- Au début du XIXe siècle, l'apiculture française abonde d'expériences pratiques de tout poil, par beaucoup d'apiculteurs amateurs :
- Jean-François Dubost, un officier de gendarmerie de Bourg (Ain) publie "Methode avantageuse de gouverner les abeilles" (Bourg, chez Bottier, 1800) et ses expériences (dans des ruches d'observation vitrées), sur les températures des ruches, très acceptables même en plein hiver, seront citées cinq années plus tard par l'agronome Charles-Pierre Lombard (1743-1824, procureur au Parlement de Paris pendant la Révolution) dans "Etat de nos connoissances sur les abeilles au commencement du X1Xe siecle" (Paris, chez Madame Huzard, 1805). Profitons de cet état des lieux apicole de ce tout début du XIXe siècle, pour faire le point des connaissances et des pratiques d'alors, relatives aux abeilles et à leur élevage.
- Lombard, à la suite de Duchet (qu'il cite à ce sujet) et d'autres (J. Hunter, Huber père et fils) prend timidement parti pour l'origine sucrée (miel, sucre, cassonnade) du miel, précisant que l'affirmation de Bernard de Jussieu, à propos de "la poussières fécondante de toutes sortes de fleurs" comme origine de la cire ne tient plus. Par ailleurs, il émet l'opinion des botanistes, qui prétendent que des arbres et des arbrisseaux sont susceptibles d'être souce de cires. Il ne connaît pas l'origine de la propolis (disant au passage que les excréments des pucerons sont du miel) et nous dit que certains croient encore aux "miellées"célestes, bien que Boissier-de-Sauvages ait fait tomber cette opinion le 16 décembre 1762. Lombard récuse l'opinion de Buffon sur la formation des rayons, qui selon lui auraient une géométrie parfaite grâce à la compression du corps des abeilles entre eux.
- S'agissant des maladies et des ennemis de l'abeille, Lombard en établit une liste :
- "32. Maladies Des Abeilles. — La dyssenterie* ou le dévoiement. C'est la plus grave maladie des abeilles. Dans l'état naturel, elles ne font jamais d'ordures dans leur ruche. Si elles y ont été renfermées ou retenues par le froid , dès qu'elles peuvent sortir, elles se vident et se débarrassent d'une matière d'un rouge jaunâtre, couleur naturelle de leurs excrémens. On connaît que les abeilles sont attaquées de la dyssenterie, quand on aperçoit dans et proche l'entrée des ruches, des taches larges comme des lentilles, d'une couleur presque noire et d'une odeur insupportable. Ce mal se communique. Ces insectes, dans cet état, n'ayant pas assez de force pour retenir leurs excrémens, laissent tomber sur ceux qui sont placés dessous, une matière gluante qui gâte leurs ailes , bouche les organes de la respiration. Cette maladie est causée par une humidité concentrée dans l'intérieur des ruches, soit par leur forme, soit par la saison. (Voyez n° 52.) Afin de prévenir cette maladie, il faut laisser pénétrer l'air dans les ruches, pour en absorber l'humidité. Il ne faut point transporter les ruches dans un tems où les abeilles ne pourraient sortir après le voyage , parce que l'agitation ou l'exercice que leur a causé le mouvement du. transport, leur ayant donné de l'appétit, il faut qu'elles se vident. Si cependant la maladie se manifeste, il faut se hâter d'y apporter remède en nétoyant les appuis et le bas intérieur de ces ruches, en donnant aux abeilles un sirop composé d'une partie de miel et de deux de vin vieux qu'on leur présente tiède sur une assiette , dans laquelle on ajoute une large croûte de pain grillée et imbibée de la liqueur, afin que les abeilles ne s'engluent pas.
- * dysenterie. Plus haut, il précise : "la dyssenterie a lieu après les hivers doux, en pluviose et ventose, février et mars"
- 33. Le vertige. Il a communément lieu depuis le 5 mai jusqu'au 25 juin. Les abeilles attaquées de cette maladie , tournent, vont et viennent sans cesse; elles ont le train de derrière si faible, qu'à peine peuvent-elles se soutenir: elles se traînent à terre et n'ont pas la force de s'envoler. On ne connaît point de remède à cette maladie, mais on peut en soupçonner ta cause et en empêcher les eflets. Il y a apparence que la fleur qui donne le vertige est de la classe des ombellées. Il est prudent d'éloigner des ruches les plantes de cette classe qui sont presque toutes suspectes.
