ENCYCLOPEDIE -DE--LA--LANGUE -FRANCAISE
PETRARQUE-
-(Francesco PETRARCA, dit)
 
Eléments de biographie

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La Vie

L' Œuvre

 

1)-----2)---3)    

1) Pétrarque écrivant dans son "studiolo", qui est le bureau des riches de la Renaissance, sorte de cabinet de travail, décoré parfois par des peintres de renom. Miniature du XVIe siècle de Francesco d'Antonio del Chierico, Trionfi del Petrarca, cod. Trivulziano n.905, f. 1 v, Bibliothèque Trivulziana, Milan, manuscrit Rime.
 
2) Pétrarque, fresque d'Andrea del Castagno, vers 1450, Offices de Florence, Dominus Franciscus Petrarqua
3) Pétrarque dans son "studiolo", fresque de la fin du XIVe dans la salle des Géants (sala dei Giganti) du Palazzo Liviano à Padoue (Padova)  attribuée à Altichiero da Zevio (1330 -1397)

La Vie
 
Né à Arezzo le 20 juillet 1304, d'un notaire florentin, Ser Pietro (ou Petracco) di Ser Parenzo, originaire d'Incisa dans le Valdarno, et d'Elletta Canigiani. Son père, en tant que guelfe blanc, avait été banni de Florence, ou alors était-ce à cause de démêlés personnels avec Albizzo Franzesi (un chef des guelfes noirs, tout de même!). En 1310, la famille déménage à Pise, puis Avignon, qui avait été pendant environ six années la résidence papale. Entre 1315 et 1319, le jeune homme est formé par l'italien Prato de Convenevole à la rhétorique, la dialectique et la grammaire, à Carpentras (où la famille s'est finalement établie par suite de problèmes de logement). Son père l'envoie étudier le droit à Montpellier (1319-23) et à Bologna (1323-5), mais Francesco déteste la carrière choisie pour lui, et consacre autant que possible son temps aux belles-lettres, irritant tellement son père, que ce dernier finit un jour par brûler un certain nombre de ses auteurs antiques favoris. Quand Ser Petracco meurt en 1323, Francesco revient à Avignon et entre dans les ordres mineurs, qui lui ont permis d'obtenir des bénéfices et des canonicats, sans pour cela l'obliger à des devoirs contraignants d'ecclésiastiques. Il entame alors une vie mondaine en Avignon, et c'est pendant cette période, le vendredi 6 avril 1327, dans l'église Sainte-Claire exactement, qu'il voit pour la première fois Laure, la dame qui devait inspirer son œuvre la plus célèbre. Laure de Noves ou Laure de Sabran? Laure de Chiabau ou Laure Colonna? L'histoire a retenu Laure de Noves [ Laure de Noves, portrait anonyme, milieu du XVe s., Bibliothèque Laurentienne (Biblioteca Medicea Laurenziana)

