ENCYCLOPEDIE -DE--LA--LANGUE -FRANCAISE
 
L-LA --REFORME-- GREGORIENNE
2e partie
 
Le pape Grégoire VII
La querelle des Investitures

 

 

figure de l'empereur du saint empire romain germanique Henri IV, tiré du Chronicon universale (Chronique universelle), écrit par le moine Ekkehard, abbé d'Aura (Aurach) en Bavière, 1113-1114.

 

 
Grégoire VII naquit vers 1043 ou 1045, à Soano ou Soana, petite ville de Toscane ; son père, Bonic ou Bonizon, y faisait le métier de charpentier. On ne sait rien de précis sur sa famille; mais son nom, Hildebrand,. semble bien indiquer une origine germanique. Il fit ses premières études dans le couvent de Sainte-Marie-sur-l'Aventin. On dit qu'il y eut pour maître Jean-Gratien; celui-ci, devenu pape sous le nom de Grégoire VI, le prit pour chapelain. Quand ce pape, qui avait inauguré par un acte de simonie la réforme de l'Eglise, fut exilé en Allemagne, Hildebrand le suivit et resta auprès de lui jusqu'à sa mort (1048). Puis il se retira à Cluny et soutint très efficacement les entreprises des papes réformateurs et dominateurs. On y recueillait et on y systématisait, sur la souveraine juridiction de l'Eglise à l'égard des princes, les maximes que les prélats francs avaient si hautement affirmées et si durement appliquées dès le temps de Louis le Débonnaire; mais, comme l'avaient déjà fait alors les moines de Corbie, Wala et Paschase Radbert, et, peu après, les Fausses Décrétales, on attribuait à la papauté le suprême exercice de toute la juridiction de l'Eglise. On y rêvait une Eglise affranchie des principautés et des prélatures séculières, détachée des dépendances et purifiée des souillures que les gens du siècle lui avaient infligées, gouvernant le monde sous le sceptre du pape secondé par les moines et par un clergé réduit à la continence ou, au moins, au célibat. De leur côté, plusieurs empereurs allemands avaient fait des efforts très sincères pour relever la papauté de l'avilissement où elle était tombée, et pour réformer les mœurs du clergé. En 1048, Brunon, évêque de Toul et parent de l'empereur, avait été proclamé pape par une diète tenue à Worms. Il n'accepta qu'à la condition d'obtenir le consentement du clergé et du peuple romains. Il fut confirmé dans cette résolution par Hildebrand, dont il avait remarqué la vie austère et il voulut l'attacher à sa personne. Celui-ci lui persuada de quitter ses vêtements épiscopaux et de se rendre à Rome comme un simple pèlerin, pour demander le renouvellement et la confirmation de sa nomination. Elu par le clergé et par le peuple (1er février 1049), Brunon prit le nom de Léon IX, nomma Hildebrand sous-diacre et le chargea de l'administration des revenus du saint-siège, laquelle était dans le plus grand désordre. Les actes les plus importants de ce pontificat furent conseillés et dirigés par Hildebrand, dont l'influence, ou plutôt l'autorité s'accrut de jour en jour. Il en fut de même sous les successeurs de Léon IX : Victor II (1055-1057), Etienne IV (1057-1058), Nicolas II (1058-1061), Alexandre II (1061-1073). Les règnes de ces papes ne forment guère que des chapitres de l'histoire de Hildebrand qui, avant de devenir pape lut-même, avait été pendant vingt cinq ans, non seulement le conseiller, mats le directeur des papes, et même faiseur de papes.


Aussitôt après la mort d'Alexandre II, Hildebrand fut élu par les cardinaux, sous la pression tumultueuse du peuple. Cette élection effraya les évêques, qui redoutaient sa sévérité. Comme on n'avait point attendu, pour y procéder, le consentement impérial, ainsi que l'exigeait encore le droit établi, les évêques de France, qui avaient subi l'expérience de son zèle réformateur, quand il était venu chez, eux comme légat, supplièrent l'empereur Henri IV de ne point la reconnaître. Hildebrand en sollicita la confirmation, et il ne prit possession du siège apostolique qu'après l'avoir obtenue; mais, dans l'intervalle, il avait accompli des actes importants du pouvoir pontifical. Il adopta le nom de Grégoire, et on attribue généralement ce choix au souvenir pieux qu'il avait voué à Grégoire VI. Dès son avènement, il réclama, en vertu de la donation de Constantin, la Corse, la Sardaigne et même l'Espagne; il soutint que la Saxe avait été donnée au saint-siège par Charlemagne, la Hongrie par le roi Etienne ; et il réclama de la France le denier de Saint-Pierre. Mais, comme la` poursuite de ces prétentions aurait rencontré des résistances fort difficiles à surmonter, il concentra tous ses efforts dans la lutte qu'il avait commencée sous ses prédécesseurs, pour réduire les prêtres au célibat, réprimer la simonie, et, ce faisant, affranchir l'Eglise de toute dépendance envers les laïcs et soumettre tous les chrétiens à sa juridiction souveraine.