- 34. L'indigestion. Afin de prévenir cette maladie, il ne faut rien donner aux abeilles hors leur ruche, par un tems froid , ni après-midi, parce qu'étant gorgées de nourriture , si la fraîcheur les saisit, ne pouvant rentrer, elles périssent.
- 35. Le couvain avorté. Des auteurs ont désigné cet accident par faux couvain, ce qui n'est pas exact, n'y ayant pas de faux couvain. Le couvain avorte par deux causes : la première, lorsque les abeilles donnent aux larves une mauvaise nourriture ; la seconde , lorsque.ces vers se trouvent placés dans leur alvéole la tête renversée; dans cette position, les jeunes abeilles, hors d'état de pouvoir sortir de leur prison, meurent et se corrompent.
- Les alvéoles qui contiennent le couvain en bon état, sont fermés par un couvercle en cire jaunâtre et un peu bombé; si le couvain avorte, le couvercle s'enfonce et noircit. Les abeilles savent, en général, s'en débarrasser avant qu'il se corrompe ; mais si cet accident a lieu pendant l'hiver, on doit, lors de la visite des ruches en printems, extirper les rayons infectés.
- 36. Ponte viciée des reines. Voyez n° 10.
- (...)
- 10. Ponte viciée. Les jeunes reines peuvent également recevoir le mâle, passé le vingtième jour de leur sortie de l'alvéole; elles pondent aussi quarante-six heures après l'accouplement; mais leur ponte est viciée au point qu'elles ne pondent plus que des œufs de mâles : inhabiles à peupler les ruches où elles se trouvent, elles sont bientôt abandonnées par les ouvrières, l'on ne trouve alors dans ces ruches que du couvain de faux-bourdons; heureusement que ce cas est rare.
- (...)
- 37. La rougeole ou le rouget. On a désigné cela comme «une maladie des abeilles, quoique ce n'en soit pas une. C'est du pollen mis en provision par les abeilles dans des alvéoles, qui a pris une consistance telle qu'elles ne peuvent en faire usage. Comme les abeilles emploient beaucoup de tems pour s'en débarrasser en le rongeant peu-à- peu , on l'extirpera comme le couvain avorté.
- 38. De l'homme et des animaux nuisibles aux abeilles. "L'homme aime l'abeille, mais c'est un dangereux ami par le peu de soin qu'il en prend, et sur-tout par le massacre qu'il en fait pour s'approprier ses provisions. Il faut espérer qu'on renoncera à cette cruelle habitude.
- 39. Le rat, la souris, le mulot, le campagnol, la musaraigne de terre. Ces animaux omnivores qui ont les mêmes inclinations, sont à-peu-près de la même forme. Le rat est le plus gros ; la musaraigne, qui a le museau pointu comme celui d'une taupe, est là plus petite. En été les abeilles se préservent de ces animaux ; mais peu vigoureuses pendant les froids, et réunies pour leur conservation commune, ces animaux en profitent lorsqu'ils peuvent atteindre les ruches , ils les rongent, les percent, s'y introduisent, dévorent la cire et le miel, et salissent le reste par leurs urines ; il faut s'attacher à les détruire.
- 4o. Les araignées. Il n'y a que les grosses araignées qui osent attaquer les abeilles arrêtées dans leur toile, encore le font-elles avec précaution ; il faut aussi s'attacher à les détruire et briser leurs filets..
- 41. Les guêpes. Il y a des guêpes plus fortes et moins frilleuses que les abeilles. Ces guêpes saisissent les abeilles et les dévorent dans un instant. J'en ai détruit un grand nombre par deux moyens. J'ai enduit plusieurs tamis avec du miel, et le matin, avant la sortie des abeilles, les tamis contenant beaucoup de guêpes, je les ai couvertes d'eau chaude. Pour les détruire sous terre , j'ai pris de la terre grasse, je l'ai délayée et coulée dans leurs trous, jusqu'à ce qu'ils soient pleins. J'ai de plus bouché leur sortie avec de la même terre, moins délayée, et j'en ai battu les places.
- 42. Crapaud de terre. Dubost et Lapoutre, ci-devant cités, attestent que, les crapauds dévorent les abeilles qui passent la nuit sous les tables des ruches dans le tems des chaleurs. Lapoutre ajoute qu'il a trouvé vingt abeilles dans l'estomac d'un crapaud..Il faut s'attacher à les détruire, c'est pendant la nuit et sur des terrains frais qu'ils rodent.