Laure de Noves ou Laure de Sade (1310 - 1348), épouse de Hugues de Sade, que les chants du poète ont rendue immortelle, sans soulever le voile qui nous dérobe sa vraie personnalité. Il y a de fortes chances que cet amour soit resté platonique. Et puis, dans l'œuvre imposante de Pétrarque, Laure n'occupe finalement qu'une place assez modeste. Après tout, elle n'apparaît quasiment que dans le Canzoniere,où elle partage la place d'amante avec d'autres femmes.
Ses premières poésies italiennes lui attirent la protection de Jacopo Colonna, évêque de Lombez, qui l'emmène passer quelques mois dans son évêché (1330); bien vu des papes Benoît XII et Clément VI, il obtient d'eux différents bénéfices ecclésiastiques, mais refuse les fonctions trop absorbantes de secrétaire apostolique pour ne pas aliéner sa liberté. En 1333, il visite Paris, les Pays-Bas et les bords du Rhin; en 1336-1337, il retourne dans cette Italie qu'il avait quitté tout enfant, mais à laquelle il pensait sans cesse, et fait un pèlerinage à Rome qu'il voit pour la première fois, en antiquaire plus encore qu'en chrétien. De retour à Avignon, pour échapper aux embarras de la cour pontificale, il se crée un délicieux refuge à Vaucluse, où il fait de longs séjours dans une laborieuse solitude. En 1345, appelé par le Sénat de Rome, par la Sorbonne à paris, pour recevoir les lauriers de poète qu'il avait sollicités, il préfère le Capitole, où il est solennellement couronné par le sénateur romain Orso dell'Aguillara, après un examen solennel à Naples, où Robert d'Anjou le reconnaît digne de ce suprême honneur. Il déposera ses lauriers sur la tombe de Saint Pierre.
Il revient encore à Avignon, après un court séjour à Parme, attiré par l'image de Laure ou par cette autre de qui il aura sa fille naturelle, Francesca? Une mission officielle auprès du roi de Naples l'en éloigne encore en 1343; il retourne à Parme et pendant une dizaine d'années se partage, au gré de sa fantaisie, entre l'Italie du Nord et Avignon. Mais la mort de Laure (à cause de la terrible peste de 1348) rompt définitivement le charme qui le retenait de ce côté-ci des Alpes, et, en 1353, il quitte Avignon et Vaucluse pour n'y plus revenir. Pendant huit ans il habite Milan, où il reçoit les plus grands honneurs et le gouvernement le charge de différentes ambassades dont il remplit quelques-unes à son corps défendant: mentionnons seulement son second voyage à Paris ou il est chargé de féliciter le roi Jean sur sa délivrance (1360). La république de Venise le traite plus magnifiquemement encore que Milan, et c'est à Venise, dans un palais (de la Riva degli Schiavoni, qu'il passe les années 1360-l368 A partir de 1368 il réside ordinairement soit à Padoue, où il avait une riche prébende, soit dans la campagne voisine d'Arquà, où il meurt le 15 juillet 1374.
Arquà: La tombe en marbre de Pétrarque, sur la place du village

Ce vieux village médiéval se situe dans les collines d'Euganean. Francesco Petrarca est resté ici environ de 1370 jusqu' à sa mort, dans une maison du 13ème siècle :

La maison de Pétrarque, bâtie par Carraresi, a été décorée de fresques au XVIe siècle, inspirées des œuvres célèbres du poète: le Canzoniere et l'Africa. Restaurée de manière discontinue de 1906 à 1985, on peut y voir des objets familiers, des manuscrits, sa bibliothèque, sa chaise...et sa célèbre chatte embaumée.
 
Quoique engagé dans les ordres, Pétrarque avait eu un fils et une fille (déjà citée) naturels : le fils mourut à vingt-cinq ans en 1361; la fille se maria à Francesco da Brossano, et Pétrarque passa ses dernières années entouré des soins affectueux de sa fille et de son gendre.

L' Œuvre Dama col "Petrarchino" (jeune femme lisant Pétrarque), Firenze (Florence), Galleria degli Uffizi (Galerie des Offices), 1528-1529.

