ENCYCLOPEDIE -DE--LA--LANGUE -FRANCAISE -ABBAYE -Lieux et vie de l'abbaye
L'habit du moine Du IXe au Xe siècles Entre les guillemets, extraits de Histoire du costume en France, de Jules Quicherat (1875).
- Entre les crochets, notes de l'encyclopédiste.
- Les synodes d'Aix-la-Chapelle de 816 et 817 sont le grand tournant de la vie monastique occidentale: voir Benoît d'Aniane. L'abbé réformateur, estimant que la règle bénédictine n'est plus adaptée à son temps, commente et réinterprète chaque chapitre de la règle. Ainsi, s'agissant de l'habit du moine, Benoît d'Aniane augmente généreusement la fruste garde-robe de son prédécesseur, sans dire un mot ni sur la couleur des vêtements, ni sur la nature des étoffes, se bornant à recommander qu'elles ne soient ni somptueuses, ni grossières.
- " Voici quelle dut être la garde-robe du religieux. Deux chemises ou robes de dessous, deux tuniques, deux cuculles mesurant chacun deux coudées ou 90 centimètres, deux chapes, quatre paires de chaussons, deux paires de braies, un roque, deux pelissons talaires, deux paires de bandelettes à envelopper les jambes, une paire de gants pour l'été et une de moufles pour l'hiver, deux paires de souliers pour le jour, deux paires de semelles à cordons pour se relever la nuit en été, et deux paires de socques à semelles de bois pour le même usage en hiver, du savon et de l'huile de toilette en quantité suffisante".
- Détaillons maintenant cette garde-robe :
- "Le mot chemise, dans ce texte, est une traduction de camisia, qui était en fait une tunique plus courte et plus fine que la tunica dont il a déjà été question. Si camisia est bien à l'origine de notre chemise, ce mot ne désigne pas du tout le même vêtement, la chemise dérivant plutôt de l'ancien chainse.
- Il a déjà été question de la cuculle [la coule], mais entre-temps, sa forme avait évolué. Il faut se représenter les cuculles consignées dans cette énumération comme des voiles à capuchon qui s'affublaient sur la poitrine, et qui prenaient ainsi l'apparence des anciens bardocuculles (bardocucullus), cape illyrienne ou bardaïque, qui était un vaste collet à capuchon. Malgré la précaution qu'on eut d'en régler la longueur, les générations suivantes réduisirent cette pièce du vêtement à une coiffe qui n'avait plus d'autres appendices qu'une queue et deux pattes plus ou moins longues. Ainsi sont figurés certains capuchons monastiques recueillis par Mabillon dans les miniatures du dixième et du commencement du onzième siècle, et c'est évidemment à cette coiffure que se rapportent les plaintes proférées au concile de Laon, en 972, contre les bonnets à oreilles, que les moines d'alors portaient au mépris de la règle : 1 2
- 1. Abbé bénédictin avec la cuculle réglementaire. Mabillon, Annales ordinis sancti Benedicti, t.I)
- 2. Bénédictin avec la cuculle réduite.
- Ce vêtement a franchi le temps avec succès et il est encore le signe distinctif de bien des communautés monastiques, se distinguant chez les unes et les autres par quelques détails : coule indépendante, comme un bonnet, chez les Augustiniens; coule plus petite que la moyenne chez les Franciscains, par exemple. Cucullata congregatio est d'ailleurs un nom parfois donné aux ordres monastiques chrétiens en général. Précisons enfin que la coule est véritablement le symbole d'appartenance à la communauté. En effet, le novice n'a pas le droit de la porter encore.
- Quant à la chape, les chroniques des abbayes font foi que ces établissements possédaient, au neuvième siècle, des chapes et des roques [ le roque est défini plus loin] de toutes couleurs en soie ou en laine. Il y avait à Saint-Wandrille une chape de peau de loutre bordée de franges, don du célèbre Anségise, qui gouverna cette maison sous Louis le Débonnaire. Mais ces habits somptueux n'étaient qu'à l'usage de l'abbé, et seulement pour les jours de fête. C'est sous les Carolingiens que le luxe fait irruption dans le costume religieux. Les Barbares étant très croyants, ils estimaient indigne des serviteurs de Dieu qu'ils portassent des vêtements aux couleurs douteuses, fades et respirant l'indigence. L'Eglise, miroir de Dieu sur terre devait au contraire magnifier la présence du Créateur, par autant de couleurs que d'étoffes éclatantes".
