ENCYCLOPEDIE -DE--LA--LANGUE -FRANCAISE
 

-ABBAYE

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BIBLIOTHEQUE

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ETYMOLOGIES
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ORIGINES :
 
L'ORIENT
 

 


ETYMOLOGIES
INTRODUCTION
L'ORIENT, introduction
L'ORIENT, les premières bibliothèques monastiques
 

 
 
 
 


Etymologies

 

Dès le haut moyen-âge la dénomination de "bibliotheca", par laquelle les Romains désignait la bibliothèque, ne sera guère usitée en Occident pendant longtemps au profit d'un mot latin : armarium "(plur."armaria") qui était, pour les Romains toujours, le meuble contenant des livres (liber : par métonymie, il désigne alors tout ouvrage écrit, qu'il soit sous forme de rouleau ou de codex ) : cette acception d'armarium a été traitée dans le cadre du mobilier du scriptorium. La plupart des fonds de bibliothèque tenant en un seul armarium, on comprendra bien que, dans la plupart des cas, il n'y avait pas lieu de consacrer une pièce à la conservation des ouvrages. Ceux-ci étaient alors rangés de préférence dans un bureau, privé ou commun : voir Les lieux du scriptorium.

Etrangement, le substantif qui découle d'armarium et désigne notre bibliothécaire, ne fut pas l'armarius avant l'an mil environ, mais bibliothecarius, alors que bibliotheca avait été abandonné. Ce terme est mentionné pour la première fois par Marc-Aurèle, dans une lettre à son maître Fronton, en 144, à propos d'un Tiberianus bibliothecarius, en charge de la bibliothèque du Temple d'Apollon, dont il cherchait à obtenir quelques faveurs.

Par un glissement sémantique simple, au début du moyen-âge, "armarium" en est venu à désigner, en plus du meuble, la pièce attribuée à la conservation des livres, mais aussi au fonds même d'une bibliothèque, c'est à dire l'ensemble d'une collection. A ce propos, rappelons que le livre a longtemps été un produit de luxe, coûteux à produire (voir Scriptorium, le parchemin ) et que, pour cette raison, et ce jusqu'au XIIe siècle, les collections monastiques (ou non) ne comportaient souvent pas un nombre très volumineux d'ouvrages. On comprendra alors pourquoi l'armarium désigne plus souvent jusque-là, l'armoire, le magasin à livres, et moins un espace entier dévolu aux livres (voir mobilier du scriptorium). Dès le haut moyen-âge, on prit généralement l'habitude d'abriter cet armarium dans un renfoncement d'un des murs du cloître : c'est le commune armarium, l'armarium claustri. Il est encore possible de voir ces armarii en forme de niche dans un certain nombre d'abbayes, cisterciennes en particulier. Le cloître n'était cependant pas le seul endroit où les livres étaient déposés. A l'instar des anciens, les moines conservaient certaines collections de livres à l'endroit où ils étaient lus. Nous verrons donc, qu'on pouvait trouver des petites bibliothèques, de livres liturgiques surtout, à l'église, par exemple à la sacristie, qu'on appelle parfois armarium parvum (petit scriptorium), opposé au armarium magnum (grand scriptorium). Mais on en trouve aussi à l'infirmerie, au réfectoire, au dortoir, au noviciat, dans les logis de l'abbé ou d'autres invités, etc... Cette diversité de lieux de conservation est connue pour l'abbaye célèbre de Citeaux, par exemple, comme le reflète le catalogue de Jean de Cirey, daté de 1480.

Le terme, et ses variantes : armariolum, armamentarium, armararium, seront usités assez exclusivement jusqu'au XIIe siècle. A compter du XIIIe s. le mot "libraria" (de liber, voir plus haut) vient à le concurrencer parfois, les deux étant très employés tour à tour dès le XIV et XV siècles. De même, on trouve jusqu'au XVIIe siècle le mot latin "archivum", qui désigne tour à tour bibliothèque et archives. A Rome, c'est bien un archivum que possédait le pape Damase Ier (Damasus, 366-384), qui contenait à la fois livres et archives (diplomatie, chancellerie, etc...).

Libraria finira par l'emporter quand se créeront de grandes bibliothèques publiques et privées, au XVIIe et XVIIIe s. et les Anglo-Saxons l'emprunteront pour former leur "library", bibliothèque, pendant que les Italiens, Espagnols ou Français le détournaient vers le lieu du commerce du livre, respectivement "libreria" et "librairie", et retournaient à l'ancienne bibliotheca, sous différentes formes, pour désigner le lieu de conservation du livre.