 
Poète italien, né à Arezzo le 20 juill. 1304, mort à Arquâ, près de Padoue, le 18 juill. 1374, où l'on voit son tombeau.
Une des premières passions qui s'éveilla dans l'âme de Pétrarque fut l'amour de la Rome antique, qu'il ne séparait point de l'amour de sa patrie. Il se figura toujours, en effet, qu'il n'y avait dans l'histoire de la Péninsule aucune solution de continuité et que le latin était encore la véritable langue de l'Italie. Durant toute sa vie, il ne cessa de rechercher et de faire rechercher par ses amis les manuscrits des ; il eut la joie de retrouver lui-même à Liège, en 1333, deux discours de Cicéron et à Vérone, en 1345, un abondant recueil de Lettres du même (il se trompa, en revanche, lorsqu'il crut avoir retrouvé l'Hortensius et le De Gloria). Non content de faire reproduire les ouvrages des anciens par des scribes qu'il avait lui-même formés, il les transcrivait de sa main, les collationnait, les annotait ; à force de soins, il avait fini par réunir une collection d'environ 200 volumes, dont il ne voulut jamais se séparer, pas même en voyage. Il regrettait de n'avoir point vécu au temps de César ou d'Auguste et il s'y transportait volontiers par la pensée. Nous avons des lettres écrites par lui à Cicéron, à Horace, à Virgile, à Sénèque, à Homère. Les principaux objets de son admiration furent Cicéron, Virgile, Tite-Live et Sénèque, chez qui il retrouvait ses principales qualités et quelques-uns de ses défauts. Son culte pour les Latins l'amena à étudier aussi les Grecs, bien qu'il ne les admirât pas au même degré ; s'il ne parvint à acquérir du grec, malgré ses efforts, qu'une connaissance insuffisante, il eut la gloire de faire exécuter la première traduction latine d'Homère (par Léonce Pilate, en 1367), et de le révéler au monde moderne. Il n'eut, en revanche, qu'une médiocre estime pour les auteurs chrétiens (si l'on excepte saint Augustin) et pour les modernes, même pour Dante.
C'est pour rendre hommage à l'antiquité latine et dans l'espoir de la faire mieux connaître, qu'il entreprit les deux œuvres qui, à son avis, étaient ses meilleurs titres de gloire le poème de l'
Africa et le de Viris illustribus. Dans le premier (écrit de 1338 à 1349 et ensuite remanié), il voulut donner à sa patrie une nouvelle épopée, comparable à l'Enéide et à la Pharsale, et célébrer, en même temps que le héros le plus vertueux de l'ancienne Rome, 1'épisode vraiment épique de soit histoire. Le sujet en est autre que les exploits de Scipion durant la deuxième guerre punique et l'abaissement définitif de Carthage devant Rome. Le poème (en neuf livres, avec une lacune considérable entre le quatrième et le cinquième) suit pas à pas le récit de Tite-Live et celui de Silius Italicus, mais, par l'introduction de songes et de prédictions, l'auteur réussit à y faire entrer une grande partie de l'histoire romaine (imitation du Somnium Scipionis aux livres I et Il, récit de Lélius à Syphax au I. III). Le héros est trop vertueux, trop continuellement maître de lui-même pour intéresser vivement le lecteur; il n'est pas plus vivant que l'Enée de Virgile et le Godefroi du Tasse. L'Africa, néanmoins, n'est pas dénuée de valeur poétique; elle est tantôt un hymne enthousiaste à la grandeur de la Rome antique, tantôt une éloquente lamentation sur la décadence présente ; enfin, certains épisodes, d'un carartère plus lyrique qu'épique, comme celui où Pétrarque décrit l'amour de Masinissa pour Sophonisme (I. IV), lui ont permis d'exprimer çà et là, avec une grande profondeur d'émotion, des sentiments personnels et de se révéler comme un peintre inspiré de la passion.
