ENCYCLOPEDIE -DE--LA--LANGUE -FRANCAISE
 

-ABBAYE
-LE - BEATUS -DE -LIEBANA

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Beatus de Gérone, v. 975
Folios 52v - 53r
Présentation des apôtres qui précède la double page de la mappemonde, qui illustre les régions d'évangélisation qui leur ont été dévolues.

L'ART DES BEATUS
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---PREAMBULES, EXERGUES--

----Mappemondes, II ----



Les Commentaires de Beatus apportent leur propre contribution à cette géographie théologique, car si le moine de Liébana illustre le prologue de son second livre d'une mappemonde, c'est pour dresser la carte d'évangélisation du monde par les douze apôtres : Rome fut attribuée à Pierre, l'Achaïe (Grèce) à André, l'Inde à Thomas, l'Espagne à Jacques, l'Asie à Jean, la Macédoine à Matthieu, la Gaule à Philippe, la Lycaonie à Bartholomée, l'Egypte à Simon le Zélote, la Judée à Matthias, Jérusalem au second Jacques, le frère de Jésus, et enfin le monde entier à Paul. En plus de ce qui vient d'être dit, on pourra consulter les légendes de la mappemonde du Beatus de Saint-Sever avant de passer en revue les différentes cartes proposées des Beatus. Cela permettra d'affiner d'avantage la perception de cette étrange géographie.

Carte légendée à partir de la mappemonde du Beatus de Saint-Sever (v. 1060) et établie par Erwin J. Raisz (1893-1968), ne comportant malheureusement que les toponymes principaux de la carte originale.
 

On peut voir sur les légendes traduites par Raisz que le Sinaï devient une montagne essentielle, que les seules grandes villes du monde sont Rome, Byzance ou Jérusalem, trois cités d'une grande importance religieuse, mais aussi que la Mer Rouge (Mare Rubrum) dessinée sur l'original avec la teinte qui la désigne, occupe une place assez démesurée, comme les autres toponymes bibliques ou ceux intéressant les auteurs (voir image 3). On pourra voir, toujours à propos des mers, que les cartes des Beatus ne sont pas du tout identiques. Si la Mer Noire (Pontis Euxinus : Pont-Euxin), la Mer d'Azov (Palus Mæotis, Palus Meotides, Lacus Maeotide : Lac Maréotis) et le Mer Caspienne (Caspium mare) apparaissent bien sur les cartes de Saint-Sever et de Burgo de Osma, elles ne figurent pas sur les manuscrits de la famille du Beatus de Valcavado. De même, les cours d'eau sont bien mieux répertoriés sur les deux premiers codex cités. On peut aussi y voir, au sud, les fameux Antipodes des Grecs ("Antichtone", chez Pythagore), cette Terre Incognita à laquelle Saint Augustin ne croyait pas dans sa Civita Dei (Cité de Dieu) et que Platon (428-348/47) avait fait habité des peuples Antipodes, qui marchent la tête en bas (anti podos, à l'opposé du pied en grec). Comme les Sciapodes (Skiapodes, du grec skia, "ombre", et podos, "pied"), qui font de l'ombre avec leur unique et immense pied, ils forment un bestiaire appelé à s'enrichir tout au long du moyen-âge. Le lecteur curieux pourra se promener dans le Beatus de Burgo de Osma pour avoir une idée d'un Sciapode, qui y est représenté (image 4).
 
La vision du monde du moine de Liébana est donc à fait conforme à son temps, donc, et le texte est à l'image, bien sûr, de l'illustration proposée. Presque toutes les descriptions du moine de Liébana se trouveraient dans les écrits d'Isidore de Séville, d'autres seraient plus anciennes, et on en trouverait traces chez Pomponius Mela (actif vers 40), géographe espagnol de Tingentera (Cigentera, Algesiras), mais aussi un peu plus tard chez Pline, puis chez le Romain Solin (Caius Julius Solinus) qui a organisé en géographe une partie de l'oeuvre du précédent dans son Collectanea rerum mirabilium connu plutôt sous le titre de Polyhistor.