INTRODUCTION

 

 
 
Nous savons que, dès les premiers siècles, des bibliothèques se sont constituées principalement autour des écrits bibliques et ceux des premiers théologiens chrétiens, les fameux pères de l'Eglise : c'est la littérature patristique. Très tôt, nous le verrons au travers de la culture monastique, les moines ont pris leurs distances par rapport à la culture antique, n'y voyant là que de vaines études, en comparaison avec la connaissance des choses divines. N'allons donc pas imaginer dans les premiers monastères chrétiens un catalogue encyclopédique des savoirs du temps, mais plutôt un ensemble de livres dont l'abbé ou l'évêque, par exemple, pensent qu'ils nourriront, renforceront ou défendront avantageusement la foi du moine.

Nous n'aurons pas, hélas, de catalogues de bibliothèques avant plusieurs siècles pour étayer ces dires de manière approfondie. D'autre part, nous n'aurons pas avant longtemps non plus, d'amples informations sur le lieu ou l'organisation de la bibliothèque. Nous essaierons alors d'appréhender les lieux de conservation par le biais de son contenu, les livres, leur usage, par la lecture, tout cela sous l'éclairage de la culture du livre dans les monastères.

Les collections de livres des premiers moines étant généralement modestes, voire très modestes, on ne pourra pas imaginer que les communautés puissent disposer, sauf exceptions, d'imposantes bibliothèques, à l'image des établissements luxueux établis par les empereurs Grecs ou Romains, ou par leurs grands serviteurs, que nous avons évoqué. Les témoignages les plus anciens, nous le verront, nous parlent plus de coffres (arcae) ou d' armoires (armaria), plus rarement de salles entièrement réservées aux livres (bibliothecae).


L'ORIENT, introduction


 
En dépit des partielles destructions, la fameuse bibliothèque d'Alexandrie servit sans doute, toutes proportions gardées, de modèle à l'École Théologique d'Alexandrie, la plus fameuse des didascalées (écoles de catéchèse chrétienne, du grec didakticos, didaskein : enseigner), fondée peut-être par saint Marc lui-même, s'il faut en croire Jérôme et dont la bibliothèque est créée par Pantène (Pantenus) vers 180. Les collections de la célèbre bibliothèque des Ptolémées alimentèrent très certainement la culture des didaskaloi (didaskaloi, professeurs, maîtres) de l'école, successeurs de Pantenus, dans l'ordre : Clément d'Alexandrie (Titus Flavius Clemens, vers 150-215), Origène (Origenus, 185-254 env.), Pamphile (Pamphilus, vers 240-310). Clément, Origène, Jérôme, et avec eux les Pères Cappadociens : Grégoire de Naziance, Grégoire de Nysse, Basile de Césarée, tous ont encouragé l'usage, par les chrétiens, de la paideia (éducation, culture) classique païenne. Le dernier va même assez loin en ce sens, puis qu'il affirme que la paideia peut être intégrée à la culture chrétienne. La situation n'est pas différente dans l'école et la bibliothèque de Césarée, créés par le même Origène, en Palestine. Il ne s'agit pas de prétendre, bien sûr, qu'Origène avait fondé un quelconque monastère, mais avec Le Révérend Père Jésuite Henri Crouzel1, sûrement le meilleur connaisseur du théologien alexandrin, de dire, en substance, qu'il avait préparé un terreau fertile : Origène, ses pairs ou ses élèves ne vivaient-ils pas en commun, étudiant et enseignant inlassablement les choses sacrées?

1
--Henri Crouzel, "Origène, précurseur du monachisme", Théologie de la vie monastique (Paris:1961) 15-58.

Ajoutons qu'une bibliothèque impériale existait déjà avant l'arrivée d'Origène à Césarée (vers 231), et qu'il y étudia de nombreux ouvrages judaïques. Pamphile la développa de manière conséquente, nous informe Isidore de Séville, qui prétend qu'elle contenait le chiffre impressionnant de 30000 rouleaux. Si l'on en croit les témoignages, c'est un miracle qu'elle ait, comme quelques autres, échappé aux persécutions de Dioclétien en 303 : "Les officiers pénétrèrent dans l'église de Cirta, où les Chrétiens avaient l'habitude de s'assembler, et la dépouillèrent de ses calices, lampes, etc... mais quand ils arrivèrent à la bibliothèque [bibliothecam], ils trouvèrent les presses [armaria] vidées de leur contenu ".