- Notons enfin, par curiosité historique, que "les Capétiens tirent leur nom d'Hugues Capet, ainsi surnommé probablement en raison de la chape d'abbé qu'il avait le droit de porter en tant que propriétaire de nombreuses abbayes.
- Le plus ancien témoignage de chausson monastique est celui de saint Germain, abbé de Moutier-Grandval, nous l'avons dit. Les chaussons formaient avec les bandelettes l'habillement des jambes :
- Seigneur franc portant des bandelettes. D'après la bible de saint Martin de Tours, à la Bibliothèque Nationale (Louandre, Les arts somptuaires, tome I).
- Sous les Carolingiens, nous connaissons une prescription canonique de 789 relative aux chaussures, qui enjoint aux clercs de se chausser "à la romaine". Il est curieux de voir des chaussons attribués indistinctement à tous les moines en 817, lorsqu'en 755 il ne fallut rien moins que le crédit de Pépin 1e Bref en cour de Rome, pour faire obtenir la permission de porter cette chaussure à Fulrade, abbé de Saint-Denis. Cette concession fait l'objet d'un bref du pape Étienne III, qui autorisa en même temps cet abbé Fulrade à se servir de souliers découverts, et à mettre une housse par-dessus sa selle, lorsqu'il irait à cheval. Tout cela constituait aux yeux du pontife un privilège si exorbitant, qu'il y mit pour condition que les successeurs de l'heureux abbé n'en hériteraient pas, et que ces objets seraient, inhumés avec lui à sa mort, de peur que s'ils étaient conservés, la vue n'en donnât le désir à d'autres".
- Les braies sont le vêtement celtique (et partant, gaulois) par excellence, qui est tout simplement l'ancêtre de notre pantalon, tenu comme lui par une ceinture glissée à travers des passants :
- Braies de la tourbière de Thorsbjerg, dans le Jutland, découvert par le savant danois Engelhardt au XIXe siècle.
- "Le roque ne ressemblait que par sa dimension au justaucorps ainsi nommé dans le costume civil. C'était une pièce d'apparat pour assister aux offices, une sorte de mosette qui admettait la décoration d'un large clave sur le devant :
- Bénédictin en roque. Mabillon, op.cit.
- Quant à la pelisse (ou pelisson) du moine, c'était une robe fourrée, dont la longueur est exprimée ici par l'épithète talaire. Les Francs le mettaient par-dessus leur tunique, tel un long gilet de fourrure, que dans leur langue ils appelaient rock. Le moine de Saint-Gall, biographe de Charlemagne, a désigné ce vêtement sous le nom de pellicium, dont le dérivé français fut pelisson. C'était un vêtement nécessaire aux moines médiévaux, les abbayes (comme les autres demeures, d'ailleurs) n'ayant que très peu de lieux chauffés. Saint Pierre le Vénérable devra intervenir à ce sujet, pour freiner le luxe de plus en plus attaché à ces fourrures : il interdit les fourrures trop dispendieuses, comme celle de chat, par exemple, et conseilla celles de putois ou de vison, ou les peaux de chèvre ou d'agneau. A Cluny, les pelisses étaient renouvelées tous les deux ans, à la Saint-Michel.
- Le gant apparaît pour la première fois chez les Gallo-Romains de l'époque barbare. Bien qu'il ne semble pas être mentionné pour l'usage des moines avant la codification de Benoît d'Aniane, il n'y a pas de raison qu'il ne l'ait pas été utilisé dès son usage commun. "L'antiquité classique ne connut en ce genre que le ceste, imaginé pour la lutte à coups de poing, et une sorte de moufles, utile aux ouvriers de plusieurs industries. Tous les indigènes de la Gaule portaient des gants au sixième siècle, les uns pour la parade, les autres pour le travail, et le nom, sauf une légère différence, était déjà ce qu'il est aujourd'hui. On disait ouants ou wants. Cet objet, d'origine persane, semble avoir été connu déjà des Celtes. Une tradition du moyen âge en attribuait l'invention à Yvain de Galles, l'un de ces héros, dont la renommée passa de la Cambrie en France au douzième siècle. A l'époque Carolingienne, des chroniques d'églises mentionnent des gants de luxe pour les prélats, évêques ou abbés. Il paraît probable qu'ils n'étaient pas portés pendant les offices, mais à l'extérieur, car de nombreux témoignages considèrent le port des gants à l'église inconvenant.
