ENCYCLOPEDIE -DE--LA--LANGUE -FRANCAISE

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-Mélanie La Jeune

(383-439)

éléments de biographie


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Petite fille de Mélanie l’Ancienne et membre de la gens Valerii par son père Valerius Publicola, Mélania, née en 383, avait pour mère Albina la Jeune de la puissante famille païenne des Caeionii mais qui comptait déjà parmi ses membres aînés Marcella et Pammachius ainsi que Laeta, la cousine germaine d’Albina.

Melania n’en était pas moins l’arrière-petite fille de Lolliana, l’une des dernières grandes prêtresses d’Isis à Rome, et la descendante d’une lignée ininterrompue de préfets urbains jusqu’à son grand-père paternel qui exerça cette magistrature sous Julien 361-362. Elle avait de qui tenir.

Fille unique, héritière d’une des plus grosses fortunes de l’empire, malgré son désir de consécration religieuse, elle fut donnée en mariage par ses parents à un cousin, Valerius Pinianus, fils de Valerius Seuerus, préfet de Rome en 382. Le mariage eut lieu en 397 : elle a treize ans, lui, dix-sept. Donnant à son époux deux enfants pour satisfaire aux exigences et au prestige de la gens - deux enfants qui mourront en bas-âge, Mélanie parvient à convertir en 404 son époux à la continence et à la vie monastique après avoir reçu l’appui de sa grand-mère Mélania qui vint peut-être spécialement à Rome pour cela : Elle dit alors à son mari : « Si tu acceptes de vivre avec moi dans la chasteté selon la parole du Sagesse, je te reconnais pour maître et seigneur de ma vie ; mais si cela te paraît trop lourd, parce que tu es jeune, prends mes biens et rends-moi ma liberté : que je puisse accomplir mon désir qui est conforme à la volonté de Dieu, et être la digne héritière de la ferveur de ma grand-mère dont je porte le nom. Car si Dieu voulait que nous ayons des enfants, il ne m’aurait pas pris avant l’âge ceux que j’ai mis au monde ». Ils en discutèrent longtemps ; enfin Dieu eut compassion du jeune homme et lui inspira un ardent désir de renoncer au monde. Ainsi s’accomplit pour eux ce qui est écrit : « Et que sais-tu, femme, si ta sauveras ton mari » [1 Co 7, 16]. Donc mariée à treize ans et ayant vécu sept ans dans le mariage, Mélanie renonça au monde à vingt ans (Palladius, His. Laus., 61 ; trad. Carmélites de Mazille).

Désormais, Pinianus sera son frère. Quoique cette décision ne fût jamais entérinée par son propre père Publicola (mais il ne devait pas tarder à mourir en 405/6), Mélanie s’installe dans un domaine de Campanie où elle regroupe un groupe de vierges consacrées. C’est à cette époque (404-5) qu’elle fait connaissance de Palladius d’Hélénopolis, un ami de sa grand-mère, venu à Rome présenter la défense de Jean Chrysostome à l’évêque de Rome, Innocent.

Après la mort de Publicola, la rupture du jeune couple avec le monde sera consommée par la mise en vente de leur immense patrimoine foncier qui allait de la Bretagne à la Mauritanie en passant par l’Espagne et la Sicile. Leur saint propos va se heurter pourtant à deux obstacles : d’une part, leurs esclaves craignent de ne pas pouvoir survivre comme affranchis alors qu’ils étaient bien traités par leurs maîtres ; d’autre part, le sénat romain refuse de voir les signes mêmes de son pouvoir dilapidés - la fortune d’un sénateur était en gage au sénat comme celle d’un curial à la curie - et il soutinrent Seuerus, le frère de Pinianus qui faisait obstruction à la vente. Mélanie ira alors solliciter l’intervention de la princesse Serena, la nièce de l’empereur Théodose I° pour pouvoir mener à terme son projet (en 408, mais avant l’été qui sera marqué par l’assassinat de Stilichon, l’époux de Serena). La « reine » écrivît à son cousin Honorius qui permit alors que les biens de Mélanie et Pinianus fussent vendus mais la somptueuse domus du Celius ne trouva pas d’acquéreur, « étant donné que personne parmi les sénateurs de Rome n’était en mesure d’acheter la maison du bienheureux Pinianus » (après le passage des Barbares, il n’en resta que des monceaux calcinés qu’ils cédèrent pour trois fois rien).

