- Les remèdes sont présentés dans différents récipients qui seront examinés aux chapitres des pots à pharmacie, alors que dans l'arrière-boutique, réside la partie cachée, voire secrète, de notre boutiquier, le petit laboratoire où il concocte et invente parfois des recettes médicinales, pour le meilleur et pour le pire de ceux ou celles à qui elles sont destinées. On y trouve par ailleurs divers instruments, dont le plus emblématique est l'alambic, bien sûr. S'il ne l'est pas autant pour notre apothicaire que pour l'alchimiste, il n'en est pas moins utile pour concocter les distillats médicamenteux (alcool, eau-de-vie, vinaigre (acetum), etc.). Précisons ici que plus le temps avancera, plus l'apothicaire-pharmacien profitera de l'avancée des sciences de son temps et proposera au patient des instruments nécessaires aux soins médicaux. Il ne s'agit pas d'examiner ici cette panoplie de plus en plus volumineuse, mais seulement d'apprécier le coeur du métier (ou de l'office, pour un monastère) d'apothicaire.
- LA DISTILLATION
- Le terme "distiller" apparaît dans les textes au XIIe siècle, du latin distillare, altération de destillare : goutter, tomber goutte à goutte (stilla = goutte). C'est à la même époque que l'Occident médiéval découvre (ou redécouvre) la distillation. Alambic (1265) vient de l'espagnol alambique, lui-même de l'arabe al-ambiq (al-anbiq, el-inbiq), ce dernier tiré du grec ambix, par lequel on désignait un vase à petite ouverture.
- Il existait deux types de distillation, à l'eau (hydraulique) ou à l'alcool, que n'ont sans doute pas connu les Anciens, mais développée par les médecins-alchimistes en terre d'Islam, le premier paraissant avoir été Abulcasis : voir plus loin
- La distillation la plus classique est la distillation per ascensum (la vapeur s'élève), mais les Anciens connaissaient aussi la distillation per descensum.
- "Le principe de la distillation per ascensum (par élévation de vapeur) est relativement simple. Concrètement la matière à distiller est mise dans un vase appelé cucurbite au dessus dun fourneau. Parfois on utilise un bassin intermédiaire pour chauffer la cucurbite au bain-marie ou au bain de sable. Sur la cucurbite, on place un chapiteau en forme de cloche sur les parois internes duquel les vapeurs viennent se condenser. Sécoulant le long des parois du chapiteau, le distillat est retenu par une gouttière annulaire menant à un bec de décharge tubulaire. Le bec conduit le distillat vers un réceptacle extérieur. En conclusion, trois récipients différents composent, au minimum, un alambic : la cucurbite, le chapiteau et le réceptacle. À ces trois éléments peuvent sajouter également le fourneau et un bassin. Les trois parties essentielles de lalambic sont fermées afin quaucune vapeur ne séchappe par les jointures. Lappareil est en effet rendu hermétique au moyen dun enduit, appelé lut, composé le plus souvent dargile mêlée à dautres substances comme du crin ou des matières végétales finement hachées. Pour la distillation, le lut peut également être composé dune pâte faite de farine, deau et de blanc doeuf. Lalambic peut être en céramique, comme ici à Montbéliard, en verre ou en métal comme lindiquent les inventaires
après décès."- extrait de : http://www.ucl.ac.uk/archaeology/staff/profiles/martinon/Thomas%20et%20al%202006%20Montbeliard.pdf
- Si la distillation est connue de longue date, par exemple des Grecs, la plupart des spécialistes pensent que l'alambic (parfois écrit alembic) était inconnu des Anciens et avancent que la distillation se pratiquait "dans un vase en argile sur lequel sont posées des traverses de bois recouvertes de plusieurs épaisseurs de laine, dans laquelle viennent se condenser les vapeurs et que l'on exprime pour en recueillir le distillat; on laisse décanter celui-ci par le repos afin de séparer l'eau distillée de l'huile essentielle plus légère qui monte à la surface."