Les Tudesques paraissent s'être fort bien accommodés des gants. Ils avaient une telle inclination à les voler, que ce délit est prévu par un article spécial de la Loi salique. N'ayant pas de mot dans leur langue pour désigner cette chose, ils l'appelèrent souliers de mains, hand-schuh. C'est le nom que les gants portent encore en allemand".- Précisons tout de même que la garde-robe "officielle" détaillée ici n'est portée uniformément, ni immédiatement après les synodes d'Aix-la-Chapelle, ni dans toutes les abbayes bénédictines. Certains exemples montrent, qu'au contraire, beaucoup de monastères conservent longtemps leurs coutumes, qu'elles soient vestimentaires ou autres, d'ailleurs.
Ainsi, si Benoît d'Aniane ne fait pas entrer le scapulaire dans la garde-robe du moine (malgré la prescription de Benoît de Nursie), certains récits de profession du IXe siècle le mentionnent, d'autres non. Par ailleurs, le mot "scapulare" ne fait pas partie du vocabulaire médiéval, à l'exception de l'Italie, d'où vient le père des bénédictins, justement. Certains auteurs modernes l'assimilent même à la coule, jusqu'à ce qu'il devienne une pièce importante du costume monacal, et encore plus du costume liturgique, sous le nom du scapulaire, mais sous des formes très différentes. Il se généralise avec l'apparition des ordres mendiants, mais les Franciscains et les chanoines augustiniens ne l'adopteront pas. Il était alors porté sur la tunique, et recouvert de la chape.- Le cilice ne fait pas non plus partie du costume établi par Benoît d'Aniane. Pourtant, il continue d'être porté en bien des endroits. Le témoignage le plus intéressant est peut-être celui d'Ulrich, né en 890, appartenant à l'une des plus anciennes et des plus nobles familles de Souabe. Il était le neveu de saint Adalbéron, évêque d'Augsbourg. Dès l'âge de sept ans, il est confié aux moines de l'abbaye de Saint-Gall et y apprend à lire et à écrire. Il devient prêtre et chanoine à 32 ans. Rapidement célèbre pour ses sermons décrivant les châtiments de l'enfer et les félicités du ciel, il remplacera son oncle à la mort de celui-ci. Lors des invasions hongroises, les monastères et les villages de la région sont détruits. Ulric réconforte le peuple et conduit lui-même les troupes de manière à permettre à l'empereur Othon de chasser l'envahisseur. Ulric deviendra ainsi l'ami et le protégé de l'empereur. Au moment de mourir en 973, il demande à être étendu les bras en croix sur la cendre, revêtu de son cilice. Cette tendance mortificatrice n'est cependant pas une prescription de l'Eglise, qui jetait souvent sur elle un oeil méfiant. Les moines de l'époque médiévale étaient simplement tenus de ne pas porter de linge de toile, susceptibles d'éveiller les sens.
- Sources :
- http://perso.wanadoo.fr/belloc/rb_chp_58.htm (règle saint benoit)
- http://www.osb.org/gen/habit.html (habit bénédictin)
- http://www.personal.utulsa.edu/~marc-carlson/shoe/ROMSHOE1.HTM (chaussures romaines)
- http://myron.sjsu.edu/romeweb/ROMARMY/reenact/a014.htm (calige)
- http://www.houssard-sa.fr/prodrel/vetem/bigphot/bca794.jpg (scapulaire)
- http://www.ccel.org/fathers/NPNF2-11/jcassian/instnote.html (cassien - commentaires ouvrages)
- http://www.ccel.org/w/wace/biodict/htm/0411=399.htm (habit..gratianus)
- http://www.ccel.org/s/schaff/history/3_ch07.htm (histoire du christianisme)
- http://www.catholicherald.com/saunders/99ws/ws991028.htm ( scapulaire - histoire)
- http://www.le-combat-catholique.com/main3d2.htm (amict)
- www.le-combat-catholique.com/chasuble.htm (chasuble)
- http://hypo.ge-dip.etat-ge.ch/www/cliotexte/html/eglise.paix.dieu.html (description chartreux)
- http://www.florilegium.org/files/RELIGION/monks-msg.html (habits bénéd - newsletter)
- - Histoire du costume en France, de Jules Quicherat (1875)
- - Encyclopédie illustrée de la Mode, par Ludmila Kybalová, Olga Herbenová et Milena Lamarová, éditions Gründ (1970)
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