Il faudra des années au jeunes couple pour liquider leurs propriétés qui se répartissaient sur les trois continents. Retirés en 406 dans une somptueuse villa située sur la Voie Appia, c’est là qu’ils procédèrent à l’affranchissement de 8 000 esclaves qui ne constituaient pas la totalité de leurs serviteurs (ceux qui refusèrent l’affranchissement furent cédés à Seuerus), puis ils abandonnèrent la villa suburbaine où ils menaient depuis deux ans une vie monastique pour rejoindre la Sicile, alors qu’Alaric paraissait sous les murs de Rome fin 408, dévastant ces domaines que les sénateurs avaient tant jalousement gardés. Mélanie continue à s’adonner avec largesse à la charité : Elle envoya par mer en Egypte et en Thébaïde dix mille pièces de monnaie, à Antioche et à sa région dix mille pièces, en Palestine quinze mille pièces, aux églises des îles et aux condamnés à la relégation dix mille pièces, et elle fournissait semblablement aux églises d’Occident par elle-même. Tout cela, et son quadruple, elle l’arracha, pour ainsi dire, de la bouche d’Alaric (Palladius, His. Laus., 61), allant même acheter des îles pour y établir des monastères.

En Sicile où meurt Rufin, le protégé de son aïeule, ils s’arrêtent dans un de leurs grands domaines près du détroit de Messine avec jardins, piscine, terrain de chasse et plus de 480 esclaves, Mélanie racontera : Nous avions là une propriété remarquable, et, dans cette propriété, un bain dépassant tout ce qu’il y a de plus splendide au monde. D’un côté, en effet, il y avait la mer ; de l’autre un bois d’essences variées où paissaient des sangliers et des cerfs, des daims et d’autres gibiers : de la piscine, en se baignant, on pouvait apercevoir d’un côté les bateaux poussés par le vent, de l’autre les bêtes sauvages dans le bois. Le diable, trouvant donc encore là un prétexte favorable, me mettait sous les yeux, disait-elle, la bigarrure de ces marbres et le revenu innombrable du domaine lui-même (Gérontius, Vita Melaniae , 18 ; trad. D. Gorce).

Le biographe de Mélanie note cependant que les revenus de Pinianus, à eux seuls, s’élevaient à 120 000 solidi auxquels il faut ajouter la part de son épouse : leurs revenus égalaient ceux des familles sénatoriales les plus riches de l’empire (qui pouvaient être estimés à 288 000 solidi selon Olympiodore). A l’automne 410, s’arrachant à la Sicile devant l’avancée du péril goth, et après avoir recherché en vain à se rendre auprès de Paulin de Nole (ils firent une escale forcée dans l’île de Lipari où ils vinrent en aide à l’évêque local aux prises avec les barbares), Pinianus et Mélanie parviennent en Afrique où ils se fixent avec Albina à Thagaste, à l’hiver 410-411, Thagaste, petite ville dont Alypius, l’ami d’Augustin, est évêque.

Ils en profitent pour se défaire de leurs propriétés africaines et reçurent cet avis de l’évêque d’Hippone et d’Aurelius de Carthage : « L'argent que vous donnez maintenant au monastère sera dépensé en peu de temps. Mais, si vous voulez laisser une mémoire ineffaçable au ciel et sur la terre, faites don à chaque monastère d’un local et d’un revenu ». Accueillant pleinement l’excellent avis des saints, ils agirent sur leurs conseils. Eux-mêmes, s’avançant désormais vers la perfection, s’efforçaient de s’accoutumer à la pauvreté totale, dans le logement comme dans le régime (Gérontius, Vie de Sainte Mélanie, 20).

A Thagaste, durant sept ans, Mélanie parfait sa connaissance de l’Ecriture Sainte auprès d’Alypius, s’initie à la littérature monastique orientale, fonde deux grands monastères (celui des hommes comprend quatre-vingt frères, celui des femmes, cent trente vierges), comble de ses offrandes l’Eglise locale, ce qui n’est pas sans susciter des envies : au cours d’une échauffourée à Hippone, Pinianus est obligé de jurer qu’il n’acceptera le ministère presbytéral que dans cette cité. Moins émotionnée que sa mère Albina par les pratiques expéditives des diocésains d’Augustin, Mélanie continue à pratiquer une ascèse de plus en plus rigoureuse toute en guidant prudemment ses compagnes sur la voie du renoncement : Elle écrivait avec beaucoup de talent et sans faute sur de petits cahiers ; elle s’était fixé à elle-même combien elle devait écrire par jour, et combien elle devait lire de livres canoniques, et de même pour les recueils d'homélies. Puis, une fois rassasiée, comme par manière de dessert, elle parcourait la vie des Pères. Elle dormait ensuite pendant deux heures environ, puis, aussitôt éveillée, elle réveillait aussi les vierges qui menaient avec elle la vie ascétique, en disant : « De même que le bienheureux Abel et chacun des saints offraient à Dieu les prémices, ainsi nous aussi employons les prémices de la nuit à glorifier Dieu. Car nous devons prier et veiller à toute heure comme il est écrit parce que nous ne savons pas à quelle heure viendra le voleur ». Elle donna des règles strictes aux sœurs ses compagnes, pour que ne sorte de leur bouche ni parole inutile, ni rire immodéré. Avec soin elle s’enquérait même de leurs réflexions, ne permettant pas que la moindre pensée impure habitât en elles (Gérontius, Vie de Sainte Mélanie, 23).