- extrait de : http://www.oldcook.com/distillation.htm
- C'est aller peut-être un peu vite en besogne et négliger quelques témoignages qui doivent interpeller le chercheur. Ce n'est pas le sujet ici, mais, que dire de cet étonnant instrument trouvé à Taxila au Pakistan ? (image 4). Que dire, surtout, de tous les appareils grecs étudiés par Marcelin Berthelot (Introduction à l'étude de la chimie des Anciens et du Moyen Age, 1889) et qui ressemblent comme des frères aux alambics que nous connaissons, et que le chimiste nomme comme tels. Le fait qu'ils proviennent de manuscrits médiévaux ne sont pas un problème en soi. Que ce soit le manuscrit de Saint-Marc (XIe siècle), les manuscrit 2325 (XIIIe siècle) ou 2327 (XVe siècle) de la Bibliothèque nationale, ils représentent des appareils décrits dans d'antiques manuscrits et la meilleure preuve est celle de l'alambic de Synésius, décrit au IVe siècle où on reconnaît toutes les parties de l'alambic arabe primitif (image 5).
- Il n'en reste pas moins que l'appareil portant le nom de ambiq apparaît pour la première fois dans les manuscrits arabes dès le IXe siècle, et on fait souvent passer Abu Al-Qasim (Aboulcassis, Abulcasis, Albucasis) pour son inventeur, mais l'instrument serait expressément cité avant lui, dans des manuscrits du IXe siècle. Quoi qu'il en soit, l'alambic a permis à la science des pays islamiques, surtout en Al-Andalûs, de développer avec une grande maîtrise la distillations des essences, des parfums et des alcools, en particulier. Il se généralisera en France au XVe siècle, bien que les premières recettes de distillats, eaux ou essences distillées datent du XIIe s. (Mappa Clavicula , Compendium Magistri Salerni, Chirurgie de Roger), les Aqua Vitae (Eau de Vie) ayant été mises au point par des alchimistes européens au XIIIe s et considérées d'abord comme des élixirs de longue vie. L'apothicaire pouvait donc vous fournir ainsi de l'eau, des huiles essentielles aux multiples arômes, de fleurs surtout, roses, lavande, etc. des résines (camphre, cannelle, girofle, etc.) ou encore des espèces d'alcools, et si cela ne vous soignait pas, c'était souvent agréable à boire. Ajoutons qu'un certain nombre d'alcools du moine apothicaire seront, avec l'évolution des sociétés, de moins en moins des médicaments que des boissons à part entière, songeons à la Bénédictine, à la Chartreuse, par exemple, dont nous parlerons plus amplement dans un autre article.
- Par ailleurs, l'apothicaire utilise ou vend divers instruments. Les quatre instruments principaux que l'apothicaire utilise dans sa boutique sont la balance (avec page précédente : images a, d, e, m) le pilon avec le mortier (du latin mortarium, v. 1190, avec page précédente : images a, f à k), emblématiques de la profession, et la spatule, élément qui ne figure guère dans les représentations (peut-être image f).
- spatules de pharmacien, Pompéi, Maison du Chirurgien, Ier siècle avant notre ère.
- Le broyage des médicaments était souvent laissé, chez l'apothicaire civil du moins, à un jeune assistant, qu'on appellera parfois pileur, pileur d'épices, pileur de poivre, qui était parfois un sobriquet désignant l'apothicaire. Les apothicaireries possédaient diverses tailles de mortiers et de pilons (ou pistils, de pistillus, pilon en latin) selon la grosseur, mais aussi la dureté, des matières premières à réduire :
k -l-- -l2
Mortiers du couvent des Carmes à Bordeaux- k. mortier de bronze fondu par Turmeau en 1784, marqué du blason de l'ordre des Carmes.
- l. mortier de marbre, XVIIIe-XIXe s.
- l2. pistil en ivoire massif de pharmacie, qui s'utilisait sur une plaque de marbre.
- Hauteur 14,2 cm, Ø 8,8 cm.