C'est Eusèbe de Césarée (263-339 env.) qui nous révèle le mieux, par son oeuvre majeure, l'Historia Ecclesiastica (L'Histoire Ecclésiastique, vers 329), la qualité exceptionnelle de cette institution (elle ne semble pas avoir survécu à l'invasion des Perses, en 614), qui était de surcroît un scriptorium important : c'est à elle que l'on devrait les premières copies de manuscrits sur parchemin, qui ne devaient remplacer le papyrus un peu partout qu'au IVe siècle, durant lequel de nombre d'intellectuels chrétiens profitèrent de sa richesse. Comme Eusèbe, Jérôme (344-420), y puisa abondamment en écrivant ses commentaires et traduction en latin de la Bible (la célèbre Vulgate, terminée vers 405, suivant la tradition dans une grotte de Bethléem). Dans la bibliothèque de Césarée, Jérôme découvrit les Hexaples d'Origène (écrit vers 245), une édition de la Bible en six colonnes : texte hébreu, transcription de l'hébreu en grec, tel qu'on le parlait en Samarie au IIIe siècle, puis quatre versions grecques : Aquila (traduction littérale), Symmaque (traduction littéraire), Septante, Théodotion (révision de la Septante), des signes spéciaux indiquant les différences entre les versions. Jérôme aurait confié une grande partie de sa collection à la bibliothèque du monastère de Bethléem à la fin de sa vie.

 


L'ORIENT, les premières bibliothèques monastiques



Sans les connaître dans le détail, nous savons l'existence de bibliothèques dans quelques tout premiers monastères d'Orient. Les plus anciennes sont sans doute celles des monastères d'obédience Pachômienne : la fameuse collection de Nag Hammadi en faisait-elle partie? C'est en tout cas une des plus belles découvertes de bibliothèques monastiques qui fait réfléchir sur la culture des premiers moines d'Orient, voire des premiers chrétiens en général, traversée visiblement par différents courants, gnostiques en particulier. Au monastère de Tabenne (Tabennesi), qui possédait une bibliothèque, celui qui passe pour l'initiateur du cénobitisme, Pachôme, insistait d'ailleurs beaucoup, dans sa typicon (constitution, règle), sur l'étude des livres (on sait qu'il détruisit une copie d'Origène, qu'il trouva haïssable). Chaque matin, le moine recevait un ouvrage des mains d'un "secundus", ouvrage qu'il devait remettre le soir au préposé ou le remettre lui même dans l'armoire aux livres. En Moyenne-Egypte, on a retrouvé des centaines de parchemins et des fragments de papyrus sur le site du monastère d'Apollo à Baouit, témoins d'une riche bibliothèque.
Il nous faut maintenant nous arrêter sur le Monastère Blanc de Shenouda, en Haute Egypte, pour lequel nous avons des informations concernant le contenu de sa bibliothèque, probablement la plus importante de l'Egypte Copte, explorée par Lefebvre :
"...passant enfin à l'extrémité nord-est de la basilique, nous retrouvons la pièce dont j'ai parlé plus haut, qui, située à gauche de l'abside principale, est construite au-dessous d'une crypte et mène à un escalier. L'escalier est bien conservé. Il monte jusqu'aux terrasses et passe, au premier étage, devant une chambrette, «dont les murs, dit Amélineau, couverts de bizarres inscriptions, attestent que plus d'une fois l'ennemi a rongé le coeur des moines successeurs de Schenoudi.» C'est dans cette chambrette, je crois, qu'a été trouvée, en 1883, les quatre mille feuillets de parchemin ..."

De l'époque même de Shenouté, il ne nous reste peu de manuscrits, en grande partie détruits par le temps puis, parfois, recopiés dans les siècles ultérieurs. Ces manuscrits primitifs du Ve-VIe siècles sont écrits dans des formes anciennes du copte, l'akhmimique (ou achmimique) ou le sahidique, ce dernier ayant été perfectionné d'ailleurs par Apa Shenouda lui-même. Les plus anciens manuscrits retrouvés sont témoins, comme à Nag Hammadi, de la diversité des sources de la culture chrétienne des premiers siècles. Ce sont, par ordre d'importance :
- Les textes bibliques : Ce sont les plus abondants, on s'en douterait. Presque tout l'Ancien Testament est représenté, y compris le Deutéronome, à l'exception des livres historiques, qui occupent peu de place, en vérité, non seulement au Couvent Blanc, mais dans tous les monastères coptes de cette époque. L'intégralité du Nouveau Testament s'y retrouve, mais sous forme de fragments épars.
- Les Evangiles Apocryphes, les Actes, les Vies bibliques : Ces dernières sont très présentes dans les monastères coptes. Sont inclus les Evangiles des douze apôtres, l'évangile de Bartholomée, les Actes de saint Thomas, les Actes de Pilate, la Vie de la Vierge Marie, celle de Joseph le charpentier.
- Les textes historiques : Ils concernent essentiellement un manuscrit de l'histoire de l'église d'Alexandrie au IVe-Ve siècles, en plus de divers fragments de codex comprenant les actes des grands conciles de Nice et d'Ephèse.
- Les textes hagiographiques : Ils sont abondants dans toutes les bibliothèques monastiques en général, et celle du Monastère Blanc ne fait pas exception à la règle. On trouve des actes et divers écrits sur un certain nombre de martyrs, tels Colluthe (Colluthus) le Physicien, saints Cosme et saints Damien, saint Mercure (Mercurius), saint Psote, saint Théodore, saint Victor et de nombreux autres. On trouve aussi les Vies de saints de l'Eglise Copte, tels Antoine, Athanase, Pachôme et ses disciples, Samuel de Qalamun, Shenouda le Grand, pour n'en nommer que quelques uns.