Carte établie à partir du "De situ Orbis" (Description du Monde), de Pomponius Mela, édité par Wechel en 1536.

L'Albanie est ainsi appelée à cause de la blancheur et de la couleur des cheveux de ses habitants. L'Hyrcanie et le Scythie sont pleines de tigres, panthères et autres terribles félins, ainsi que de non moins terribles cannibales et autres buveurs de sang ! Les montagnes du Caucase, comme chacun sait, abondent en or, en émeraudes et en gemmes précieuses, trésors jalousement gardés par d'invincibles griffons ! Quant à la fantastique Thulé, qui fit couler beaucoup d'encre jusqu'aujourd'hui, elle est bien visible sur le Beatus de Saint Sever toujours. Presque tous les auteurs antiques évoquent cette île dont on fit le centre de l'Hyperborée, habitée bien sûr par les Hyperboréens (du grec hyperéa, "qui est en haut" et borée, "vent du Nord" : le pays du vent ou sous le vent du Nord), que les Romains finiront par assimiler aux Scandinaves :

"En 330 av. JC, un explorateur du nom de Pythés [Pytheas, NDE] fit voile depuis Marseille afin de découvrir où le monde s'arrêtait dans cette direction. Il dépassa les Iles Britanniques, puis la mer du Nord et lors de son voyage de retour, mentionna une île du nom de "Thulé" ou "Ultima Thulé" dont il avait entendu parlé ou découvert lui-même. On pense qu'il s'agissait de l'Islande. "Voguant de cap en cap, il remonta vers le nord le long des côtes d'Ibérie et Lusitanie, (Espagne et Portugal), et, continuant de faire le tour de ces côtes, en comptant cinq jours de navigation depuis Gadès (Cadix) jusqu’au cap Sacré (cap Saint-Vincent) , il parcourut ainsi les côtes de l’Aquitaine et de l’Armorique qu’il doubla pour entrer dans le canal que l’on nomme aujourd’hui la Manche." (Strabon, liv. I, p. 63, liv. III, p. 148.)
"Au-delà du canal, il suivit les côtes orientales des îles Britanniques, et lorsqu’il fut à la partie la plus septentrionale, poussant toujours vers le nord, il s’avança en six journées de navigation jusqu’à un pays que les barbares nommaient Thulé, et où la durée du jour solsticial était de 24 heures ; ce qui suppose 66 degrés 30 minutes de latitude septentrionale."
(Pline, liv. II, c. 75 ; IV, c. 16 ; VI, c. 34 ; Cleomedes de sphaera). "

extrait de : http://www.webzinemaker.com/admi/m9/page.php3?page=1&total=38&num_web=18063&rubr=4&id=266205

Par ailleurs, Beatus n'hésiterait pas à avancer des mesures, choses assez rares pour les cartes du moyen-âge. Il donne ainsi, en stades ( = 184,18396 mètres) les dimensions du lac de Génésareth ou de la Mer Noire. Pour cette dernière il compte 780 stades en longueur pour 150 de largeur. Le stade valant 184,18396 mètres on est très loin du compte car cette mer, mesure en réalité 1150 km de long sur 600 km de large, soit 6233 stades de long sur 3252 stades de large ! D'autres mesures du même acabit sont données par le moine de Liébana, cette fois en milles romains (empruntés à des itinéraires impériaux, probablement) sur la taille de l'île de Grande Bretagne, la Corse, la Sardaigne et le Sri Lanka (l'ancienne Ceylan, la Taprobane des Romains, citée par Pline et Solin, la Serendib des Arabes). On ne s'étonnera pas (car Beatus n'invente rien, il restitue) que l'Ethiopie soit habitée par des races de diverses couleurs aux formes monstrueuses, que le Nil naisse dans l'Atlas pour se perdre dans les sables du désert et émerger de nouveau ensuite en Egypte ! A défaut de justesse, toute cette géographie nous apporte, en tout cas, une belle louche de poésie !


 
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 3b. --3c.
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5b.

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