ENCYCLOPEDIE -DE--LA--LANGUE -FRANCAISE

ABBAYE
 

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SCRIPTORIUM
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---Du parchemin au
----livre


 


 
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Manuscrit allemand de l'abbaye de Bamberg, Allemagne, XII e. Ambroise, De officiis ministrorum
Bamberg, Staatsbibliothek. Ms. Patr. 5, f. 1v.
Médaillons dans le sens des aiguilles d'une montre, à partir d'en haut à gauche : Echarnage, livre achevé, assemblage des cahiers avec le cousoir, renforcement des ais par des cabochons métalliques martelés à la main, découpage de feuilles de parchemin, travail sur une agrafe (sorte de fermoir), lecture à un novice, découpage de la reliure, découpage du parchemin à l'aide du lunellarium, écriture au stylet d'un brouillon sur tablettes de cire.
 

 
 
 
Des feuillets aux cahiers
 
 

Le moine copiste pouvait avoir une réserve de feuilles de parchemin préparées et découpées dans les ateliers, qui étaient gardées souvent dans des boîtes, des coffrets (arca, scrinium) : voir Le parchemin : fabrication. Mais il était souvent amené à recueillir un parchemin qu'il lui fallait découper en plusieurs feuillets, ce qu'il faisait avec un rasorium ou une novacula (rasoir, couteau), ou, plus spécialement, le lunellarium, un couteau courbe, qui tire son nom de sa forme en demi-lune, caractéristique depuis l'antiquité :

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1. Manuscrit du XIIIe siècle. Librairie Royale de Copenhague (voir un autre folio comparable dans le chapitre "du parchemin au livre".

2. Détail du manuscrit de Bamberg, abbaye d'Allemagne, XII e. Ambroise, De officiis ministrorum
Staatsbibliothek. Ms. Patr. 5, f. 1v.
 

Le format des livres dépend du format des feuilles utilisées et il est déterminé par leur pliage, qui finit à former un cahier plus ou moins grand et épais, qui sera par la suite relié. Voici une liste des formats les utilisés, du plus grand au plus petit :
 
- feuille non pliée : in-plano
- feuille pliée en deux : in-folio (in-2, binion)
- feuille pliée en trois : in- (in-3, ternion)
- feuille pliée en quatre : in-quarto (in-4, quaternion)
---C'est le format largement le plus utilisé au Moyen-Âge (suivi de loin par le ternion, et encore plus loin par les autres formats, dont la plupart sont anecdotiques)
- Pliage en cinq (in-5, le quinion)
- Pliage en six (in-6, le sénion)
- Pliage en huit : in-octavo ( in-8, octonion)
- Pliage en douze (duodecimo), seize (sextodecimo), dix-huit (octodecimo), vingt-quatre (vicesimo-quarto), trente-deux (tricesimo-segundo) : le livre ressemble alors à un livre de poche.

Afin de relier les cahiers dans le bon ordre, on y pratiquait des marques appelées "signatures", qui numérotaient les cahiers, souvent au verso du dernier folio d'un cahier, chaque cahier pouvant lui-même être numéroté. Puis, assez vite, les "réclames" ont remplacé les "signatures", en précisant à la fin d'un cahier les premiers mots du cahier suivant :
 
 
Si cet aspect des choses vous intéressent, vous pouvez lire l'article de Jean Irigoin , du Collège de France, intitulé : "Les cahiers des manuscrits grecs".
 

 
La reliure
 

 
Les cahiers ainsi assemblés (parfois appelés "corpus") sont mis sous presse (torcular) avant d'être cousus ensemble (ligare, parfois tabulare, contexere*), généralement sur des nerfs (corigia). Les nerfs sont des bandes de cuir que l'on tend perpendiculairement au dos de l'ouvrage et que l'on fixe, par des entailles (le "chant"), à des ais de bois (asseres, asseres querni pour Matthieu Paris, mais aussi tabula, postis) et enfin, que l'on bloque par une cheville.
 
Le haut et le bas des cahiers sont maintenus et protégés par une couture supplémentaire en cuir tressé ou en fils brodés, la "tranchefile", parfois recouverte d’une languette de peau, la "coiffe".

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Ceux qui cousent sont les ligatores (Du Cange, Wattenbach). Le substantif "ligatura", s'il désigne cette opération de couture, peut désigner aussi l'ensemble des opérations de reliure.

Enfin, on procédait à la couvrure même du livre, action qu'Alcuin nommait "involvere", mais que l'on désignait le plus souvent par "cooperire" ou "tegere" : Cassiodore, dans ses Institutiones, parle du "tegumentum" d'un livre. Cette couvrure est faite de peau, souvent de cervidés, jusqu'au XIIIe s. On parle de "maroquin", pour la peau de porc, et de "basane" pour celle de mouton. Parfois, une seconde peau (camisia, marsupium) se rajoute à la première, comme peut le faire une jaquette moderne, pour protéger d'avantage le livre.

Toutes sortes d'accessoires peuvent être ajoutés à la reliure, pour protéger l'ouvrage, rendre aisé sa consultation, ou encore, pour affirmer le caractère luxueux de l'ouvrage (or, argent, ivoire, pierres précieuses, etc.), justifié par le prestige de son commanditaire.

Les pièces métalliques, laiton pour les plus communs, parfois d'or ou d'argent, rendent évidemment la reliure plus solide. La reliure serrant l'arrière des cahiers, le livre a tendance à s'ouvrir de lui-même : c'est pour cela que le relieur dote de nombreux livres de fermoirs (clausurae, mais aussi fermalia, firmacula : un, deux, parfois quatre pour un seul ouvrage). Ils peuvent être constitués d’une simple bride de peau, lacée comme un soulier, ou alors d’une patte de métal articulée. A partir du XIIe siècle, on prit l'habitude de garnir les plats de boulons circulaires (orbicularia, umbilici) pour protéger la couvrure du frottement.

Pour faciliter la lecture, le relieur pouvait adjoindre des signets de ficelle ou de ruban de cuir (registrum ou... signacula)
 

Nous avons ainsi fini un tour d'horizon du livre de l'abbaye, de sa conception à sa réalisation. Il nous faut désormais nous occuper de sa conservation, au chapitre de LA BIBLIOTHEQUE de l'abbaye. Précisons que la culture des livres écrits au sein des scriptoria sera étudié dans ce même chapitre.
 
 


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