Dans la pensée de l'auteur, le De Viris illistribus (commencé vers 1340) devait compléter l'Africa. Ce recueil comprenait d'abord quelques biographies de personnages empruntés à la fable, à l'histoire sacrée et grecque (Adam, Noé, Abraham, Moïse, Hercule, Jason, Sémiramis, Alexandre, Pyrrhus, Annibal, etc.), mais Pétrarque les en bannit lui-même de façon à faire de son œuvre un Panthéon exclusivement romain. Bien qu'il y ait travaillé jusqu'à sa vieillesse, elle ne fut jamais terminée, non plus que 1'
Epitome ou résumé qu'il en avait entrepris à la prière de Francesco de Carrare et qui ne comprend que quatorze biographies.
Déjà, dans le De Viris, la préoccupation morale est sensible. Elle est à peu près exclusive dans le
Rerum memorandum ou mirabilium (écrit en 1344-45). C'est une sorte de morale en action écrite à l'imitation des Faits et dits mémorables de Valère Maxime, où Pétrarque se proposait de traiter des quatre vertus cardinales. Il n'est même pas arrivé à épuiser ce qu'il entendait dire de la première, la prudence. Les préceptes sont donnés par voie d'exemples; les anecdotes qui les fournissent sont groupées sous deux chefs, suivant qu'elles concernent des personnages romains ou externi (auxquels l'auteur ajoute parfois quelques modernes ou recentiores). Avec l'âge, la préoccupation de la science s'effaça progressivement dans l'âme de Pétrarque devant celle de la morale; aussi l'ascétisme l'emporte-t-il de plus en plus dans les œuvres qui nous restent à examiner. Le De Contemptu Mundi ou Secretum est la plus ancienne (vers 1342) ; aussi la lutte entre les passions humaines et l'idéal chrétien y est-elle encore très vive. Il se compose de trois dialogues où le poète se fait reprocher par saint Augustin sa vanité, son ambition, son amour même pour Laure. Cet examen de conscience, poursuivi avec une rigueur et une sévérité implacables, est extrêmement précieux pour la connaissance de l'âme de Pétrarque. Nul n'a mieux décrit que lui-même cette mélancolie sans cause qui venait assombrir ses plus beaux jours, ces vaines aspirations vers le bien, " cette anxiété d'une âme qui, honteuse d'elle-même, déteste les taches qui la souillent, mais n'a pas le courage de les effacer, reconnaît qu'elle a pris le mauvais chemin et refuse d'en sortir, tremble à la pensée du péril qui la menace et ne fait rien pour l'éviter ". Ce sont les mêmes dispositions d'esprit qui se trahissent dans le De Vita solitaria et le De Ocio religiosorum. Le premier (écrit à Vaucluse en 1346) se compose d'un parallèle, trop artificiel pour être bien probant, entre le citadin uniquememit adonné à des occupations futiles ou inavouables et le solitaire vivant continuellement dans la contemplation de la nature et la méditation des vérités religieuses (1. I), et d'une série d'exemples destinés à confirmer ce parallèle (1. II). Le second (écrit de 1347 à1356) est une longue lettre adressée aux moines de la Chartreuse de Montrieux, où vivait son frère et où il avait lui-même passé quelque temps. C'est un éloge emphatique, non plus seulement de la retraite studieuse telle que la comprenaient les anciens,mais de la vie monacale. Le De Vera Sapientia (date incertaine) essaie de démontrer que la vraie science nous est donnée par la foi.
Ce qui nous intéresse aujourd'hui dans ces ouvrages, c'est ce que Pétrarque y a mis de lui-même. Cet élément d'intérêt, déjà fort restreint dans les trois traités dont nous avons parlé en dernier lieu, est presque totalement absent du
