ENCYCLOPEDIE -DE--LA--LANGUE -FRANCAISE

ABBAYE
 
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-Jean Mabillon

Eléments de biographie


Jean Mabillon (Joannis Mabillon, de son pseudonyme Eusebius Romanus), est né le 23/11/1632 et mort le 27/12/1707. Fils de paysans, Estienne Mabillon et Jeanne Guérin, il est né à Saint-Pierremont, dans le Vouzinois, en Champagne. Enfant précoce, il est adressé à neuf ans à son oncle homonyme, prêtre de Neufville, grâce à qui il pourra continuer ses études au collège des Bons-Enfants à Reims, en 1644, tout en servant comme domestique chez Clément Boucher, chanoine du chapitre cathédrale de Saint-Rémi (Rémy) de Reims, qui le fait entrer au séminaire diocésain en 1650, avant d'entrer en 1653 à l'abbaye Saint-Rémi, qui appartenait à la Congrégation Réformée de Saint-Maur (Mauristes, voir Monasticon Gallicanum) depuis 1627. Profès dès 1654, sa piété le conduit rapidement à enseigner aux novices, mais la maladie l'éloigne du monastère : Ses supérieurs l'envoient se rétablir à Nogent, puis à l'abbaye de Corbie en 1658, où il occupera différentes fonctions de portier (portarius), de trésorier (dépositaire, depositarius) et d'économe (cellérier, cellarius). Il est ordonné prêtre en 1660 à Amiens et, en 1663, il rejoint après une bonne convalescence l'abbaye Saint-Denis, en tant que trésorier.

En 1664, Dom Jean-Luc D'Achéry (Saint-Quentin, 1609 - Paris 1685), Mauriste lui aussi, fit appel à lui pour le remplacer comme bibliothécaire à l'abbaye Saint-Germain des Prés, où Mabillon passa le reste de sa vie, entre étude et prière :


Abbaye Saint Germain des Prés en 1687, au travers du fameux catalogue d'abbayes mauristes du Monasticon Gallicanum.

C'est là que, chaque dimanche, il rencontra de grandes personnalités de moment, au premier rang desquels figurent Bossuet et Du Cange, mais aussi Renaudot, Baluze, d'Herbelot, Cotelier, Fleury, Lamy, Pagi, Tillemont. Des études, il en fit beaucoup. Les Mauristes, rééditant les oeuvres patristiques, lui confièrent celle concernant saint Bernard (1667). L'année d'après, il collaborait avec D'Achéry et Dom Thierry Ruinart aux Acta Sanctorum ordinis Sancti Benedicti (Vies des Saints de l’Ordre de saint Benoît), hagiographie critique qui furent très attaqués par ses pairs. Ces Actes furent publiés de 1668 à 1672, dernières années de la vie de l'ex-roi de Pologne Jean II Casimir Vasa (Jan Kazimierz Waza), qu'il passera en France comme abbé commendataire de Saint-Germain-des-Prés, position qui n'aura que peu d'influences sur le fonctionnement réel de l'abbaye, dirigée au quotidien par le prieur claustral Dom Ignatius Philibert et par Dom D'Achery, en gardien des trésors de la Bibliothèque. En 1672, Mabillon fait son premier voyage d'études, en Flandre, dans le domaine de l'histoire et de la liturgie chrétiennes. En 1675, sort le premier volume des ses Analecta Vetera (Analectes* anciens), publiés de 1675 à 1685. Ces textes rassemblent quelques travaux et des récits de voyage, dont Itinerarium Burgundicum (1685), Itererarium Germanicum (ou Libri Germanicum, 1685), Iter Italicum (1686).

* Analectes (du grec analektos, analegein, puis latin analecta : collecter, rassembler) Synonyme d'anthologie, chrestomathie (recueil choisi de textes classiques d'exception), florilège, collection d'extraits de textes de source directe d'auteur.