De nombreuses oeuvres d'écrivains coptes font partie de la collection primitive de Nag Hammadi, citons par exemple : Les traductions du grec en copte des écrits des Pères de l'Eglise, tels saint Pierre d'Alexandrie, Athanase l'apostolique, Théophile, Cyrille le Grand ou Dioscore (Dioscorus). Les traductions en grec d'oeuvres non Coptes concernent les ouvrages de Cyrille de Jérusalem, Jean Chrysostome ou Sévère (Severus) d'Antioche, etc... Une part significative des textes coptes, toujours, concerne les écrits de Chénouté. On trouve aussi : les sermons de Besa, les écrits de Pachôme et de ses disciples, les Apophtegmes, et divers textes de Constantin d'Assiout, Jean de Burulus ou Rufus de Shotep.
Si l'on se réfère aux témoignages sur l'activité des scrinia (sing : scrinium) attestés un peu partout dans les monastères d'Orient dès le IVe -Ve siècles, il ne fait aucun doute que ces monastères possédaient, à leur mesure, un ensemble de livres, même s'il ne tenait, la plupart du temps sans doute, que dans une ou deux armoires (voir ABBAYE - SCRIPTORIUM - MENU - Origines).

Rappelons que cette période est un moment capital pour l'avenir du christianisme. Constantin fait triompher progressivement la religion chrétienne et, ce faisant, travaille à sa diffusion en créant une bibliothèque impériale dans la nouvelle Rome, Constantinople (vers 336). Modeste, d'une certaine manière, avec ses 6000 volumes à sa naissance, elle acquit rapidement une taille respectable avec près de 100.000 volumes, si l'on en croit l'encyclopédie de Diderot et d'Alembert. Inutile de préciser que cette richesse a dû profiter aux moines des nombreux monastères environnants, qui ont pu recopier alors nombre de précieux manuscrits :
"(...) C'est dans cette bibliotheque que fut déposée la copie authentique du premier concile général de Nicée. On prétend que les ouvrages d'Homère y étoient aussi écrits en lettres d'or, & qu'ils furent brûlés lorsque les Iconoclastes détruisirent cette bibliotheque. Il y avoit aussi une copie des évangiles, selon quelques auteurs, reliée en plaques d'or du poids de quinze livres, & enrichies de pierreries. (...)"

La première bibliothèque monastique de Constantinople dont nous avons connaissance serait celle du monastère Akoimiton, fondé par des Syriens vers 420. Comme pour la plupart des monastères orientaux de l'époque, on y distingue trois types de bibliothèques : celle du katholikon (église principale) d'abord, qui est la bibliothèque la plus importante du monastère. Elle occupe souvent la sacristie ou une salle attenante à celle-ci, et contient, outre les livres liturgiques, les livres ecclésiastiques les plus importants pour la communauté. Le monastère peut comporter, en plus de cette bibliothèque principale, une bibliothèque d'archives, contenant par exemple les lettres, les contrats, les documents administratifs relatifs au monastère, à son organisation, etc... Enfin, il arrivait que des moines eussent, pour leur propre usage, une collection privée de livres.

Constantinople était loin de posséder, cependant, le monopole de la culture. Nous avons vu que Pergame ou Antioche avait, avant elle, été dotée de bibliothèques royales. Parmi les plus notables d'entre-elles, il faut sans doute ajouter celle que des chrétiens nestoriens, fuyant des persécutions en Syrie, ont fondé en Perse, à Nisibe, vers 457, basée sur des ouvrages de philosophie et de sciences grecques.

Avant de nous tourner vers l'Occident, nous devons évoquer la plus vieille bibliothèque monastique du monde en activité, celle du monastère Sainte-Catherine, au Sinaï, en Egypte, fondée par Justinien vers 527. Bien qu'ayant conservé certaines traces d'architecture byzantine, sa restauration moderne date des années 1930-1942, avec une protection contre le feu, en particulier. Elle possède, entre autres, aujourd'hui, la seconde collection d'incunables du monde après le Vatican, près de 3400 manuscrits rédigés en grec, en arabe, en syriaque, en géorgien, en arménien, en copte et en éthiopien :

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Monastère Sainte-Catherine, bibliothèque
A gauche, La Sacristie Sacrée (VIe s) au premier étage. Une des neuf pièces d'un musée réunissant
les manuscrits les plus remarquables du monastère et équipée de manière ultramoderne pour la protection des ouvrages.
A droite, décor mural d'une autre salle représentant l'échelle de Jacob.