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ABAQUE |
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- L'héritage gréco-romain
- Gerbert d'Aurillac
- Les Croisades, Fibonacci
- L'héritage gréco-romain
- Pourquoi les civilisations occidentales du moyen-âge continuèrent d'utiliser les fastidieuses et encombrantes tables à calcul antiques, au lieu de l'abaque portatif romain, beaucoup plus maniable et pratique? C'est une question qui n'a encore pas de réponse aujourd'hui. Il est possible que cette invention ait été utilisée par une seule école, et qu'elle ait complètement disparue avec elle, précédant de peu la chute de l'empire romain. Ce n'est qu'une hypothèse.
- Les européens du Moyen-Age ont fait usage des différents abaques antiques:
Abaque à poussière, à cire, mais surtout, à jetons. Dans son Vocabularium (1053), Papias (que lon peut considérer comme lun des témoins des connaissances de son temps) parle ainsi de labaque comme « une table couverte de sable vert » Et cest exactement ce que lon trouve chez Rémy dAuxerre dans son commentaire de l'Arithmétique de Martianus Capella (vers 420-490), où il décrit le dispositif comme la table saupoudrée de sable bleu ou vert, où les figures [les chiffres] sont dessinées au moyen dun radius ».- Le nom même de l'instrument, abacus, a désigné l'arithmétique durant tout le moyen-âge. Raoul de Laon (Radulphus Landunensis) est surtout connu pour son Traité de l'Abacus. Mort en 1131, écolâtre (professeur de théologie) de la cathédrale de Laon a rédigé là un écrit connu par les extraits publiés par Michel Chasles (1793-1880 mathématicien français) dans Comptes rendus XVI. L'usage du jeton circulaire sans marque, appelé sipos par les abacistes, et qu'on a regardé à tort comme représentant du zéro, est expliqué très clairement dans ce traité. Ce sipos déplacé successivement dans les colonnes de l'abacus, servait à marquer, par exemple, le chiffre du multiplicateur avec lequel on opérait. L'opuscule de Raoul a été étudié, du reste, surtout du point de vue des renseignements qu'on peut en tirer pour l'origine de l'abaque et des caractères qu'on y employait. Chasles, comme d'autres de ses partisans, ont invoqué un moment cet ouvrage pour défendre une théorie erronée selon laquelle nos chiffres nous viendraient des Grecs, transmis par les Arabes. Nous savons depuis longtemps que ceux-ci ont une origine indienne, bien sûr.
- Gerbert d'Aurillac
- Les livres dont nous venons de parler font surtout partie de l'héritage gréco-romain, ce ne sont pas les plus passionnants. Par contre, un Gerbert d'Aurillac ou un Léonard de Pise (que nous étudieront au prochain chapitre) bousculent l'ordre établi, et là, l'histoire en devient plus excitante. Gerbert d'Aurillac (945-1003) est une sommité scientifique de l'époque. On ne sait pas exactement si Gerbert tire sa science de voyages dans le monde arabe (la légende veut qu'il se soit introduit dans des médersas [universités musulmanes], déguisé en pèlerin), mais en tout cas, il révèle aux européens les chiffres arabes. Hélas, décidés à défendre bec et ongle la supériorité de la tradition romaine face à toutes les autres, les clercs ne voulurent entendre ni l'importance du zéro, ni celle de la numération d'origine indienne. Pour diffuser les chiffres "arabes", Gerbert préconise dès le début du XIe siècle et avec ses disciples (Rémy d'Auxerre, Papias, Fulbert de Chartres, Radulfus de Liège, entre autres), un abaque de type nouveau. Ce sera l'abacus de Gerbert. L'abaque de Gerbert ne nécessitait pas l'usage du zéro, puisque l'unité manquante d'un ordre décimal était simplement représentée par une case vide. C'est ce qui explique l'absence du zéro et de toute mention de son existence, dans les manuscrits latins du XIe au XIIIe siècle. De plus, alors que sur l'abaque romain, rappelez-vous, on posait autant de calculi qu'il y avait d'unités dans l'ordre considéré, Gerbert eut l'idée, influencé par les méthodes andalouses et maghrébines, d'un système plus simple, économisant l'encombrement et les moyens de calcul. Par cette méthode, on se débarrasse des jetons à valeur d'unité simple, qui sont remplacés par un seul jeton en corne, sur lequel est porté le chiffre "arabe" correspondant. Le jeton en corne porte le nom d'apex au singulier, apices au pluriel :
- Voir illustration des apices du moyen-âge et
- illustation de l'abaque de Gerbert.