Dans un concile tenu à Rome (1074), Grégoire VII excommunia comme simoniaques plusieurs conseillers d'Henri IV, déposa les évêques qui avaient reçu de lui l'investiture, et le cita à Rome, pour répondre aux accusations de simonie, sacrilège et tyrannie. Grégoire fit interdire l'entrée des églises aux prêtres coupables de fornication. c'est à dire aux prêtres mariés ou vivant en concubinage. Le même concile condamna, comme simonie, toute investiture de bénéfice ou de dignité ecclésiastique, donnée par des laïcs; défendant, en conséquence, aux seigneurs de la donner, et aux évêques et aux abbés de la recevoir. Aux fêtes de Noël de cette année, une révolte fut organisée à Rome, par Censius, chef de la noblesse opposée aux réformes. Le peuple aida le pape à la réprimer. L'exécution de ces décisions fut poursuivie en divers pays, avec des différences qui semblent montrer que chez Grégoire la rigueur n'excluait pas complètement la souplesse. Dès 1073, il avait attaqué Philippe Ier, roi de France, pour simonie; en 1074, il essaya de soulever contre lui les évêques de son royaume; il leur écrivit : "Entre tous les princes qui, par une cupidité abominable, ont vendu l'Eglise de Dieu, nous avons appris que Philippe, roi des Français, tient le premier rang. Cet homme, qu'on doit appeler tyran et non roi, est la tête et la cause de tous les maux de la France. S'il ne veut pas s'amender, qu'il sache qu'il n'échappera pas au glaive de la vengeance apostolique. Je vous ordonne de mettre son royaume en interdit. Si cela ne suffit pas, nous tenterons, avec l'aide de Dieu, par tous les moyens possibles, d'arracher le royaume de France de ses mains; et ses sujets, frappés d'un anathème général, renonceront à son obéissance, s ils n'aiment mieux renoncer à la foi chrétienne. Quant à vous, sachez que, si vous montrez de la tiédeur, nous vous regarderons comme complices du même crime, et que vous serez frappés du même glaive." Philippe promit de s'amender, mais continua sa
" male vie "; les évêques ne mirent pas le royaume en interdit, et le pape s'abstint de donner suite à ses menaces. C'est le début de ce qu'on appellera la

 
 
QUERELLE--DES--INVESTITURES.
 

 

Henry IV contre Gregory VII, dessin allemand du XIIe siècle

 
On dénomme souvent ainsi la première partie du combat de la papauté contre l'Empire : règnes de Henri IV et Henri V; pontificats de Grégoire VII, Victor III, Urbain II, Pascal II, Gélase II, Calixte II. Cette guerre, dans laquelle la papauté et ses champions, incitant la félonie des sujets et l'ingratitude des enfants, montrèrent, plus encore que les empereurs, un audacieux mépris de toutes les lois qui sont la sauvegarde des sociétés humaines, eut pour cause réelle la prétention de Grégoire VII et de ses successeurs de soumettre toutes les Eglises et tous les Etats de l'Occident à la domination absolue du pape, tant au temporel qu'au spirituel. A cette cause principale vinrent se mêler successivement diverses causes incidentes : les rébellions et les rivalités des feudataires allemands, les revendications des cités lombardes, les conflits des factions romaines, les convoitises ambitieuses des Normands d'Italie, enfin la succession de la grande comtesse Mathilde.

Soulevée par un décret d'Alexandre II, reprise par Grégoire VII en 1075, la question des investitures était restée sur le terrain de la controverse. La guerre fut provoquée par la sommation adressée à Henri IV de comparaître à Rome pour répondre aux accusations de ses sujets révoltés. Comme la plupart des princes, ses contemporains, Henri IV donnait à ses sujets de graves scandales et des motifs très légitimes de plainte; mais il est notoire que la révolte avait été fomentée par Grégoire VII; il semble même que la plainte qui faisait appel à sa suprême juridiction avait été rédigée par lui, tant elle reproduit exactement sa pensée et son style : l'Empire est un fief de Rome... Il est temps de rendre à Rome son droit de faire les rois. C'est la plenitudo potestatis et il s'agit là de toute autre chose que de la forme et des abus de l'investiture. D'ailleurs, dans le concile qu'il avait tenu à Rome en février 1075, Grégoire avait fait condamner, non seulement toute espèce d'investiture de la part des laïcs mais toute espèce de participation à la collation des bénéfices ecclésiastiques :
"Si quelqu'un désormais reçoit de ta main de quelque personne un évêché ou une abbaye, qu'il ne soit point considéré comme évêque. Si un empereur, un roi, un duc, un marquis, un comte, une puissance ou une personne laïque a la prétention de donner l'investiture des évêchés au de quelque dignité ecclésiastique, qu'il se sache excommunié".
Pour frapper l'esprit des fidèles, Grégoire appelle là indistinctement simonie toute transmission d'un bénéfice ecclésiastique par un laïc, alors qu'elle pouvait être absolument désintéressée, et qu'elle n'était point subordonnée à d'autre condition que celle de satisfaire aux obligations féodales. En réalité, la question de l'investiture proprement dite et de ses formes tint une place très secondaire dans le conflit qui ensanglanta l'Allemagne et l'Italie pendant un demi-siècle; elle y fournit quelques incidents, mais elle n'y fut ordinairement qu'un prétexte.