Mais il lui faut aller plus loin dans la suite du Christ : en 417, Mélanie, suivant les traces de sa grand-mère, met le cap sur la Terre Sainte avec son époux et sa mère non sans avoir fait une escale à Alexandrie où elle est l’hôte de l’évêque Cyrille. Elle touche enfin le port, et vivant dans la plus extrême pauvreté, elle s’installe sous les portiques de l’ Anastasis à Jérusalem où elle reste de longues heures à contempler le rocher de la Croix. A Jérusalem, elle retrouve sa cousine Paula qui vit auprès de Jérôme à Bethléem, mais aussi le moine Pelage qui l’informe de son désir de rester dans la communion catholique : Mélanie et les siens en réfèrent à Augustin qui leur répond après l’été 418 par le double traité De gratia et De peccato originali.

Après 419, ayant reçu de l’argent de l’Espagne à nouveau pacifiée, Mélanie se rend en Egypte pour y faire l’aumône - elle sera accueillie tant à Nitrie qu’aux Cellules - et demande avant de partir à sa mère de lui construire une cellule sur le mont des Oliviers. Là, à son retour, elle va vivre en recluse durant quatorze années en compagnie d’une vierge placée à son service, ne recevant qu’Albina, Pinianus ou sa cousine Paula.

A la mort de sa mère (en 431), elle fonde un monastère pour lequel Pinianus réunit quatre-vingt-dix vierges et dont elle ne veut pas exercer pas le supériorat, choisissant de se faire la servante de toutes avec sollicitude et tendresse, service qui prend tout particulièrement la forme de l’enseignement ascétique. Toujours en 431, elle fonde l’Apostaleion , toujours sur le Mont des Oliviers Oliviers (près de la « Grotte des Enseignements »). C’est là qu’elle va inhumer Pinianus (en 432) dans le sanctuaire à peine achevé et se retirer pour une période de deuil de quatre années. Par la suite, elle associa à ce sanctuaire un monastère d’hommes pour qu’y soit assurée une psalmodie perpétuelle sous la direction du moine Gérontius (son futur biographe). C’est là encore qu’elle accueillit après 436 le prince géorgien, Nabarnugi, plus connu sous le nom de Pierre l’Ibérien (tous deux seront les grands animateurs de la contestation monophysite après 451).

Elle ne sortira qu’exceptionnellement de sa réclusion, comme lorsqu’elle se rendit à Constantinople fin 436 y rencontrer son oncle maternel Volusianus, préfet de Rome en 428-9. Encore païen, il était venu en ambassade de Rome pour négocier le mariage d’Eudoxie , la fille de Théodose II, avec Valentinien III. Il s’agissait pour Mélanie de profiter de l’occasion pour le conduire au baptême. A Constantinople, Mélanie repoussera les erreurs de Nestorius, comme déjà en 418 elle avait fait appel à Augustin pour confondre Pélage. Gravement malade, elle redoute que son oncle, alité également ne meure sans recevoir le sceau du salut. A l’annonce du baptême de Volusianus, elle se rétablit miraculeusement, et lui meurt le 6 janvier 437. Demeurant le temps du deuil à Constantinople (les 40 jours coutumiers), Mélanie en profite pour persuader l’impératrice Eudocia d’accomplir le pèlerinage en Terre Sainte, puis elle reprend la route en février malgré la neige, car elle veut rejoindre au plus tôt Jérusalem pour les célébrations de la Semaine sainte (elle sera de retour une semaine avant Pâques). A l’annonce de la venue de l’impératrice Eudocie (en 438) qui répond à son invitation, Mélanie part à sa rencontre qui se fit à Sidon et elle l’accompagne jusqu’à Jérusalem où elle l’accueillit dans sa propre communauté. A cette occasion, Cyrille d’Alexandrie vint à Jérusalem et dédicaça les sanctuaires fondés par Mélanie, l’église Saint-Etienne et l’oratoire élevé sur le lieu de l’Ascension (16 mai 438).

Pressentant sa fin proche, elle désira participer aux fêtes de la Nativité avec sa cousine Paula à Béthléem. Elle devait mourir peu de temps après le 31 décembre 439 dans l’oratoire du monastère où elle s’était faite transporter. Sa biographie (rédigée fin 452-453) est due au prêtre Gérontius qui, après le concile de Chalcédoine en 451, se fit le défenseur acharné des thèses monophysites, ayant même gagné un temps à sa cause l’impératrice Eudocie, exilée entre temps à Jérusalem. Gérontius « avait succédé à la bienheureuse… l’archimandrite qui, pendant quarante-cinq ans, avait gouverné ses monastères » (Cyrille de Scythopolis, Vie de saint Euthyme, 27 et 45).