- 43. L'ours. Ils sont rares en France, cependant j'en ai vu un dans les Alpes. Ils sont friands de miel, et lorsqu'ils aperçoivent des arbres creux dans lesquels il y a des abeilles, ils montent le long du tronc, et avec leurs pates ils en tirent tout ce qu'ils peuvent atteindre et le dévore. Dans les forêts du nord, on suspend contre le tronc des arbres où il y a des abeilles, un morceau de bois pesant. L'ours montant rencontre la pièce et l'écarte avec une de ses pates ; mais retombant sur lui, il se met en fureur et l'écarté plus fort. Alors les coups violens et réitérés qu'il reçoit le tuent ou le font tomber.
- 44. Les pics. Espèces d'oiseaux qui tirent leurs noms de l'habitude qu'ils ont de faire des trous avec leur bec, pour trouver des vers qui sont entre le corps de certains arbres et leur écorce. Le bruit qu'ils font en frappant l'arbre, est entendu d'assez loin. Nous connaissons le pic-vert ou pivert, nommé aussi pimart, pieu-pieu, et vulgairement toque-bois. Nous connaissons encore le grimpereau ou pic-noir, pic des murailles, le pic-varié ou épeiche, etc. ; lorsque ces oiseaux approchent des ruches, ils les transpercent et dévorent les abeilles. Ceci s'adresse aux propriétaires voisins des forêts, qui doivent plus particulièrement veiller sur leurs ruches pendant le tems que la terre est couverte de neige, époque où les animaux se servent de tout leur instinct afin de pouvoir subsister.
- .45. La mésange, vulgairement pique-mouchet. Cet oiseau, dont on connaît plus de vingt espèces, a un plumage bleu; il paraît en automne et s'éloigne au printems. Il se pose sur les appuis près l'entrée des ruches, et Buffon dit qu'avec ses pates et son bec il grate et provoque les abeilles a sortir, les saisit et les emporte pour les dévorer. Lapoutre assure avoir vu sous un arbre, sur lequel se posaient des mésanges, une quantité surprenante de parties écailleuses des abeilles que ces oiseaux avaient laissé tomber en les dévorant.
- 46. La fausse-teigne, est une chenille qui ronge nos arbres, le papier de nos livres, ainsi que toutes les matières inanimées qui sont à sa portée. Elle a une prédilection pour la cire de nos ruches dans lesquelles elle trouve une chaleur qui lui plaît, et qui favorise sa multiplication et sa croissance. Les édifices des ruches seraient bientôt dévorés par cette vermine, si les abeilles ne s'opposaient à leur ravage , tellement que les teignes ne peuvent envahir que les ruches non surveillées par les abeilles, et qui sont à leur déclin. Le papillon de cette vermine paraît autour des ruches dès le mois d'avril, et on continue à le voir jusques et compris le mois d'octobre. Ce.papillon est du genre des phalènes qui ne volent que pendant une lumière douce, telle que celles de l'aurore ou du crépuscule, ou pendant les nuits éclairées par la lune. Il porte les ailes couchées, d'un gris obscur, avec de petites taches noirâtres : il a les yeux d'une sensibilité si grande , que la clarté l'éblouit, et il reste immobile dans le lieu où le jour l'a surpris. Sa femelle profite d'une petite clarté pour s'introduire dans les ruches, et y déposer ses œufs contre des rayons de cire. De chaque œuf éclot une chenille rase, d'un blanc sale , ayant la tête brune et écailleuse. Elle s'enferme dans un petit tuyau de soie blanche qu'elle colle contre les rayons, et dans lesquels elle trouve sa nourriture en alongeant la tête hors de son fourreau. Lorsque l'aliment lui manque, elle prolonge son tuyau, qui, n'étant d'abord que comme un fil, devient insensiblement de là grosseur d'une plume à écrire. Celte vermine étant parvenue à son point de croissance subit la métamorphose commune à toutes les chenilles , elle quitte sa galerie, se retire dans un coin de la ruche ou dehors, file une coque blanche , pour en sortir en papillon, s'accoupler, rentrer dans les ruches et y déposer ses œufs. Pendant quinze à seize ans, cette vermine m'a fait perdre annuellement environ le quinzième de mes ruches, mais depuis 1806, j'ai recueilli une série d'observations sur cette teigne, qui m'ont convaincu 1° que son papillon pénètre dans toutes les ruches fortes et faibles, probablement à la faveur du mouvement de ses ailes, ou par la célérité de sa course, car il court plutôt qu'il ne marche; 2° que sa femelle ne pond jamais dans le centre des édifices des abeilles, mais à leurs extrémités, que là, cette chenille éclot, se loge et même grossit jusqu'à un certain point, pendant la portion de l'année où, n'y ayant point de couvain à soigner, les abeilles restent inactives au centre pour y maintenir la chaleur nécessaire à la conservation commune; 3° que pendant ce tems, quelques- unes de ces chenilles parviennent au moment de filer leur coque dans les réduits qu'elles peuvent trouver à la base intérieure de la circonférence des ruches, que les abeilles apercevant ces coques les couvrent avec de la propolis, ce qui n'empêche cependant pas le papillon d'en sortir. 