ENCYCLOPEDIE -DE--LA--LANGUE -FRANCAISE
- LETTRE A
 

Alchimie à Papeterie

 
L'A commercial
2e partie
.
--En chair et en os

 


C'est un universitaire romain, Giorgio Stabile (né en 1939), qui va donner un peu d'épaisseur à notre héros. En effet, alors que celui-ci était professeur à la faculté de lettres et de philosophie "La Sapienza" à Rome, les encyclopédies Treccani lui demandèrent de se pencher sur le cas de notre héros. Ce qu'il fit d'une manière brillante, car il découvrit que quelqu'un lui ressemblait trait pour trait. Cet autre (son aïeul?) était né en...1536 !

Tout commence avec la publication de documents récoltés patiemment par le savant paléographe Federigo Melis (Florence 1914-1973) : Documenti per la storia economica dei secoli XIII-XVI, accompagnés de notes de Paléographie Commerciale par Elena Cecchi, Florence 1972 (Leo S. Olschki, Istituto Internazionale di Storia economica "F. Datini" Prato. Pubblicazioni - Serie I, Documenti - 1). C'est Elena Cecchi qui précise dans ses notes que l'abréviation commerciale la plus courante des XIIIe-XVIe siècles est un symbole particulier, qu'elle décrit ainsi "a (con svolazzo in senso antiorario) = anfora), ce qui signifie littéralement que ce symbole est un a pourvu d'un ornement allant dans le sens contraire aux aiguilles d'une montre, en un mot sénestrogyre. Il n'en suffit pas plus à Giorgio Stabile pour plonger à son tour dans la publication de Melis et de trouver, primo, la transcription en italien moderne d'une lettre de Séville du 24 mai 1536 (image 1), envoyée par le marchand toscan Francesco Lapi à Filippo Strozzi à Rome, mais aussi la photo du document original, tirant en première mondiale le portrait tant attendu de notre héros (image 2), que vous trouverez ensuite en gros plan (image 3)
 

1- 2-
3-
 

La phrase comportant notre glyphe et sa traduction ont été encadrées par nos soins sur l'image 1 et l'agrandissement de l'image 2. Dans ce texte, le marchand Lapi parle de l'arrivée récente de quelques navires richement chargés, promesse de bonnes affaires car, et c'est ici la phrase clef, "là, une amphore de vin, qui vaut 1/30e d'une botte, vaut 70 ou 80 ducats".

Notre glyphe était donc bien une unité de mesure, l'amphore, mesure de capacité utilisée dans la tonnellerie, et la botte, ici son étalon, était aussi connue en d'autres pays. En France, elle valait 279 litres sous Henri IV (elle y valut jusqu'à 520 litres). En Italie aussi, comme dans toute l'Europe, les unités de mesure variaient aussi bien selon l'époque que selon le lieu. L'amphore (anfora) valut en Italie entre 12,5 litres et 26 litres environ. On imagine bien que la mesure de l'amphore, venant du grec "anphoreus", est bien plus vieille que son icône, quand on sait que les amphores de terre cuite étaient depuis la nuit des temps méditerranéens le contenant modèle pour les grains, l'huile, le vin, etc... L'icône elle-même, en revanche, est apparue tardivement au moyen-âge, et dériverait d'une écriture spéciale, la "mercantesca", développée au sein du monde marchand italien, en premier lieu vénitien et florentin, et enseignée dans les écoles d'abaque pendant toute la Renaissance, époque où a dû naître le symbole de l'amphore, qui ne devrait pas , nous dit Giorgio Stabile, être antérieur au XVe siècle.
 

Et c'est encore Stabile qui nous permet de faire un autre pas, décisif lui aussi, quand il trouve un un dictionnaire espagnol-latin d'Antonio Nebrjia édité à Salamanque en 1492, qui donne une traduction espagnole de l'"amphora" : arroba, et définie comme mesure de poids valant 12,5 kg, encore utilisée aujourd'hui pour estimer le poids des taureaux de combat. Le terme arroba (aroba, arova) est aussi connu de l'anglais, au plus tard en 1598, dans un voyage aux Indes, c'est le prestigieux Oxford English Dictionary qui le dit, tout en précisant d'autres variantes attestées (aroba, arobe, etc...) et sa définition comme unité de mesure, utilisée en Espagne, au Portugal, et dans l'Amérique espagnole. Le mot vient très probablement de l'arabe ar-roub (ou rub'a, al-reba'a selon le Littré, de al (le) et reba'a (quatrième)), une autre unité de mesure signifiant "un quart", et utilisé par exemple en Irak, Egypte ou Arabie. Elle se transmit à l'Espagne lors de la longue invasion arabe (711-1492), puis aux autres pays d'Europe et d'Amérique, avec des appellations et des valeurs propres à chaque contrée, en moyenne 25 livres, soit 11,5 kg, 16 litres pour le vin et 12,5 litres pour l'huile. Cependant elle pouvait parfois valoir six gallons impériaux, soit 23 litres !
 
 
Maintenant que nous avons mis le doigt sur l'arroba, vous devez vous dire que l'enquête est sur le point des se terminer. Mais oui, allez, faites un petit effort : arroba....arrobas au pluriel....arobase...arobasque....quelle filiation !
Il n'y a plus de doutes n'est-ce pas? La copie conforme de notre héros se trouve bien là sous nos yeux, non?
Ce n'est pas si facile, cher lecteur, car il faudra maintenant expliquer un saut de plusieurs siècles, des changements d'orientation, des blancs de différentes sortes. Non, cette enquête n'est vraiment pas de tout repos !
 


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