Les positions de Grégoire VII sont contenues les Dictatus Papae (Les préceptes du pape) de 1075, en 27 points, dont certains contestent l'authenticité, alors qu'ils présentent bien, pour la pensée et pour l'expression, ce que les autres écrits de Grégoire font attendre de lui :

Les Dictatus Papae de Grégoire VII, 1075

Traduisons maintenant ces assertions. Le pape affirme :


1. Que l'église Romaine a été fondée par Dieu seul.
2. Que le pontife romain Romain seul peut de droit être appelé universel.
3. Que lui seul peut déposer ou rétablir des évêques.
4. Que, dans un concile, son légat, même de grade peu élevé, est au-dessus de tous les évêques et peut prononcer la déposition de l'un d'eux.
5. Que le pape peut déposer quiconque en son absence.
6. Que, parmi d'autres choses, il ne nous est pas permis de rester dans la même maison que ceux qu'il a excommuniés.
7. Qu'il possède seul le droit, selon les besoins du temps, de faire de nouvelles lois, de rassembler de nouvelles communautés, de faire d'un chapitre canonial une abbaye; et, d'autre part, de diviser un riche évêché ou au contraire, d'en unir des pauvres.
8. Qu'il peut seul employer les insignes impériaux.
9. Qu'au pape seul, tous les princes embrasseront les pieds.
10. Que seul son nom sera prononcé dans les églises.
11. Que c'est là le seul nom dans le monde.
12. Qu'il lui est permis de déposer des empereurs.
13. Qu'il lui est permis de déplacer des évêques si besoin est.
14. Qu'il a le pouvoir d'ordonner un clerc de n'importe quelle église qu'il peut souhaiter.
15. Que celui qui est ordonné par lui peut diriger toute église, mais ne peut pas tenir de rang subalterne; et que nul ne peut obtenir un rang plus élevé d'aucun évêque.
16. Qu'aucun synode ne sera qualifié de général sans son ordre.
17. Qu'aucun chapitre et aucun livre ne sera considéré comme canonique sans son autorité.
18. Qu'un jugement prononcé par lui ne peut être annulé par quiconque; et que seul lui-même, parmi tous, peut le faire.
19. Que lui-même ne peut être jugé par personne.
20. Que personne n'ose condamner celui qui fait appel au siège apostolique.
21. Qu'il tranchera de manière définitive dans les cas les plus importants de chaque église.
22. Que l'Eglise Romaine ne s'est jamais égarée; elle ne s'égarera pas de toute l'éternité, comme en témoigne les saintes Ecritures.
23. Que le pontife Romain, s'il a été canoniquement élu, est fait saint, de manière indubitable, par les mérites de saint Pierre et saint Ennode, évêque de Pavie, qui témoignent pour lui, beaucoup de saints pères étant d'accord avec lui. Ainsi qu'il est écrit dans les décrets du pape Symmaque.
24. Que, par son pouvoir et son consentement, des subalternes auront le droit de porter des accusations.
25. Qu'il peut déposer et rétablir des évêques en dehors de toute assemblée ou concile.
26. Que celui qui n'est pas en paix avec l'Eglise Romaine ne peut pas être considéré comme catholique.
27. Qu'il peut délier des sujets de leur fidélité (féauté) à de mauvais hommes.

Les cours princières, royales ou impériales d'Europe feront tout pour ignorer ce texte, qui ne sera publié ni en Angleterre, ni dans l'empire Ottonien, ni en Espagne. En France, nous savons déjà qu'Hugues de Die, le précieux légat du pape, obtenait de bons résultats.