Vers 1675, toujours, les Bollandistes travaillent, comme les Mauristes, à la diplomatique, et un de leurs grands représentants, le jésuite belge Daniel Papebroch (Papebrochius, Papebrock, van Papenbroeck, 17/3/1628 - 28/6/1714), publie Propylaeum antiquarium, ouvrage dans lequel se dessine une méthodologie critique permettant de distinguer les documents authentiques des faux, qui appartient à un corpus particulier, les Acta Sanctorum Aprilis. Certains jugements de Papebroch ont été jugés excessifs, défaut qu'on nomme depuis hypercriticisme. La critique mesurée allait venir en 1681 de Mabillon, dans un ouvrage devenu une référence, le De re diplomatica :

Début du De re diplomatica de Mabillon : On peut voir l'auteur représenté ici avec des compagnons, penchés sur des manuscrits de l'abbaye du Mont-Cassin (Monte Cassino) en Italie, lors de la visite de Mabillon en automne 1685.

C'est le premier ouvrage important sur la critique des documents historiques, des chartes en particulier. Attention, cependant, de ne pas confondre Mabillon avec un parfait historien, nous dit en substance le grand historien Henri Irénée Marrou, car ce sont là un ensemble "de techniques de critique et d'identification des documents, il s'agit d’un ensemble opérationnel mis au point par les traditions d'atelier, mais dont la validité d’application n’est pas séparable d'une intervention, de caractère plus général, de l'esprit de l'historien."

extrait de :
De la connaissance historique, collection Points/Histoire éditions du Seuil, Paris, 1954.

Ses talents furent connus jusqu'à la Cour, où il fut présenté à Louis XIV par l'archevêque de Reims Le Tellier (successeur de Colbert) comme "le religieux le plus savant du royaume", ce qui poussa Bossuet à compléter par : "Ajoutez, Monsieur, et le plus humble." Mabillon reçut de son ministre Colbert une pension de 2000 livres qu'il proposa de verser à sa communauté. Il accepta tout de même différentes missions, au service de l'Etat, dès 1682, et fut remplacé à la Bibliothèque de
Saint-Germain par Thierry Ruinart (1657-1709), Champenois comme Mabillon (et de la famille des belles bulles, comme Dom Pérignon...).
 

Il partit alors pour la Bourgogne, où on lui demanda de trouver ce qui pouvait servir à la gloire de la France, ce qu'il fit ensuite en Suisse et en Allemagne et qu'il fit connaître dans un Journal de Voyage, et en Italie, en 1685, où Charles Maurice Le Tellier-Louvois (1642-1710), ministre de Louis XIV, lui avait demandé d'acquérir des livres et des manuscrits pour la Bibliothèque Royale. La même année, il publie son De liturgia gallicane libri tres (Trois livres sur la Liturgie gallicane, en latin, Paris, 1685 et 1729). C'est un ouvrage très documenté sur les rites liturgiques usités en Gaule avant l'an Mil.

C'est à cette époque que la Congrégation de l'Index, à Rome, lui demanda conseil sur le contenu des opinions d'Isaac Vossius (1618-1689), chanoine humaniste de Windsor en 1670, historiographe de Hollande et bibliothécaire de Christine de Suède. Créée en 1572, cette institution ecclésiastique cumule les pouvoirs des deux ministères romains de l'Inquisition et de l'Index et supervise les évêques et les inquisiteurs dans l'exécution des index, sorte de listes noires des ouvrages interdits à la publication (d'où l'expression : "mise à l'index"). Mabillon, homme mesuré, eut aux yeux des Inquisiteurs un jugement trop indulgent. Durant son premier séjour, Mabillon découvrit les Catacombes de Rome, qui lui plurent tant, et qu'il revit au cours de plusieurs voyages italiens : En 1690, il y jette un oeil critique en dénonçant l'exposition payante de reliques dans une critique publiée sous un pseudonyme : "Eusèbe Romain à Théophile François, touchant le culte des saints inconnus." Il évita lui-même d'être mis à l'Index en revoyant sa copie.
 

