://revel.unice.fr/rursus/document.html?id=48#ftn24

 
 
MARC AURELE (Marcus Aurelius, 121-180 après J.-C), Pensées

"Livre V, 1

Le matin, quand tu as de la peine à te lever, voici la réflexion que tu dois avoir présente à l'esprit : «Je me lève pour faire mon oeuvre d'homme ; je vais remplir les devoirs pour lesquels je suis né et j'ai été envoyé en ce monde. Pourquoi donc faire tant de difficultés ? Ai-je été créé pour rester ainsi chaudement sous des couvertures ? - Mais cela me fait plus de plaisir ! - Es-tu donc né pour le plaisir uniquement ? N'est-ce pas au contraire pour toujours travailler et toujours agir ? Ne vois-tu pas que les plantes, les oiseaux, les fourmis, les araignées, les abeilles concourent, chacune dans leur ordre, à l'ordre universel ? Et toi, tu refuserais d'accomplir tes fonctions d'homme ! Tu ne t'élancerais pas avec ardeur à ce qui est si conforme à ta nature !

Livre V, 6

"...Le cheval qui a couru, le chien qui a chassé, l'abeille qui a distillé son miel, l'homme qui a fait le bien, ne va pas le crier ; mais il passe à une autre bonne oeuvre, de même que la vigne portera de nouveaux raisins quand la saison sera venue. - «Eh quoi ! faut-il donc se ranger au nombre de ces êtres qui agissent sans même savoir ce qu'ils font ? - Oui certainement. - Mais pourtant il faut bien réfléchir un peu à ce que l'on fait, et c'est, dit-on, le propre de l'être qui vit en société, de comprendre qu'il agit pour le bien commun et de désirer tout au moins, par Jupiter, que son compagnon qu'il oblige le comprenne aussi."

Livre VI, LIV

Ce qui n'est pas utile à l'essaim ne peut pas non plus être utile à l'abeille.

Livre X, VIII

...et que si le figuier doit remplir le rôle de figuier, le chien le rôle de chien, l'abeille le rôle d'abeille, l'homme doit remplir également ses fonctions d'homme."

traduction de Barthélémy Saint-Hilaire, éditée à Paris en 1876.
extraits de : http://www.mediterranees.net/histoire_romaine/empereurs_2siecle/marc_aurele/index.html


Aristote et Pline affirment que les abeilles ne se posent jamais sur de la chair et n'en consomme pas (c'est vrai), ce que suppose Columelle (voir plus bas). Aristote défend de manière anthropocentrique le raffinement des abeilles, jetant leurs excréments à l'extérieur (comportement signalé aussi par Varron et Pline) "du fait de leur odeur nauséabonde", dédaignant les odeurs fétides, pourries, au profit des odeurs parfumées et sucrées. Pas toutes, car certains parfums les dérangent et elles piquent les gens qui les portent (Livre VIII, ch. 11, Livre IX, ch. 40 et Pline). Aristote ne sera pas le seul à prétendre qu'un bruit d'entrechoquement attire les abeilles. Il cite l'exemple de la vaisselle, Varron celui des cymbales (De l'Agriculture, Livre III), Virgile celui des "roches sonores", Columelle celui des "vases d'airain" : on sait que l'abeille perçoit d'une certaine manière les vibrations sonores. Aristote sait que les abeilles sont sensibles à la taille proportionnelle de la ruche par rapport à celle de l'essaim, au fait que l'apiculteur laisse ou non beaucoup de miel dans la ruche, seulement il juge encore les abeilles comme il jugerait les hommes, elles qui deviennent "paresseuses"dans tel ou tel cas. Pline précise, d'ailleurs, que ces dernières sont "remarquées et châtiées". Aristote sait que les abeilles bourdonnent de différentes manières selon le stress, le prochain essaimage, la proximité du sommeil, annoncé par une abeille voletant, dit Pline, "par un bourdonnement semblable à celui du réveil...C'est encore une habitude militaire." Et pour le lever, confirme Aristote, les abeilles mettraient en marche une sonnerie de réveil particulière. Par ailleurs, pour lutter contre un vent violent, Aristote (Livre IX, ch. 40) et Virgile affirment qu'elles se lestent d'une pierre à la manière d'un ballast (c'est vrai, les grains de pollen ressemblent à des cailloux !)