4° Je me suis encore convaincu qu'au printems, lors de la grande ponte des reines, les abeilles reprenant leur activité et parcourant continuellement l'intérieur de leur ruche pour les soins qu'exigent le nouveau couvain, et les provisions qu'elles font alors, arrachent une grande partie des teignes de leur galerie et les jettent dehors. ( II y a un tems, dit Réaumur, où les abeilles paraissent faire la guerre aux fausses teignes.) Mais l'activité des abeilles diminuant après la grande ponte des reines, les teignes qui survivent, et dont le papillon paraît pendant six mois de suite, se succèdent toujours en faisant leur ponte contre les rayons éloignés du centre ; enfin les reines périssant ou devenant infirmes, les abeilles n'ayant plus de couvain à soigner, restant inactives et au centre, les teignes gagnent peu-à-peu ce centre, dévorent sans obstacles les édifices, et la cire est perdue. Je me suis confirmé dans mes observations par une expérience que j'ai faite en 1811. Pour remédier à ce mal, je n'engage pas à employer le procédé indiqué dans la note, à moins que ce ne soit sur des ruches contenant des rayons de l'année précédente, parce que presque toutes les ruches, qui sont en dépérissement, ne contiennent que de vieux rayons, dont les alvéoles épaissis par l'usage qu'en ont fait les abeilles, doivent être plutôt rejetés que conservés.On a dit qu'il fallait mettre de la lumière auprès des ruches, où les papillons viendraient se brûler ; qu'il fallait arroser les ruches avec de l'urine ou avec du vinaigre salé, etc. ; tous ces remèdes sont impraticables, ou au moins imparfaits, en ce qu'il faudrait les réitérer pendant six mois de l'année : le seul que je sache, serait de donner une bonne reine à ces ruches, dont la présence ranimerait les abeilles qui sauraient bien arrêter l'invasion totale de la teigne ; au défaut de ce remède, j'engage les propriétaires à fixer leur attention sur les ruches dont les abeilles seraient dans l'inaction pendant que celles des autres ruches seraient en mouvement, et s'ils voyent cette inaction durer un certain tems, comme quinze jours, d'enlever ces ruches pour en sauver la cire qu'ils feraient fondre sans retard.
- 47. Le sphinx à tête de mort. C'est un grand papillon qui est aussi du genre des phalènes, et l'un des plus redoutables ennemis des abeilles, puisqu'il les effraye et qu'en peu de tems, peut-être l'espace d'une nuit, il enlève tout le miel qui devait alimenter les ruches pendant l'hiver. Ce papillon fait entendre un son aigu et plaintif qui, avec la tache de son corcelet représentant grossièrement une tête de mort, lui a fait donner son nom, et attacher par le vulgaire des idées sinistres. ;
- Ce papillon dont la chenille se nourrit de la feuille de pomme de terre, paraît au mois de septembre ; on le confond avec la chauve-souris, à cause de sa grandeur, et parce qu'il vole aux mêmes heures. Aussitôt que les abeilles s'aperçoivent de son approche, elles se mettent toutes en mouvement, et si elles en ont le tems, elles se retranchent dans l'intérieur de leur ruche, en rétrécissant l'entrée avec un mélange de cire et de propolis; elles font quelquefois une double muraille, un chemin couvert, une porte secrète, des créneaux qui ne laissent le passage que pour une seule abeille. L'art qu'elles employent pour rendre inutiles les attaques de ce sphinx est tel, que les haubans y auraient trouvé des modèles. Des observations suivies prouvent que les abeilles ne prennent ces précautions que lorsqu'elles sont menacées d'invasion. Comment, dit M. Huber, cette prévoyance a-t-elle été accordée à des êtres qui, à ce que nous croyons, n'ont pas reçu le don de l'intelligence ? De pareilles observations, ajoute un de ses correspondans, sont des hymnes continuels d'adoration adressés à l'auteur de toutes choses.