- Chaque apex reçut un nom individuel: 1 Igin, 2 Andras, 3 Ormis, 4 Arbas, 5 Quimas, 6 Caltis, 7 Zenis, 8 Temenisa, 9 Celentis, dont l'étymologie reste obscure, même si quelques noms de nombres sont clairement arabes. Les chiffres arabes rapportés par Gerber furent reproduits un peu partout avec la plus grande fantaisie, comme le montre divers exemples comparés au modèle initial du chiffre 4 (forme importée par les arabes dès la fin du Xe siècle):
- Il n'y a pas lieu de parler de révolution, d'autant qu'un certain nombre de calculateurs marqueront sur l'abaque de Gerbert des chiffres romains, voire grecs. Si les apices gravés sur l'abaque représentaient souvent des signes grecs ou romains, c'est que les arabes étaient considérés comme des "suppôts de Satan" par certains calculateurs, leurs signes ne pouvant être que "diaboliques". Gerbert lui-même ne sortit pas indemne de toutes ces foudres, puisqu'il fut considéré par certains comme un alchimiste et sorcier ayant vendu son âme au diable pour connaître la science des "infidèles Sarrasins". Et comme ce genre de réputation faisait long feu à cette époque, l'autorité pontificale alla même jusqu'à ouvrir la tombe de Sylvestre II (le nom de pape de Gerbert) pour vérifier si les diables de l'enfer ne l'habitaient pas encore! cela se passait en.....1648!!! On enfoncera le clou en rappelant que, même la diffusion des chiffres arabes se fit à l'intérieur d'un cénacle élitiste, celui des arithméticiens. On l'enfoncera encore plus avec Guillaume de Malmesbury, en rappelant ce qu'il disait des nouvelles règles de l'abaque: " ...des règles que les abacistes en sueur comprenaient à grand-peine".
- On jugera ainsi de la grande confidentialité de l'audience de la découverte des européens des chiffres d'origine indienne. Mais enfin, un premier jalon avait été posé sur le long chemin qui mène à l'arithmétique moderne.
- Les Croisades - Fibonacci
- Gerbert s'était servi du vieil abaque romain pour faire connaître aux européens les chiffres arabes. Les Croisades (1095 à 1270), guerres censées écrabouiller les infidèles, ont obligé beaucoup de clercs à admirer la culture qu'ils étaient censé combattre, et Fibonacci, en 1202, avait osé intitulé "traité de l'abaque" un ouvrage qui distillait l'essentiel de la science mathématique indo-arabe: le Liber Abaci (traité de l'abaque) de Léonard de Pise (1170-1250), plus connu sous le nom de Fibonacci. Son titre d'abord, n'est pas anodin. Fibonacci voyage dans le monde arabe et en revient instruit de la science des arithméticiens arabes: système de numération, méthodes de calcul, algèbre, géométrie, toute cette nouvelle connaissance lui sert à écrire le fameux traité, qui porte ironiquement le sceau de l'abaque, alors qu'il entretient les neuf chiffres de la numération de position indienne, ainsi que l'usage du zéro, bref, la clef de la numération écrite. Cette fois, les chiffres "arabes" allaient bien pénétrer en occident, le zéro compris, ainsi que les méthodes de calcul d' origine indienne. Progressivement, l'abacus de Gerbert est tombé en désuétude. Les nouveaux professionnels européens du calcul seront appelés algoristes en référence au nom même d'Al Kwarizmi, le premier savant musulman a en avoir vulgarisé l'usage.
- Les jours de l'abaque étaient désormais comptés. Les siècles qui suivraient verraient la montée en puissance des algoristes, tenants du calcul écrit, face aux abacistes, tenants d'un moyen de calcul archaïque et dépassé, l'abaque à jetons. Mais cela ne se fit pas sans heurts, nous le verrons dans le prochain chapitre.
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