Varron (De l'Agriculture, Livre III, ch. 16) dit des abeilles qu'elles aiment se réunir comme les hommes et compare leur société à une armée disciplinée aux ordres de son chef, envoyant au loin des factions, envoyant des signes de paix, des signes de guerre (on aimerait en avoir des détails). Il leur arrive même de se battre entre elles, nous dit l'auteur, auquel cas on peut les séparer avec du vin miellé, qui les détournera de leurs querelles. Columelle dit qu'elles connaissent aussi bien "les guerres civiles" (ce qui est faux) que "les guerres étrangères". A l'inverse, elle peuvent connaître l'apathie : on les enfumera un petit coup et on les excitera avec des odeurs de thym ou de mélisse alentour.

Columelle citant Hyginus parle de l'enfumage (qui leur fait du bien) fait de bouse de moelle de boeuf brûlée (qui convient bien aux abeilles, bien sûr, à cause de leur parenté avec ce quadrupède !), de galbanum ou de fumier sec, les produits étant mis dans un vase en terre cuite, pourvu d'anses, avec deux ouvertures, une pointue pour la fumée et une, de l'autre côté, par laquelle on souffle. L'enfumoir est placé sur des charbons ardents : visiblement les latins enfumaient à tour de bras, pensant (à tort) que cela "purifiait" la ruche.

L'ESSAIMAGE

Aristote (ou Varron) ne se trompe pas quand il établit une corrélation entre surnombre de "rois"et le déclenchement de l'essaimage (Livre V, ch. 22, 2e §), mais il est loin de se douter que ce surnombre n'est pas la cause de l'essaimage mais une conséquence de phénomènes particuliers que nous étudierons dans les chapitres plus scientifiques de cet article. Aristote parle de différents signes ou comportements annonçant ou accompagnant l'essaimage : bruits particuliers ( "semblables à des soldats qui vont lever le camp", dit Columelle), abeilles pendues les unes aux autres (Varron et Pline parlent de "grappes"), vols d'abeilles isolées (de reconnaissance). Il faut remarquer par ailleurs qu'Aristote parle de l'essaimage comme d'un fait néfaste : c'est la perte du nid, dit-il plusieurs fois, qui se sépare en de trop nombreuses factions. "Il faut veiller à ce que cette calamité ne se présente pas fréquemment, parce que la guerre intestine cause la ruine de tous les États", affirme Columelle. Varron en parle comme d'une émigration, comparant à ce que pratiquaient les Sabins qui, "par l’accroissement de leur population furent souvent obligés de le faire", en envoyant "les nouvelles générations en colonie". Virgile, comme Aristote, n'aime pas ce moment, "quand les essaims volent sans but, jouent dans le ciel, dédaignent leurs rayons et délaissent leurs ruches froides, tu interdiras à leurs esprits inconstants ce jeu si vain." Et notre auteur de préconiser une méthode radicale : ôtez les ailes des rois et tout le monde restera tranquille ! Columelle, au contraire voit dans l'essaimage une opportunité de recueillir de nouvelles colonies et comprend qu'il empêche l'extinction d'une "peuplade d'abeilles".
 
Il décrit la façon dont les "rois" quittent alors exceptionnellement la ruche (Livre IX, ch. 40, 5e §), suivi, protégé, porté parfois par l'essaim (sur le dos, nous dit Varron, op. cité) qui périt s'il lui arrive de périr ou, parfois après avoir construit un nid dans lequel aucun miel ne sera produit. Il faut veiller, dit Columelle, que l'essaim ne forme qu'une seule grappe : "ce sera le signe qu'elle n'a qu'un roi, ou que, s'il y en avait plusieurs, ils se sont réconciliés de bonne foi;" Dans le cas contraire (deux ou trois essaims), notre auteur donne le truc pour repérer dans le plus volumineux d'entre eux "l'auteur de la guerre, que vous devez écraser".C'est encore Virgile qui exprime le plus poétiquement cet attachement sans borne des abeilles à leur roi, jusqu'à la mort.
 
Varron donne un truc pour emmener un essaim à l'endroit où on veut qu'il se fixe : il suffit de mettre sur un bâton et dans la future ruche de l’érithace (voir § LA CIRE, LE POLLEN, LA PROPOLIS, plus bas) mêlée à de la mélisse (même conseil de Virgile), puis de paralyser d'effroi les abeilles en leur jetant de la poussière (chez Columelle, aussi) tout en frappant, encore une fois, sur un instrument de cuivre ("les cymbales de la Mère [déesse mère, Rhea-Cybèle, NDE]", dit Virgile). Les abeilles se fixeront sur le bâton, qui sera mis dans la ruche et le tour sera joué : les abeilles adopteront leur nouveau logis. Columelle parle d'une capture d'essaim réfugié dans un tronc ou une branche d'arbre. S'il le bois n'est pas trop gros, on le coupe à la scie bien aiguisée, on en bouche les crevasses et on l'emporte dans un linge propre et on le place comme une ruche ordinaire, en y laissant quelques trous.