- Au mois de septembre 18o2, toutes mes ruches ont éié presque fermées par les abeilles; je ne savais à quoi attribuer cette singularité. Aujourd'hui que M. Huber nous en a fait connaître les causes, nous devons en prévenir les effets dans les cantons où la pomme de terre est cultivée en grand, en rétrécissant l'entrée de nos ruches dès le commencement de septembre avec le guichet décrit au n° 76, ci-après."
- Ch. P. Lombard, op. cité, p. 25 - 32.
- Lombard liste aussi les types de ruches utilisées en France :
- - ruches de vannerie, en "brins d'osier, de viorne, ou de troêne". Ce sont les plus utilisées, dit-il, pourtant elles se réchauffent ou se refroidissent très vite, sans compter qu'un ver appelé artizon (artison : terme générique des larves xylophages : vrillettes, capricornes, etc.) réduit en poussière le bois de la ruche.
- - la ruche vitrée de Réaumur : sa forme empêche l'observation entre les gâteaux, parallèles entre eux, améliorée par Bonnet, et surtout, par Huber.
- - les ruches à tiroirs, à cabinets, à hausses : faites avec des planches, difficiles et coûteuses à construire, elles se déforment au soleil ou sous la pluie, se réchauffent ou se refroidissent trop vite, exigent des soins trop fréquents, etc. (On ne compte plus les différentes versions françaises de ces ruches, dont les concepteurs semblent tous ignorer [cf Palteau et ses admirateurs] que les apiculteurs anglais les ont de longtemps devancés, tels Jonas de Gélieu, Duchet, de Bois-Jougan, de Massac, Cuinghien, Ravenel, Beaunier, Beville, Caignard, Rompel-Wintzel, Eiigel, Ducouédic*, etc.).
- * Du Couedic de Villeneuve, Pierre Louis, 1743-1822. En 1813, il publie "La ruche pyramidale, methode simple et naturelle".
- En conséquence, Lombard propose une ruche de sa conception, pleine de qualités selon lui, qu'il appellera "ruche villageoise" (et son public : "ruche lombarde"), qui est une ruche à calotte, simplement, mais qui est accueilli par certains comme une ruche révolutionnaire :
- "Après avoir examiné, comparé et pratiqué les différentes ruches connues, j'en ai imaginé une que j'ai cherché à adapter à la distribution constante des édifices des abeilles , en m'écartant un peu de la forme de celle le plus généralement en usage ; avec cette ruche, on a la faculté d'enlever aux abeilles leur plus belle récolte sans être tenté de les détruire, et de les transvaser sans les laisser au dépourvu.
- Cette ruche tissée avec de la paille et des liens flexibles, est en deux parties, séparées intérieurement par un plancher avec des ouvertures près des parois de la ruche, suffisantes pour ne point interrompre la communication des abeilles d'une partie dans l'autre.
- Cette ruche est avantageuse, d'abord du côté de la matière avec laquelle elle est faite, en ce que cette matière est commune, la moins coûteuse, la plus facile à manier, la moins sujette aux impressions de l'air.
- L'épaisseur de la ruche, qui est de dix-huit à vingt millimètres (neuf à dix lignes), maintient la température la plus uniforme dans l'intérieur, et met les abeilles le plus constamment à l'abri des grandes chaleurs et des grands froids. Son diamètre resserré met le couvain, germe précieux de la multiplication des abeilles, et les gâteaux qui les couvrent, à l'abri de l'ignorance et de l'avidité ; la hauteur de la ruche ne permettant pas de l'atteindre par le bas, puisqu'il en est éloigné , ni de le toucher par le haut, puisqu'il est couvert par le plancher.