De Remediis utriusque fortunae (écrit vers 1360-66). L'auteur fait connaître, dans le premier livre, les remèdes contre la prospérité; dans le second, ceux contre l'adversité ; chaque livre se divise en un grand nombre de brefs dialogues entre des personnages allégoriques (Joie, Espérance et Raison, dans le premier livre;
Douleur, Crainte et Raison dans le second). Si la forme nous rebute par sa monotonie et sa sécheresse, le fond n'est guère mieux fait pour nous captiver. L'auteur, en effet, en mettant sur le même plan toutes les joies et toutes les peines, semble se livrer à un simple exercice de rhétorique; c'est du même ton qu'il nous console de la perte de nos parents et de nos amis et de l'incommodité que peut nous faire subir le voisinage des rats et des grenouilles. Les autres œuvres latines (en prose) de Pétrarque sont l'
Itinerarium Syriacum (entre 1348 et 1363), petit traité de géographie historique et descriptive écrit pour un ami qui se disposait à 'visiter la Terre Sainte; le De sui ipsius et multorum aliorum ignorantia (1360), virulente invective contre deux jeunes Vénitiens qui l'avaient qualifié de virum bonum sine literis; les Invectivae contra medicum quemdam (1355), où il exhale ses sentiments de haine et de défiance envers les medecins, et l'Apologia contra cujusdam anonymi Galli calumnias (1372), ou il répond à un Français, Jean de Flesdin, qui avait essayé de réfuter la lettre oit il félicitait Urbain V de son retour à Rome. Les Eglogues et les Epîtres en vers ont surtont un intérêt biographique ; les premières, au nombre de douze (1346-56), se rapportent généralement à des faits historiques ou à des événements de la vie de l'auteur; elles ont toutes un sens allégorique, mais le voile est si épais qu'il est presque impossible de le percer. L'explication que Pétrarque lui-même nous a donnée de deux de ces pièces nous montre combien sont obscures ces allusions "c'est la nature même de ce genre poétique, prend-il soin d'ajouter, que, quand l'auteur lui-même n'en indique point le sens, celui-ci peut à la rigueur être deviné, mais non point être compris". Les Eglogues, bien qu'imitées de Virgile dans la forme, sont donc un des premiers exemples de ces ridicules travestissements qui ont fait si souvent de la pastorale un genre faux et conventionnel. Parmi elles, il faut signaler la VI et la VIIe, ou il flétrit la corruption de l'Eglise, et la XIIe, inspirée par la bataille de Poitiers. Dans les Epflres en vers (en 3 livres, de dates très diverses), il raconte à des amis les menus accidents de sa vie, s'élève contre ses ennemis, célèbre sa patrie, épanche les sentiments que lui inspirent les événements contemporains ; la VlIe du livre 1er, où il décrit les angoisses que lui cause son amour pour la dame qu'il a célébrée dans ses vers, est d'un intérêt particulier pour l'histoire intime de son coeur. Nous devons enfin, pour terminer l'énumération des œuvres latines de Pétrarque, mentionner ses très nombreuses Epitres en prose. Bien que la plupart aient été réellement adressées à des amis, ce ne sont pas toutes des lettres au sens propre du mot; plusieurs sont de véritables dissertations morales ou historiques, où abondent les réminiscences de l'antiquité. Pétrarque, en les préparant pour le public, en a du reste enlevé ou atténué les allusions à sa vie domestique et accentué le caractère oratoire ou didactique qu'elles avaient toujours eu. Il les a lui-même divisées en deux sections la première, intitulée Rerum familiarium liber (en 24 livres), comprend les lettres écrites de 1326 à 1359; la deuxième, ou Rerum senilium liber (en 47 livres), comprend celles qui furent écrites postérieurement. En dehors de cette classification restent un livre de Variae (de 1335 à 1373), un livre de lettres sine titulo, presque toutes relatives à la corruption de l'Eglise et dont Pétrarque crut plus prudent de ne pas faire connaître les destinataires (de là le titre), et une longue lettre ad Posteros, qui est une autobiographie restée incomplète.