LE NID

Les abeilles construisent leur propre habitation, nous dit Aristote, comme la souris, la fourmi ou la taupe (Livre I, chapitre 1), du haut vers le bas, d'abord pour les abeilles, puis pour les rois, rapportent différents auteurs. Le Stagyrite sait qu'il y a dans le couvain des cellules propres aux ouvrières et d'autres pour les "maîtres", les reines, bien sûr (Livre des Animaux, Livre V, ch. 21). Sautant comme à son habitude du coq à l'âne, notre auteur ne reparlera des cellules du nid qu'au chapitre d'après (ch. 22, § 4). Les abeilles construisent d'abord les cellules de leur nid, dit notre auteur, puis y met les pupes (la traduction anglaise dit pupa (pupe), qui vient du même mot latin, qui signifiait "petite fille, poupée". Pupe est synonyme de nymphe, que nous devons au grec νύμφη (nymphè, "jeune fille", "jeune épouse") par le biais du latin (nympha, plur. nymphae), qui désignait déjà dans l'antiquité (au contraire des deux précédents) le stade de métamorphose de l'insecte entre l'état de larve (du latin larva* , "masque, diable, fantôme") et celui d'adulte (imago).

* LARVA : larva ne recouvrait pas l'acception de larve. Les Latins désignaient souvent la larve comme un ver (vermis), un petit ver (vermiculus), les Grecs utilisent souvent le mot σκώληξ, σκωλήκιον (scolex, scolexion).

Aristote sait que les abeilles ne font pas toutes les même nids. Il parle de nids faits dans la terre et dans des ruches (ch 22, § 12), de nids triples, aussi, qui ne contiendraient que du miel et jamais de larves (il se trompe, bien sûr) : probablement des Andrénides, dont les nids sont à étages. Virgile parle des nids souterrains, de trous de pierre ponce, les creux d'arbres. Les anciens savaient que des parasites dévastaient les nids d'abeilles (Livre VIII, ch. 17), ainsi que des ennemis (Livre VIII, ch. 27, le putois ; Livre IX, ch. 40, § 12 et ss. : guêpes, engoulevents, hirondelles, "guêpiers", grenouilles, crapauds, Virgile cite aussi le guêpier, et en plus les lézards, les blattes, la guêpe (aussi Pline), le frelon, la teigne* (Columelle, aussi), et un drôle d'oiseau : Procné.

* ce mot est souvent utilisé à tort par les traducteurs. Il faut comprendre ici la fausse teigne, voir plus bas.
 

     APOLLODORE D'ATHENES, Bibliothèque, Livre III, Procné

    "III, 14, 8. Pandion épousa Zeuxippe, la sœur de sa mère, et eut d'elle deux filles, Procné et Philomèle, et deux jumeaux, Érechthée et Butès. Un jour, une guerre éclata contre Labdacos au sujet des frontières du territoire, et Pandion appela à son secours, de la Thrace, Térée, le fils d'Arès. Avec l'aide de Térée, la guerre se termina par la victoire de Pandion, qui lui accorda la main de sa fille Procné, dont il eut un fils, Itys. Mais Térée tomba amoureux de Philomèle ; il la séduisit, [en prétendant que Procné était morte,] il la cacha dans la campagne, puis il [l'épousa, la posséda et] lui coupa la langue. Alors Philomèle tissa des lettres sur un tissu, dénonçant ainsi à Procné son malheur. Procné partit à la recherche de sa sœur, tua ensuite son propre enfant, Itys, le fit cuire, et le servit à dîner à Térée qui ne se doutait de rien. Puis elle et sa sœur se hâtèrent de prendre la fuite. Quand Térée se rendit compte de ce qui était arrivé, il s'empara d'une hache et se lança à leur poursuite. À Daulie, en Phocide, aux abois désormais, elles prièrent les dieux de les transformer en oiseaux : Procné devint un rossignol, Philomèle une hirondelle. Térée lui aussi fut changé en oiseau : il devint une huppe."