- Ce plancher est avantageux, en ce qu'il donne des points de suspension pour les gâteaux inférieurs qui contiennent le couvain, suspension qui ne peut être altérée par l'enlèvement des couvercles. Au moyen du plancher, les gâteaux des couvercles ne peuvent faire partie de ceux de dessous le plancher , de manière qu'on enlève les couvercles sans efforts et sans rien déranger ni rompre , sans faire périr une seule abeille, quoiqu'il y en ait quelquefois un grand nombre entre les rayons , qu'elles quittent d'elles-mêmes pour aller rejoindre leur reine. Cet enlèvement est quelquefois si facile , qu'avec de la douceur et du silence , on peut le faire à visage découvert et les mains nues sans être piqué, la colère des abeilles n'ayant plus lieu dès l'instant qu'elles sont séparées de leur reine et du couvain, qui sont, pour ainsi dire, étrangers à ce couvercle. Et, comme en les enlevant, on n'a rien brisé, si on ne les trouve pas suffisamment pleins, ou si on n'a eu intention que de prendre un ou plusieurs rayons, on choisit, et on replace les couvercles sur les ruches, pour les enlever plus tard, ou reprendre encore des rayons à sa volonté.
- L'emplacement des fentes dans le plancher ,n'est pas une chose indifférente, il faut qu'elles soient sur les bords circulaires , près des parois de la ruche , par plusieurs raisons.
- La première, c'est que le couvain étant toujours placé au centre, la reine est naturellement détournée d'aller chercher ces passages éloignés pour placer du couvain dans les couvercles.
- La seconde, c'est que, si on pratiquoit ces fentes au centre , elles se trouveroient au- dessus du couvain, qui ne peut être trop à l'abri, et qui cependant seroit éventé lorsque l'on mettroit un couvercle vide à la place d'un couvercle plein.
- La troisième , c'est afin que les abeilles passent, à leur volonté et sans obstacle, du dessous du plancher dans le couvercle, et qu'elles ne soient point obligées de percer la foule des abeilles qui se trouvent toujours près du couvain.
- Lors des dégels , les parois intérieures des couvercles et des ruches étant imprégnées des vapeurs qui s'exhalent du grand peuple qui l'habite, l'eau en découle depuis lehaut dans toute la circonférence ; le centre seulement se conserve sec par le groupe dea abeilles, qui, avec le plancher, couvrent entièrement le couvain.
- Il faut donc que le haut de la ruche ait une forme conique, et que les fentes du plancher soient pratiquées près de ces parois , afin que les eaux du couvercle descendent sans obstacle; autrement ces eaux, séjournant sur le plancher, y causeraient de la fraîcheur, de la moisissure; ou bien , l'eau s'échappant à travers les fentes qui seroient pratiquées près du centre, inonderoit le couvain et les abeilles qui se trouveroient le long de sa chute.
- La ruche est encore avantageuse en ce qu'elle donne la facilité de transvaser lentement et insensiblement les abeilles d'une vieille ruche dans une neuve, et de ne jamais les laisser au dépourvu.
- Pour rendre son usage plus facile, j'ai imaginé le moyen de donner aux ruches un diamètre uniforme et invariable, ainsi qu'à la base des couvercles ; de manière que deux ruches, misés et lutées l'une sur l'autre au besoin , ont l'air de n'en faire qu'une, et que les couvercles peuvent s'adapter à toutes les ruches ; enfin, leur solidité est telle, qu'elles peuvent durer vingt et trente ans sans se déformer, même en les transportant."
- op.cité, p 51 à 54.
- La ruche que Lombard met au point est citée par différents auteurs, tel P.C.G Beville, qui le loue pour un masque de son invention, en fil de fer, "très ingénieux et très commode" (Traité de l'éducation des abeilles et de leur conservation, publié par Demonville, 1804, p. 64).
-
- "Ustensiles nécessaires pour l'exploitation des ruches.
- 1° Un camail adapté à un corps en forme de blouse avec des manches et des gants, le tout en toile : au-dessus des gants, mettre la toile double, et, si l'on veut, du crin entre deux toiles: on peut trés bien se servir d'une blouse et de vieux gants pour se préserver, avec un camail en crin double par devant ; la forme est absolument celle d'un camail, et il n'est nécessaire que pour les grandes opérations, car, pour récolter les essaims, on peut se passer de camail, mais je le conseille par précaution.
- 2° Un pantalon de pareille toile, avec des pieds qui entrent dans les souliers.
3°. Un couteau en forme de serpette, bien tranchant, un manche de quatorze à quinze pouces en fer et plat.