En Angleterre, pourtant, Guillaume était conseillé et soutenu par Lanfranc, archevêque de Canterbury, et le concile de Winchester (1076) mitigea, de sa propre autorité, les décrets romains sur le célibat, en permettant aux prêtres des villages et des châteaux de garder leurs femmes; le roi continua d'exercer le droit d'investiture, et le pape céda ou se tut.


Le 24 janvier 1076, la diète de Worms déposa Grégoire comme hérétique, magicien, adultère, flatteur de la populace, usurpateur de l'Empire, bête féroce et sanguinaire ; des mesures furent prises pour lui donner un successeur. Dans les conciles de Plaisance et de Pavie, les évêques lombards adhérèrent à ces décisions. Grégoire y répondit en excommuniant tous les évêques qui avaient assisté à la diète de Worms, en excommuniant et en déposant l'empereur, et en défendant à ses sujets de lui obéir (l2 février). Ce jugement, rédigé sous la forme d'une invocation fougueuse à saint Pierre, fut publié dans une lettre adressée à toute la chrétienté. Les évêques désertèrent, les uns après les autres, le parti de l'empereur, implorant le pardon du pape. Au mois d'octobre, les princes allemands, réunis à Tribur (Oppenheim), sommèrent Henri, avec menaces de déposition, de donner satisfaction au pape, dans le délai d'un an. Incapable de résister, il se rendit, en costume de pénitent, au château de Canossa, en Toscane, où Grégoire se trouvait chez la comtesse Mathilde, qui s'était éprise pour lui d'une ardente dévotion, non seulement mettant au service de sa cause toutes les ressources de ses Etats, mais le suivant partout, pour lui prodiguer les soins d'une très humble et très affectueuse servante: livrant ainsi ce pape aux médisances de ses adversaires, et particulièrement des ecclésiastiques qu'il avait séparés de leurs femmes. Après avoir tenu, pendant trois jours, à la porte du château, et après qu'Hugues de Cluny ait apaisé le pape, l'empereur, vêtu de la chemise de laine, pieds nus sur la terre couverte de glace et de neige, Grégoire lui accorda l'absolution, en se réservant de prononcer ultérieurement sur sa restauration (25-28 janvier 1077). Malgré cette absolution, la majorité des princes allemands donna la couronne à Rodolphe de Souabe (mars 1077). Soutenu par ses vassaux lombards, Henri résista à une nouvelle excommunication (novembre 1078) et releva son parti en Allemagne.
Après avoir défait Rodolphe dans une première bataille (27 janvier 1080), il fit renouveler par les conciles de Mayence et de Brixen la déposition de Grégoire. A Brixen (juin 1080), on élut un antipape, Guibert archevêque de Ravenne, qui prit le nom de Clément III. Rodolphe fut tué à la bataille de Mersebourg (octobre). En mars 1081, Henri passa en Italie, ravagea les domaines de la comtesse Mathilde, puis marcha sur Rome. Après trois attaques repoussées, il entra dans, la ville, dont les nobles lui avaient livré les portes (1084); il y installa son pape Clément, qui le couronna empereur. Grégoire, enfermé dans le château Saint-Ange, fut délivré par Robert Guiscard, qu'il avait excommunié en 1074, mais avec qui il s'était réconcilié pour résister à Henri IV. Ne pouvant rester à Rome (où le peuple lui reprocha les horreurs commises par les Normands, ses alliés), il se retira à Salerne.. C'est là qu'il mourut, environ une année après. On dit que ses dernières paroles furent: "J'ai aimé la justice et haï l'iniquité, c est pourquoi je meurs en exil."Avant de mourir, il avait levé toutes les excommunications prononcées par lui, à l'exception de celles qui concernaient Henri IV, l'antipape Guibert, leurs fauteurs et leurs adhérents, c'est à dire tous ses adversaires.


On attribue à Grégoire un Commentaire sur les psaumes de la pénitence; mais ses véritables oeuvres se rapportent, soit à l'exposition, soit à la réalisation de ses maximes gouvernementales : Gregorii VII registri Sive epistolarum libri, chez Mansi, Sacrorum conciliorum nova et amplissima collectio (Florence, 1759, t. XX, p. 60, 31 vol. in-fol.); Monumenta Gregoriana, chez Jaffé, Bibliotheca rerum Germanicarum (Berlin, 1864, t. II); De Gregorii registro emendando (Brunswick, 1858); S. Gregorii VII epistolae et diplomata; accedunt vita ejusdem pontificis et appendices amplissimae veterum et race-nttorum monumenta, perplurima Gregorii apologetica, complectentes (Parts, 1877, 2 vol. in-8).


Sources :

Reproduction de l'article "GREGOIRE VII de l'encyclopédie Berthelot (fin XIXe s)
http://www.unf.edu/classes/medieval/image/HenryIVvGregoryVII-Germandrawing-12C.jpg

 

 
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