C'était uniquement sur ses ouvrages en latin que Pétrarque comptait pour arriver à la postérité. Ses poésies on langue vulgaire ,qu'il ne recueillit que fort tard, n'avaient jamais été pour lui qu'un délassement ou un moyen de se consoler de ses chagrins intimes (V. le sonnet:
S'i' avessi pensato) ; il les qualifie, à la fin de sa vie, de " sottises de jeunesse, dont il désirerait qu'elles fussent inconnues à tous et à lui-même " mais il constate en même temps le grand succès qu'elles obtiennent auprès du public, et il fut entraîné à diverses reprises à en former des recueils qu'il envoyait aux plus intimes de ses amis. Le recueil définitif, dont le manuscrit autographe (Vat. lat., 3195) a été récemment retrouvé par MM. de Nolhac et Appel, se compose de 317 sonnets, 29 chansons, 7 ballades, 4 madrigaux, 9 sextines, en tout 366 pièces. La division générale du recueil (In vita di madonna Laura; in morte di madonna Laura) pourrait nous induire à penser qu'elles ont été disposées dans un ordre chronologique. Les minutieuses recherches auxquelles la découverte du manuscrit original a donné une nouvelle impulsion ont démontré qu'il n'en était pas ainsi. Nous savons, par exemple, que Pétrarque apprit brusquement la mort de Laure, qu'il ne savait pas malade. Or, les derniers sonnets de la première partie expriment des pressentiments de plus en plus précis de cette mort; ils ont donc été composés après coup pour ménager la transition entre la première et la deuxième partie. Les quelques sonnets d'introduction sont aussi postérieurs au reste de l'œuvre. Le critérium de Pétrarque a été tout esthétique et moral : dans la première partie, il a rangé, avec les pièces en l'honneur de Laure vivante, toutes celles qui traitent un sujet politique, historique ou satirique ; cette première partie est donc l'écho des préoccupations de la vie présente. La deuxième, au contraire, où les sentiments ascétiques abondent de plus en plus à mesure qu'on approche de la fln, est comme une préparation à la mort et à la vie future. Quelle était donc l'originalité de ces vers d'amour, simples confidents du poète, auxquels lui-même n'attachait d'abord aucun prix, et qui ont exercé sur toute la poésie lyrique des âges suivants une action si profonde? La première consiste précisément en ce que c'est là une poésie tout intime, ou le poète épanche son coeur, sans souci des conventions artistiques. Les poésies lyriques de Dante contiennent une si grande part de métaphysique et de scolastique qu'il fallait être érudit pour les comprendre. Petrarque, au contraire, est dégagé de tout souci d'école; s'il n'atteint pas toujours à la simplicité absolue du style, jamais du moins il ne jette sur sa pensée, comme il le fait encore dans les œuvres latines, le voile de l'allégorie ou du symbole. Le sentiment aussi, malgré quelques rapports extérieurs, est tout différent. Sans doute l'amante est, comme chez Dante, comme chez les troubadours même (auxquels Pétrarque emprunte une bonne partie de son vocabulaire), le