    extrait de : http://ugo.bratelli.free.fr/Apollodore/Livre3/III_14_1-8.htm


En plus de la guêpe, du frelon, de l'hirondelle ou de la grenouille, Pline cite le mouton et une espèce de frelon (cabro, cabrones, cabronis) "qu'on nomme muliones (mulio, mulionis) qui désigneraient une sorte de moucheron tourmentant le mulet (mulio).
Mais pas d'inquiétude, rassure Virgile, Priape Hellespontiaque veille, "armé de sa faux de bois de saule" qui garde les abeilles "et les protège des voleurs et des oiseaux." Columelle cite le stellion venimeux (une sorte de lézard, Laudakia (Agama) stellio), le scarabée, les papillons, les cloportes, le taon (il cite le nom grec : οἴστρους , oistros (latin œstrus) :

"L'œstre est dérivé de l'œstre latin (frénésie, taon), alternativement des oistros grecs (taon, brise, piqûre, impulsion folle). Spécifiquement, ceci se rapporte au taon cela Hera envoyé au supplice E/S (mythologie) , qui avait été courtisé et gagné sous sa forme de génisse près Zeus . Sa forme adjective est œstrale. "

extrait de : http://vvikipedia.fr/estrus.html

Pline cite les araignées, un papillon "lâche et vil qui vole autour des flambeaux allumés... il mange la cire, et laisse des excréments qui engendrent des tarets (teredines, teredonis, sing. teredo : ver (qui ronge)). Il s'agit probablement d'un papillon couramment appelé fausse teigne ou teigne des ruches (galleria mellonella, Galleriinae, Pyralidae). Aristote sait que les abeilles commencent toujours par construire les cellules des ouvrières (Livre IX, ch. 40) et fait une juste corrélation entre une ruche très peuplée et la construction des cellules royales. Heureusement, il place au conditionnel sa deuxième corrélation, qui lie la surproduction de miel à la construction des cellules des mâles. Plus étonnante est l'apparente erreur d'observation qui touche à la taille des cellules selon les castes (3e § ), qui attribue aux ouvrières les plus grandes cellules. De même, Pline dit que les plus petites cellules sont pour les "bourdons", bien qu'ils soient plus gros que les abeilles. C'est le contraire et le problème doit être ailleurs, car au Livre IX (ch. 40, § 6), notre auteur affirme que les bourdons ont les plus grandes cellules. Aristote distingue celles qui reçoivent du miel et celles qui reçoivent les larves et a remarqué leur structure rhomboïdale (4e §). Varron précise "qu’il est démontré par les géomètres qu’un hexagone inscrit dans un cercle y occupe plus de surface qu’un polygone de moins de côtés." (De l'Agriculture, Livre III, ch. 16). Pline dit la chose suivante, assez drôle que "chaque patte a fait son côté" : Six pattes, six côtés, bien sûr ! Au paragraphe suivant, Aristote rapporte l'opinion étrange que les "bourdons" feraient leur propre nid à l'intérieur du nid principal. Au § 13, Aristote parle encore des maladies touchant les ruches, à nouveau à cause de différents cleptoparasites. Virgile dit qu'à peine malades, les abeilles changent de couleur, deviennent maigres, se suspendent parfois par les pattes, ou restent sans bouger, font un bruit plus grave. Columelle parle de diarrhée (voir aussi Palladius), causée par la tithymale (tithymalus, nom générique de variétés d'euphorbe) et aussi d'ulcère rongeur (φαγέδαινα, phagêdaina), mais on ne voit pas le rapport entre cette phagêdaina, dont Columelle rend la pourriture du nid responsable, et l'ulcère phagédénique d'aujourd'hui, dont le nom se base sur le mot grec, car ce dernier apparaît généralement aux jambes, après de nombreuses petites blessures et la pénétration d'un nombre important de bactéries. D'où lui vient l'idée d'une maladie touchant les abeilles dans les périodes de floraison pléthorique : les abeilles surchargées de travail ne penseraient alors plus à subvenir aux besoins de leur progéniture. Pline parle d'une maladie qui rendrait les abeilles stériles (Hist. Nat. Livre XI, ch. 20). Il l'appelle blapsigoniam (, blapsigonia, blapsigonie, la Blaysigoni de Hardouin) : c'est la loque européenne, causée par différents bacilles, par exemple bacillus orpheus, streptococcus apis, et surtout bacillus alvei, découvert par les anglais Cheyne et Cheshire en 1865.

            -----