- La balance est plus emblématique de l'apothicaire lui-même, cette fois dans la noblesse et le professionnalisme du rôle. La balance à fléaux, connue déjà des Egyptiens, par exemple, est la plus couramment utilisée dans le commerce médiéval (images a, d, e, k). Les poids utilisés, par contre sont variés : jetons (ou "token", image m4) , médailles, pièces (image m3), surtout :
- L'apothicairerie abrite aussi des instruments thérapeutiques, ceux pour la saignée ou pour les purgations, essentiellement. On y trouve donc des pots en verre pour transporter les sangsues, pour recueillir le sang, des lancettes, des ventouses, etc., des instruments de chirurgie parfois, voir LA SAIGNEE. On trouve aussi le nécessaire aux lavements, appelés clystères, bien cachés derrière des placards : voir LA PURGATION. Un petit coin de l'apothicairerie appelé emplâtrier contenait le matériel nécessaire pour pour réaliser cataplasmes, compresses et autres emplâtres (latin emplastrum [Pline, Histoire NAturelle XVII,121] du grec emplâtre nom masculin (latin emplastrum, du grec emplastron, de eplassein, modeler) qui sont des préparations médicinales adhésives qu'on applique à même la peau ou au préalable sur des bandes de tissu : les débuts du sparadrap, du latin sparadrapum, de spargere, étendre, et drapum, le drap, qui ne ressemble pas bien sûr aux jolis adhésifs en couleur que nous mettons sur les bobos !
- Signalons un appareil conçu pour la fabrication des pilules, un pilulier. Dans cette acception, le mot ne semble apparaître que vers 1763, mais l'objet serait peut-être né un siècle avant.
- pilulier officinal de l'époque victorienne ("pill-roller"), XIXe s., laiton et acajou, fabrication S. Maw et fils et Thomson.
- "Pendant la fabrication des pilules, on obtient une «pâte » : la masse pilulaire. Elle est alors roulée sur la planchette du pilulier et divisée en petits fragments. Les fragments sont ensuite arrondis en les roulant entre le pouce et lindex, puis entre une surface plane et un disque de bois. Les petites sphères sont séchées et deviennent très dures. Les pilules ne sont plus utilisées, car les sphères obtenues sont très dures ce qui rend leur dissolution difficile, ce qui entraîne un défaut de libération du PA. Les grosses pilules sont appelées bols, alors que les petites pilules sont appelées granules."
Tardivement, peut-être, on trouvera chez l'apothicaire devenu pharmacien, un instrument pratique, le coupe-racines (mot en usage au XIXe s.) :
- Ou encore un tamis à fabriquer des pâtes médicinales en tablettes, dont on réduit d'abord la matière en poudre avec un tamis :
- tamis officinal, Angleterre, fin XIXe-début XXe.
- Appelé "searce" sorte de tamis (sieve)
- Signalons que les apothicaireries des Hôtels-Dieu, souvent tenus par des religieuses, deviendront des ensembles où pourront être réunis à la fois une tisanerie (ou laboratoire), la boutique et l''arrière-boutique. La tisanerie, comme son nom l'indique, prépare les nombreuses tisanes bues par les malades. Elle devait se trouver à proximité du jardin médicinal et être approvisionnée en eau fraîche.
- Hôtel-Dieu de Rouen, 1758, La Tisanerie
- SOURCES :
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- - http://histoirepharmacie.free.fr/main01-01.htm
- - http://www.abbaye-ourscamp.org/Historique-de-l-Abbaye.html
- - http://www.enluminures.culture.fr/Wave/savimage/enlumine/irht5/IRHT_084683-v.jpg (apothicaire)
- - http://wdoc.it/documenti_generici.htm
- - http://frblin.club.fr/ccmf/07textes/autres/comdam.htm
- - http://web2.bium.univ-paris5.fr/livanc/?cote=00216x04&p=10&do=page (Mesué)
- - http://www.monasteriosanjuan.com/images/cim-01-g.jpg (san juan de la peña)
- - http://www.bnf.fr (mandragore : manuscrit arabe)
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- - http://www.bl.uk/catalogues/illuminatedmanuscripts/ILLUMINBig.ASP?size=big&IllID=3115 (platearius, apothicairerie)
- http://www.bl.uk/catalogues/illuminatedmanuscripts/ILLUMINBig.ASP?size=big&IllID=4360 (platearius, apothicairerie, détail)
- - http://content.scu.edu/ (lithographie californie)
- - http://www.aans.org/education/journal/neurosurgical/Jul07/23-1-7-1209f18.html (apothicairerie- canon avicenne)
- - http://libcoll.mpiwg-berlin.mpg.de (Hieronymus Brunschwig's Liber de arte distillandi)
- - http://www.gutenberg.org/files/12254/12254-h/images/illus055.jpg (gravure flamande)
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