type de toute beauté et de toute perfection; mais chez Dante, elle était aussi le chemin du ciel, le symbole de la philosophie et ensuite de la théologie. Chez Pétrarque, au contraire, la femme est adorée pour elle-même; la beauté n'est plus seulement le rayonnement de la vertu, elle a une existence propre et suffit à produire l'amour. " Cela, qui paraissait un recul, dit de Sanctis (Storia della lett. ital., I, 168), était un progrès; l'amour, dégagé de tous les éléments étrangers qui l'étouffaient, n'est plus idée ou symbole, mais sentiment, et l'amant, qui occupe sans cesse la scène, nous donne l'histoire de son âme. Dans ce travail d'analyse psychologique, la réalité apparaît enfin sur l'horizon, nette et claire, débarrassée de tous les nuages. Nous sortons des mythes et des symboles, nous entrons dans le temple de la conscience, éclair d'une pure lumière; plus rien désormais ne peut s'interposer entre l'homme et nous; le sphinx est découvert et l'homme retrouvé. " C'est probablement le commerce assidu avec les anciens qui avait révélé à Pétrarque l'idée antique de la beauté, qui l'avait aidé à dégager son esprit des abstractions médiévales. Mais il restait chrétien, et la lutte s'engageait entre sa passion d'homme et sa foi de croyant; de là ce déchirement intime qui teinte de mélancolie la plupart des œuvres de Pétrarque. Il l'a éloquemment défini dans quelques-unes de ses plus belles chansons (I'vo pensando), où il se montre à nous tiraillé entre le ciel et la terre, et, comme le poète ancien, voyant le mieux et suivant le mal: E veggio'1 meglie de al peggio m'appiglio.
Mais cette lutte n'est jamais tragique: elle laisse au poète tout le calme de son esprit et se concilie avec la réflexion littéraire. Il n'est point tellement ému qu'il n'ait assez de présence d'esprit pour se regarder, s'analyser et exprimer avec art toutes les nuances de ses sentiments. Cet art, dont les éléments essentiels sont le sens de la beauté extérieure, celui de la mesure et du rythme, est déjà extrêmement raffiné et parfois trop. Lamartine a finement remarqué (Premières Médit., comm. de l'Isolement) que les sonnets, qui commencent par une effusion, se terminent souvent par une pointe, et que " le sentiment s'y fait esprit "; il y a déjà du "seicentismo" dans Pétrarque. C'est donc un drame tout intime que déroule le Canxoniere; les événements y font à peu près complètement défaut, ou ils sont de ceux qui n'ont aucune importance extérieure; le poète rencontre la dame de ses pensées; elle le salue, lui adresse la parole, ou, offensée de prières trop ardentes, elle lui témoigne plus de froideur. Aussi, cette histoire si simple, racontée avec une élégance si continue, eût-elle fini par devenir monotone; la mort de Laure permit en quelque sorte au poète d'en renouveler la trame. " L'amante du poète, dit l'ingénieux critique déjà cité plus haut, devient humaine précisément alors que, morte, elle est devenue créature céleste. Cette nouvelle Laure, que son pinceau est impuissant à dépeindre, est non seulement plus belle, mais aussi plus humaine, parce qu'elle est moins altière; moins déesse et plus femme, elle s'assied sur le bord de son lit et lui essuie les yeux; ou, se détachant parmi le choeur des anges, elle lui apparaît et engage avec lui de bienveillants colloques... La lutte qui déchirait le coeur de Pétrarque prend fin elle aussi; il n'y a plus alors opposition entre les sens et la raison, entre la chair et l'esprit", et le Canzoniere se termine par une note à la fois grave et reposée.