4°. Un fil de laiton de quinze pouces de long, et un petit morceau de bois aux bouts ; ou un couteau plat en
forme de plane de tourneur.- 5°. Des phioles à larges gouleaux.
6°. Des terrines ou autres grands vases.
7°.Des petites claies; à défaut on se sert de baguettes pour faire égoutter le miel qui sort des gâteaux.
8°. Une presse. On peut suppléer à la presse par un procédé simple; vous mettez sur l'aire du plancher une planche réfouillée d'un pouce environ, le bout près d'un mur : vous arrangez vos gâteaux sur cette planche réfouillée ;- vous mettez une autre planche sur les gâteaux arrangés sur celle réfouillée: sur cette seconde planche vous mettez une pierre ou un petit bloc de bois, puis avec un grand bâton un peu fort, dont le bout est entré dans le mur, vous faites des pesées, cela équivaut à une presse à vis.
9°. Une chausse de cannevas où de de toile claire, avec quatre cordons pour l'attacher à deux chaises ou autrement, et passer le miel.
10°. Un tampon de linge lié au bout d'un bâton avec de petit fil de fer, pour faire de la fumée au besoin.
11°.Un petit tuyau en forme de pipe en fer blanc, ou une pipe ou un chalumeau de paille.
12°. Une tinette, trouée sur le fond; qui forme le dessus, de six pouces, pour soutenir une ruche renversée, transvaser, etc. , à défaut on se sert d'un tabouret renversé enveloppé d'une toile.- 13°. Et se précautionner de ruches pendant l'hiver, les tenir proprement en lieu sec."
- Beville, op. cité p 64 à 67.
- "Ustensiles nécessaires pour l'exploitation des ruches.
- 1806 : Stanislas Beaunier écrit "Traite-pratique sur l'education des abeilles" (édité à Vendome)
- 1808, Matthias Engel publie "Instruction sur la culture des abeilles" (chez Levrault, Strasbourg). La Société d'émulation des Sciences, des Belles-Lettres et des Arts, fondée à Colmar en 1801 par le premier préfet du Haut-Rhin, M. Noël, le promeut pour améliorer l'apiculture en Alsace. A en croire Stéphane Martz (Offendorf, 2006), la situation de l'apiculture alsacienne n'était alors, pas très brillante :
- "Le miel se récolte d'une manière barbare. Il s'agit de détruire la ruche en paille par étouffage (en utilisant de la vapeur de soufre), de récupérer les rayons de miel et de presser le tout. Le renouvellement du cheptel s'effectue de manière naturelle (on recueille les essaims). Les ruches sont détruites au courant du mois de juin (à la Saint-Jean) et l'apiculteur part à la recherche d'essaims en vue de recommencer une nouvelle apicole à partir du 2 février (à la Chandeleur). La Société d'Émulation désire remplacer les ruches en paille par des ruches en bois beaucoup plus rentables. Elle tente également de faire disparaître la pratique de l'étouffage.
Malgré les efforts des autorités, l'apiculture reste peu et mal pratiquée en Alsace. Une enquête, menée en 1841 par la préfecture du Bas-Rhin, porte sur le nombre de ruches, la quantité et le prix du miel ainsi que de la cire. Le constat est déplorable."
extrait de : http://langues.ac-dijon.fr/article.php3?id_article=267
- 1810 : Charles Romain Feburier, "Traite complet theoretique et pratique sur les abeilles", Paris, Madame Huzard. Qu'en pense Jacques Radouan, qui écrit le "Petit manuel des propriétaires d'abeilles .." en 1821 (chez Boniez-Lambert) ?
- "Cette ruche est très commode pour faire des essaims artificiels par séparation, il suffit de la diviser en deux, et d'ajouter à chaque partie une demi- ruche vide; mais je crois cette grande facilité bien funeste, car M. Feburier étant occupé une moitié de la bonne saison à forcer ses ruches à essaimer, paraît être obligé d'employer l'autre partie à les nourrir avec du miel, des sirops, etc. ; il semble leur donner beaucoup plus qu'il n'en retire, et c'est une suite inséparable de ses divisions.
