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Le reliquaire (raid de pirates normands) par Henri-Georges Charrier


Le reliquaire (raid de pirates normands)
par Henri-Georges Charrier (1859 - ????)
1910, huile sur toile, L. : 2,28 m x 1,33 m, sbd.


Œuvre d'un élève de J.-P. Laurens - qui ne laissa pas à la postérité de scènes aussi fameuses que celles de son maître - le tableau de H.-G. Charrier, envoyé au salon de 1910, représente un raid viking. Captifs et butin, au milieu duquel trône un reliquaire porté sur des brancards, sont ramenés aux navires tandis que la ville ou l'abbaye pillée brûle au loin. Devant une bannière, une tête coupée coiffée d'une mitre - l'abbé ou l'évêque - est portée au bout d'une lance.
Les costumes civils et guerriers sont tirés des répertoires publiés à la même époque et introduisent une confusion fréquente dans "l'iconographie viking" entre les soldats normands du 11e s. - cottes de mailles inspirées de la Tapisserie de Bayeux - et les guerriers vikings des siècles précédents.
Les navires des pillards sont quant à eux totalement invraisemblables et ne retiennent du bateau viking que la figure de proue traitée sans aucun souci des leçons qui pouvaient déjà être tirées de l'archéologie. Pourtant l'artiste connaît la Tapisserie de Bayeux puisqu'il a placé à la tête du mât d'un des navires l'emblème cruciforme arboré par le "navire amiral" de Guillaume le Conquérant.

 

Le tableau est mal documenté. Risque-t'on de confondre une scène des invasions vikings et un épisode de la Conquête de l'Angleterre ? On n'a pu rattacher l'anecdote représentée à aucun fait marquant des chroniques de l'une et l'autre période mais le thème du pillage et le massacre d'un ecclésiastique plaident cependant pour un méfait des pirates païens et non du duc chrétien ...La scène représentée pourrait alors évoquer le pillage de l'abbaye de Canterbury, et le meurtre de l'abbé par les Danois en 1012 (Guillaume de Jumièges), mais il peut aussi bien s'agir d'une scène imaginaire sur un thème à la mode.

 

1910, date retenue de ce tableau, est en effet un grand moment de la "vikingomanie", car on se représente, à tort, la Normandie éternellement préoccupée de ses origines scandinaves et prompte à célébrer une imagerie guerrière mettant en scène les farouches pirates du Nord.
En réalité l'explosion de cette imagerie devenue incontournable est rigoureusement datée au tournant du siècle autour des manifestations organisées par les sociétés savantes (les premières grandes fêtes normandes sont inaugurées à Rouen, en 1904 sous l'égide du Souvenir normand ... et des Normands de Paris) et s'affirme avec les grandes fêtes du Millénaire de la Normandie, à Rouen en 1911, à Bayeux en 1924, à Coutances en 1930.
Elle est aussi puissamment amplifiée par l'impact considérable des découvertes archéologiques scandinaves de tombes à bateau (bateaux de Gokstat, 1884, et d'Oseberg, 1904, etc.).

 

L'iconographie inlassablement ressassée par la suite à travers l'illustration de manuels scolaires, d'affiches, de publicités, etc. ... se met en place à cette époque.
Elle repose sur un corpus d'oeuvres relativement restreint parmi lesquelles on peut citer : un "Départ de la flotte normande pour l'Angleterre" (s.d.), par Albert Maignan (1845-1928) - Musée d'Eu - et "Les funérailles de Guillaume le Conquérant" (1876) , de Jean-Paul Laurens - Musée de Béziers. Mais ce sont là des sujets tournés autour du personnage de Guillaume le Conquérant.

 

Le plus représentatif des tableaux traitant les invasions normandes, et quasiment le seul montrant des Vikings, est le fameux "Pirates normands" d'Evariste Luminais - Musée de Moulins.
On pourrait citer aussi "Le comte Eudes défendant Paris ...", de Schnetz et "La Bataille de Saucourt-en-Vimeu ..." de Dassy, mais leur date - 1834-1836 et 1837 - et leur contexte - le programme iconographique de la galerie des batailles de Versailles - les distinguent du lot. Significativement, ces deux oeuvres montrent des combattants à pied, sans représentation du célèbre bateau viking. Le personnage principal en est le prince - Eudes ou Louis III - et non les barbares que rien ne permet d'identifier comme des guerriers scandinaves.

 

La redécouverte du tableau de Charrier - "Le reliquaire" - vient donc combler une lacune dans la rareté de ces modèles iconographiques en France (alors qu'ils sont naturellement abondants en Scandinavie à la même époque) et souligne l'apparente anomalie que constitue la quasi absence d'Suvres sur ce sujet dans les collections publiques normandes.

On ne peut certes rattacher le tableau de Charrier à une mouvance "militante" du régionalisme normand : il s'agit d'une Suvre de circonstance, utilisant le moyen âge comme référence iconographique au même titre que les oeuvres contemporaines de Laurens, Luminais ou Rochegrosse.
Mais une production hors du contexte régional n'est pas discriminante dans le cas de la référence au "mythe viking". Les travaux de Régis Boyer ont montré à quel point cette vision exaltée de l'histoire du haut moyen âge était partagée. Les Romantiques s'intéressent au sujet bien avant que les écrivains régionalistes ne s'en emparent.
L'intérêt du tableau de Charrier est en outre de révéler un modèle longtemps recherché d'une abondante iconographie surtout présente dans les manuels scolaires (voir les travaux d'Yves Gaulupeau) et de livrer un état de cette iconographie à un tournant entre la recherche d'une information historique "fiable" et la fantaisie débridée du mythe viking.

 

L'intérêt de cette Suvre restée inédite pour les collections du Musée de Normandie est donc essentiellement iconographique. Elle représente une pièce importante dans une enquête menée depuis plusieurs années sur l'iconographie du "mythe viking" dans le régionalisme normand, à la suite des travaux essentiellement littéraires conduits par Régis Boyer.
La collecte sur ce sujet a jusqu'ici essentiellement reposé sur des illustrations (affiches, revues, livres scolaires).
La découverte de ce tableau oublié et la rareté des oeuvres traitant le sujet dans les collections publiques fondent l'opportunité de l'acquisition.

 

Bibliographie :

Régis Boyer. - Le mythe viking dans les lettres françaises. - Paris, Ed. du Porte Glaive, 1986.

Dragons et Drakkars : le mythe viking de la Scandinavie à la Normandie. - Caen : APHAEN, 1996. (tableau de E. Charrier, p. 119)

Gaulupeau, Yves. - Nos ancêtres les Vikings : l'imagier scolaire des invasions normandes, XIXe-XXe s. - In : "Dragons et Drakkars ...", 1996, p. 85-124.

Levesque, Jean-Marie. - Le Mythe normand. - In : Les Normands, peuple d'Europe, catalogue de l'exposition Rome-Venise, 1994. - Edition française : Paris, Flammarion, 1995, p. 75-82.


Sources : http://www.ville-caen.fr/mdn/acquisitions99.htm