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2 
 

   
   1. Trionfi, Canzoniere, Florence 1465-70, conservé à la Cornell University, Rare Bd. MS. 4648 no. 24+, folio 41r
2. Trionfo di amore, imprimé par Giacomo Giglio à Venise en 1553 et conservé alla Landesbibliothek de Kassel (Cassel) en Allemagne.


Les
Trionfi (sing : trionfo, triomphe) sont la dernière œuvre en langue vulgaire de Pétrarque (Triumphus Cupidinis,Triumphus Pudicitiae,Triumphus Mortis, Triumphus Famae, Triumphus Temporis, Triumphus Aeternitatis). Commencés dès 1357, ils n'étaient pas encore terminés en 1373. Il semble que Pétrarque ait voulu nous y exposer, sous la forme allégorique qu'il avait dédaignée dans le Canzoniere, sa conception de la vie humaine : l'amour domine le monde, mais l'homme peut s'en affranchir, et alors triomphe la chasteté: il est atteint par la mort, mais son nom survit par ses œuvres: la renommée elle-même est vaincue par le temps qui n'a au-dessus de lui que la divinité, dernière fin de l'homme. Ainsi l'Amour triomphe de l'homme, la Chasteté de l'Amour, la Mort de la Chasteté, la Renommée de la Mort, le Temps de la Renommée, et de la Renommée la Divinité . Tout, dans cet ouvrage, le mètre (terzines), le cadre (un songe) et maintes réminiscences de style, nous rappelle Dante; mais Pétrarque n'a pas su y mettre la vie intense que son prédécesseur imprimait à ses créations; ces longues processions de personnages historiques sont bien froides. Les passages vraiment intéressants sont ceux, de caractère lyrique, où l'auteur fait allusion à des incidents de sa vie (notamment la description de la mort de Laure dans le Trionfo della Morte).
Les récentes études, qui n'ont pas amoindri la gloire de Pétrarque poète, ont singulièrement rehaussé celle de Pétrarque humaniste et initiateur. Ennemi de l'astrologie, de la médecine et de la jurisprudence empiriques, hostile au principe d'autorité en général, il est vraiment, selon l'expression de Carducci, le premier homme moderne. Le premier, il a dépouillé l'antiquité du travestissement que lui faisait subir le moyen âge, habitué à se contempler lui-même en elle, et à l'admirer sans la connaître ; le premier, il l'a considérée en elle-même, scruté son histoire en archéologue, en philologue, en véritable érudit et posé les premières assises de cette grande reconstruction qui devait être l'œuvre des XVe et XVIe siècles; le premier enfin il l'a étudiée en artiste et retrouvé, dans son commerce avec elle, le sens de la beauté extérieure et celui du style, qu'il devait transmettre, par ses envies en langue vulgaire, à la poésie moderne.
Il n'existe des œuvres complètes de Pétrarque aucune édition commode. La grande édition de Bâle (F. Petrarcae opera omnia; Basilae, 1581, in-fol.) n'est point complète, malgré son titre. La plupart des œuvres latines ne se trouvent que là; on a seulement réimprimé de nos jours l'Africa (éd. par Corradini dans Padova a F. Petrarca, 1874); les Eglogues et Epitres en vers (
Poemata minora, éd. Rossetti; Milan, 1829-34, 3 vol.); le De Viris (éd. Razzolini; Bologne, 1874 et 1879) et une partie des Lettres (Familiares et Variae, éd. Fracassetti; Flocence, 1859-63, 3 vol.). Le même éditeur a donné une traduction italienne de presque toutes les lettres en prose; Florence, 1863-70, 7 vol.). Les éditions du Canzoniere (comprenant pour la plupart les Trionfi) sont au nombre de plus de 400 ; la première est de 1470 (Venise, chez Vindelino da Spina) ; il y en eut au XVe siècle 34; au XVIe,467; au XVIIe, 47; au XVIIIe,46; au XIXe, 440. Les plus importantes, soit par la pureté du texte, soit par le commentaire, sont celles de Bembo (1504), Ubaldini (Rome, 1642), Castelvetro (Venise. 1756), Marsand (Padoue, 1819-20), Leopardi (Milan, 1826), Carrer (Padoue, 1826); Albertini (Florence, 1832), Carbone (Florence, 1870), Carducci (Livourne, 1876; ne comprend que les poésies politiques et morales), Bartoli (Florence, 1883, Scartazzini (Leipzig, 1884), Mascetta (Rocca Carabba, 1826); la seule édition critique est celle de Mestica (Florence, 1896). Les éditions spéciales des Trionfi sont beaucoup moins nombreuses; nous signalerons seulement celles de Pasqualigo (Venise, 1874), Giannini (Ferrare, 1874), Pellegrini (Crémone, 1897).
 
 
Sources :
 
http://www.italica.rai.it/rinascimento/iconografia/prot_1490.pdf (manuscrit Rime)
http://www.wga.hu/frames-e.html?/html/a/andrea/castagno/2_famous/9petrarc.html
http://www.chioggia-apt.net/info/aarqua_en.htm (Arqua)
http://padovacultura.padovanet.it/musei/archivio/000067.html
http://www.doveilsisuona.it/mostra/images/00gDamaPetrarchino.jpg (dama)
http://bouillon.fr.fortunecity.com/histoire/9/chapitre4.html
http://jardinbaroque.mabulle.com/index.php/Correspondances/p40 (portrait laure)
http://perso.wanadoo.fr/christian.chaignepain/cartes6.htm (photo maison laure)
http://rmc.library.cornell.edu/collections/medieval_calkins.pdf (triomphe)
http://www.oredurazzo.it/oredurazzo/34/35/Il_manoscritto/Il_miniatore (triomphe amour)
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/f/fd/Francesco_Petrarca_nello_studio.JPG (fresque)