A son retour, il ramena pour le roi plus de 3000 livres rares et commença une contradiction célèbre avec Jean-Armand le Bouthillier de Rancé (1626-1700), l'abbé de l'abbaye cistercienne de La Trappe, qui n'acceptait pas que les moines puissent se livrer principalement au travail intellectuel, au détriment du travail manuel, thème qu'il développa dans La sainteté et les devoirs de la vie monastique. Mabillon contra De Rancé par son Traité des Etudes Monastiques (1691), auquel répondit De Rancé, qui obligea ainsi Mabillon à se défendre à nouveau, ce qu'il fit avec "Réflexions sur la réponse de M. de l'Abbé de la Trappe" (1692). L'affaire s'arrêta là, grâce à la médiation apaisante du Cardinal Camus.


Mabillon, traduction latine de son Traité des Etudes Monastiques (Tractatus de Studiis Monasticis), de 1705. Première page des tables de matières concernant les oeuvres à étudier nécessairement par les moines.

Heureusement, car Mabillon avait mieux à faire en commençant son ouvrage majeur dès 1693, Annales Ordinis Sancti Benedicti occidentalium monachorum patriarchae (Annales de l'Ordre de St. Benoît, Patriarche du monachisme occidental, dites annales O.S.B, de Benoit de Nursie à 1157), qui ne connut sa première édition complète qu'en 1730, par Dom Martène :

Portrait de Mabillon dans une édition de ses Annales, par Charles Robustel, 1703, Paris, dans sa première édition.

En 1698, il se fait à nouveau critique, cette fois après avoir visité la prison d'enfants instituée par le prêtre Filippo Franci à Florence. C'est un des tout premiers ouvrages français d'une critique du système pénitentiaire, qu'il rédigea dans ses Réflexions sur les prisons des ordres religieux (1690). Mabillon y reproche surtout le trop grand isolement des détenus, la dureté de leurs traitements, le manque de proportionnalité de leurs peines, et propose l'instauration de promenades, de travail manuel, de visites des familles , de meilleures conditions d'hygiène, et il évoque même l'individualisation des peines, leur régime progressif, allant jusqu'à esquisser le tableau d'une prison modèle.

En 1700, notre homme se fait remarquer une nouvelle fois lors de l'édition critique de saint Augustin publiée par les Mauristes à l'occasion des controverses du Jansénisme. On demanda à Mabillon une préface au dernier volume de l'édition, projet annoté abondamment par Bossuet et repris par Mabillon, qui eut alors contre lui un certain nombre de détracteurs, loin desquels il se retira dans le calme, en Normandie, pour se voir ensuite soutenu par le Saint-Siège.

En 1701, il fut un des tout premiers membres nommés par le roi à l'Académie Royale des inscriptions et médailles, institution destinée à conserver et décrire les hommes et les faits de l'Histoire de France, tout en approfondissant la culture gréco-latine qui l'a formée.

C'est sur la route de Chelles, en 1707, qu'il tombe malade. Il est ramené à Paris où il mourra trois semaines après, dans de grandes souffrances, ayant entendu la messe de minuit et reçu la sainte communion. Son corps fut enterré dans la chapelle Notre-Dame de Saint-Germain et, après destruction de celle-ci à la Révolution, fut déplacé au jardin du musée des Petits-Augustins, pour être restitué définitivement à Saint-Germain à la Restauration (1819), où il repose maintenant dans un mausolée offert par la Ville de Paris.

Sa vie a été écrite par son ami Dom Ruinart en 1708 et par Chavin de Malan en 1845.

 
 
Sources :
 
http://www.amdg.easynet.be/sankt/mai28.html
http://www.newadvent.org/
 
Illustrations :
 
http://www.hmml.org/exhibits/Maurists/
 

 

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