ENCYCLOPEDIE -DE--LA--LANGUE -FRANCAISE

ABBAYE
 1. Parcheminerie. Gravure de l'Encyclopédie de Diderot de D'Alembert (1751-1772)

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SCRIPTORIUM
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SUPPORTS D'ECRITURE

---LE PARCHEMIN

 


 

Peaux de bêtes


Le parchemin est fait, nous l'avons évoqué, de peaux de bêtes, auxquelles ont fait subir différents traitements. Les animaux concernés étaient en majorité des chèvres, des chevreaux, des agneaux, des moutons, des béliers, des cerfs, des lapins, parfois des antilopes ou des chevaux, voire....des écureuils :

Présentation de feuillets de parchemin à base de peaux d'écureuil, Codex Manesse, planche 131.

"Vers 1182, un moine de l'abbaye bénédictine Saint-Laurent de Liège qui avait à se plaindre du silence d'un de ses amis, moine à Stavelot, écrit notamment à ce dernier : " Tu ne m'as donné aucune consolation. Tu ne m'as pas envoyé de lettre, comme si l'Ardenne ne possédait pas les béliers, les moutons, les veaux dont la peau sert d'habitude à fabriquer le parchemin ".
Jacques STIENNON, Paléographie du Moyen Âge, Colin, Paris, 1973, pp. 152-154.

Un certain nombre de monastères élevaient un cheptel suffisant pour la fabrication de leur parchemin. Un moine de l'abbaye bénédictine Saint-Laurent de Liège ( Belgique ), se plaint du silence d'un de ses amis, moine à l'abbaye de Stavelot, en ces termes : "Tu ne m'as donné aucune consolation. Tu ne m'as pas envoyé de lettre, comme si l'Ardenne ne possédait pas les béliers, les moutons, les veaux dont la peau sert d'habitude à fabriquer le parchemin ". Si on sait que des moines pratiquaient l'activité de parcheminier (voir manuscrit de Bamberg déjà cité), on sait aussi que les monastères passaient commande de parchemin à des ateliers extérieurs à l'abbaye, le plus souvent laïcs, mais pouvait aussi abriter en leur sein même des parcheminiers qui n'étaient pas des moines, ce que nous atteste pour son monastère l'abbé de Corbie Adalhard (751-826), cousin de Charlemagne, qui aurait lui-même concédé aux moines de Saint-Denis, en 744, une forêt avec toutes ses bêtes pour pourvoir aux divers besoins de la bibliothèque de l'abbaye !

Une peau de mouton fournissant un bifolio de 50 x 70 cm pour un volume d'une taille de 50 x 35 cm, on peut imaginer à quel point le volume entier représente de richesse à lui tout seul. A l'époque carolingienne, on a le goût des grands livres, aux mises en page très aérées : une Bible de quatre cents feuillets (200 bifeuillets) nécessitaient deux cents peaux de mouton ! Cinq cents peaux de mouton furent nécessaires pour le Codex Amiatinus ! Tout ceci nous permet de nous rendre compte du luxe que représentait la possession d'un livre (qui plus est illustré) de l'époque !
 
Au XIIe-XIIIe siècles, la culture se répandant dans les milieux laïcs, les universités, la demande de livres explose et oblige à plus d'économie : le manuscrit devient en moyenne plus compact et peut se fabriquer avec moins de parchemin. Cela n'empêche pas le goût roman pour les grands ouvrages, comme la célèbre compilation de Florus de Lyon (BNF, latin 11575) :
Exécutée en 1164 à l'abbaye de Corbie, elle regroupe en deux tomes (47, 5 x 34 cm) les commentaires de saint Augustin sur les épîtres de saint Paul et sa fabrication a nécessité environ cent trente deux moutons.

 
 
 
Traitement des peaux
 

 
Les méthodes de parcheminage varient, bien sûr, selon l'épaisseur des peaux, de la qualité de parchemin qu'on veut obtenir. Nous décrivons ci-dessous les différentes étapes d'un processus complet de transformation (voir illustration 1), tout en gardant à l'esprit que les méthodes variaient dans le détail, selon les traditions, les pays, les bêtes concernées (épaisseur de peau), etc... :

Tout d’abord, la peau de l'animal utilisée est trempée dans de l'eau, pour la réhumidifier et la laver des insectes, des excréments, etc...(le mouton, par exemple, est très sale !), trempage qui facilitera le délainage (ou délaine). On les égoutte ensuite, et les empile les unes sur les autres, le côté chair toujours dessus. On intervient alors de chaque côté de la peau : Face externe (la fleur), où l'on ôte les poils (la bourre) ou la laine par ébourrage, avant de s'attaquer aux résidus d'épiderme par effleurage. Face interne (la croûte), on ôte la chair délicatement sans abîmer la peau, en s'aidant d'une couche de sulfure de sodium dont on enduit la croûte : c'est le barbouillage, suivi du pliage des peaux en deux, chair contre chair. On laissait ainsi les peaux une semaine à quinze jours, avant le chaulage.
 
A ce stade, la peau est trempée dans un bain de chaux* (plein ou pelain), obtenue par calcination de roche calcaire. On décolle ainsi encore plus de poils, on détruit les racines capillaires de la peau, la graisse contenue dans l'hypoderme : c'est le pelanage. Celle d'un mouton y demeure 4 ou 5 jours, pendant lesquels une odeur insupportable se dégage, dû à la putréfaction. Celle-ci est ensuite rincée à l'eau et tendue sur un chevalet en bois avec des lacets de corde, plutôt de chanvre. Si on veut obtenir un très bon produit fini (plus cher, bien sûr), on la mouille à nouveau, de deux à quatre semaines environ.

* C'est une chaux dite "vive", très corrosive, et les accidents peuvent causer de graves brûlures, parfois mortelles. Celle que l'on utilise habituellement est dite " éteinte " car hydratée : elle sert d'enduit mural, de ciment.

 
Puis, le parcheminier rature la peau au couteau, c'est l'écharnage, qui élimine l'hypoderme, le reste des chairs et des graisses qui subsistent (voir image 2, médaillons à gauche, en bas). Parfois, on rince encore à l'eau oxygénée, c'est le blanchiment.

----2.
 

2. Parcheminier en pleine opération d'écharnage, àl'aide du lunellarium, couteau caractéristique par sa forme, en demi-lune. Le terme souvent cité pour cet outil à arracher et découper est le rasorium (rasoir).
 

On sèche enfin le produit obtenu à l'air, un mois ou plus, en le tendant sur un chevalet appelé herse. On égalise la surface du parchemin à la pierre ponce (pumex) ou bien la pierre de gypse, ou encore une plana ou planula (plane), c'est le ponçage :

Enfin, on polit le papier pour le rendre lisse et en diminuer l'épaisseur, par exemple avec une défense de sanglier ou d'ivoire : dens verri sive apri, sive liofe. On peut aussi saupoudrer les peaux de poudre de craie (creta), le groison, qui limite la porosité du parchemin, et partant, les grosses taches (disait-on groisonnage? groisonner?).
 
Le parchemin le plus fin s'obtient avec des peaux de veaux morts-nés, il s'appelle le vélin ( vellum ). Il est bien entendu, par son prix, réservé aux ouvrages luxueux.

Après toutes ces opérations, on obtient un matériau imputrescible, qui ne brûle pas aisément, ne se déchire pas et peut se conserver mille ans !

 
 


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