- Le même auteur conseille, pour forcer les abeilles à convertir le miel en cire, d'enlever successivement les rayons du centre. Je crois cette méthode aussi pernicieuse que les essaims forcés; car, ces rayons contiennent du couvain au moins en état d'œufs ou de vers, et du pollen nouveau qui sont perdus; les abeilles sont détournées de leurs occupations ordinaires et favorites, qui sont la récolte du miel et l'éducation du couvain, et il ne peut au surplus jamais y avoir de bénéfice , puisque M. Huber a constaté qu'une livre de miel ne produit qu'environ une once de cire.
- M. Feburier prétend qu'en administrant beaucoup de sirops aux abeilles, au commencement du printemps , on en obtient des essaims très -primes : je le crois dans l'erreur; le pollen nouveau est la base principale de la nourriture des jeunes vers, puisque dans le temps de la grande ponte . s'il fait quelques jours de mauvais temps, quoique les abeilles aient une forte provision de vieux pollen et de miel, elles sont forcées de laisser mourir les jeunes larves qu'on leur voit traîner en grand nombre hors de leurs ruches, ce qui cesse d'avoir lieu à l'instant même où elles peuvent se procurer de nouveau du pollen. Si l'on joint à cette raison, qui me paraît décisive, que la chaleur de l'atmosphère est indispensable aux abeilles pour qu'elles puissent s'étendre dans leur ruche et y soigner de nombreux nourrissons, on .era moralement sûr que l'avancement de l'essaimage est en général au-dessus de la puissance humaine; il ne peut y avoir d'exception que dans des cas très-rares, comme en transportant les ruches dans des cantons ou des positions très-précoces, ou en faisant des semis ou des plantations favorables au développement des jeunes abeilles.
- L'ouvrage de M. Feburier est pour le surplus excellent et très-curieux; les amateurs d'abeilles y trouveront la description de tous les systèmes, et des diverses espèces de ruches avec leurs avantages et leurs inconvéniens; l'auteur l'a enrichi de notes extraites de Virgile , de Delille , du père Vanière et autres, sur les antiquités des abeilles, qui en rendent la lecture amusante et très-instructive."
- Jacques Radouan, op cité, p. 134-135.
- 1811 : Joseph Varembey publie "Ruche francaise avec la maniere de s'en servir..." à Paris, chez Michaud ; à Bourg, chez Janinet.
- 1813 : Pierre Louis Ducouëdic de Villeneuve (1743-1822) écrit "La ruche pyramidale, methode simple et naturelle".
- Après un début de carrière militaire, l'ukrainien Petro Ivanovych Prokopovych (Prokopovich, Prokopovitch, Прокопович Петро Іванович, Mytchenky 10 juillet 1775 - Pal'chyky, 3 avril 1850) s'en détourne en 1799, en découvrant la vie des abeilles dans le petit jardin de son frère. Il se lance alors avec passion dans l'étude de l'apiculture et il aura eu raison, puisqu'il serait le premier à avoir effectué deux découvertes importantes : celle du cadre amovible (1814), qui donne tout son sens à l'apiculture mobile, et celle de la grille à reine (queen excluder, en anglais), qu'il conçut en bois. C'est un écran perforé de trous dont les dimensions permettent le passage des ouvrières, mais pas celle de la reine ni des mâles (maximum 0.163 pouces ou 4.14 mm de diamètre). Ainsi, la reine ne peut aller pondre dans les hausses, là où le miel sera entreposé et récolté de manière aisée par l'apiculteur. Prokopovitch connaît l'espace abeille (bee space) entre les rayons, mais ignore qu'il faut le respecter aussi ailleurs, comme entre les cadres et les parois de la ruche, ce qui explique qu'il n'est pas possible d'extraire les cadres sans découper les rayons.
- Prokopovych considérait l'apiculture comme une branche importante de l'agriculture et en lança le commerce à grande échelle. Dès 1808, il possédait près de six cents colonies, et à la fin de sa vie, il gérait près de 10000 ruches, dont 6600 de sa conception. Par ailleurs, il créa une école importante d'apiculture en 1826 dans la ville de Palchiki (Pal'chyky, Palchyky), dans un province du nord de l'Ukraine, Chernihiv Oblast (plur, oblasti = région, province), près de la ville historique de Baturyn (Baturin), et pendant plus de cinquante ans, il forma près de 700 apiculteurs. Si l'apiculteur ukrainien avait correctement établi l'espace abeilles entre les cadres, il n'avait pas pensé à le respecter du côté des parois de la ruche, qui est une erreur courante avant l'invention de la ruche de Langstroth.
Sources
