ENCYCLOPEDIE -DE--LA--LANGUE -FRANCAISE

-ABBAYE-------

Eglise Saint-Fructueux de Bierge, province de Huesca (région d'Aragon).

peintures murales du XIIIe restaurées en 1995 : Fructueux avec San Nicolás de Bari et San Juan Evangelista (saint Jean l'Evangéliste) ; roi tenté par le diable ; La dépouille du saint translatée au moyen d'une barque mortuaire.
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L'ESPAGNE
des
----WISIGOTHS---

( IV )


 

S'éloigner de la culture profane, donc, c'est s'éloigner des "vaines habitudes", selon les termes de Fructueux de Braga (Fructuoso, + 665), dont le tempé à la fois par ses lettres qu'il échange avec Braulio de Saragosse et par sa règle monastique (Regula monachorum, d'abord, vers 630/635, puis nouvelle mouture en 665/680, La Regula Communis), écrite pour les moines de l'abbaye qu'il avait lui-même fondé à Compludo (Compludense, Complutum, vers 630), dédié aux martyrs d'Alcalá de Henares (autre Complutum) Juste et Pasteur (Justo, Pastor) et pour lequel Fructueux affranchit tous les serfs attachés à ses terres par manumission. Ce monastère se situait au confluent des rivières Miera y Miruelo, dans la région de Bierzo, province de Leon (León), dans le bassin du Sil, protégé par les remparts naturels des monts Teleno et Guiana. C'est ce que nous apprend San Valerio (saint Valère de Bierzo, Valerius), son meilleur disciple, dans sa Vita Sancti Fructuosi et auteur d'un traité sur les moines, "De genere monachorum", à l'usage des moines du Bierzo.
Ce monastère de Compludo reçut en 646 le privilège de certaines possessions princières, non seulement du roi Chindaswinthe (Chindasvinto, 612-642-653) et de son épouse Reciberga "pour le soutien de tant d'anachorètes et d'ermites vivant dans les environs et qui pratiquent la vie monastique", mais aussi de grands prélats comme Eugène de Tolède ou les évêques de Lugo ou d'Astorga. Cette donation serait la première attestée faite à un monastère espagnol, qui posssédait une forge dont les éléments sont encore visibles, les mécanismes hydrauliques utilisés auraient même été conçus par Fructueux. Parmi les nombreuses autres fondations attribuées à Fructueux (de 13 à 20, selon les historiens), on connaît surtout :
Monasterio Rupianense (ou Rufianense) installé comme le précédent dans le Bierzo et, comme son nom l'indique, dans les solitudes du Castro Rupiano (ou Rufiano), dans la vallée d'Oza et dédicacé à san Pedro (saint Pierre) et san Pablo (saint Paul), raison pour laquelle on finit par l'appeler San Pedro de Montes de Valdueza (voir cartes ci-dessous) :
 

   

 
 Carte de la province du Léon, région de Castille-Léon.

 Paysage de la vallée de Compludo, vu des hauteurs d'El Acebo, où quelque part avait été élevé le premier monastère de Fructueux.


  Forge antique de Compludo, dessin paru dans la revue Tierras de León, nº VIII, page 36.
     
 Bâtiment actuel de la forge de Compludo  Carte du Doyenné (Arciprestazgo) de Valdueza, province de Léon.  Eglise du monastère de San Pedro de Montes, seul bâtiment (roman, XIIe s. avec additions du XVIIIe) à peu près intact, au milieu des ruines. Le monastère fut rebâti en 895 par l'évêque d'Astorga, Gennade, (Gennadius, Gennadio, + vers 925).
   
  Plan au sol de l'église de San Pedro de Montes, de plan basilical, avec avec ses trois nefs.  San Pedro de Montes, ruines

 



Le troisième monastère connu de Fructueux est San Felix de Visonia (auj. Visuña, près de Villafranca) dite aussi Fiz de Visonia (Monasterium Visuniensem, Visuniense) à cause de la rivière Visonia, qui borde les terres du couvent, au confluent des rivières Burbia y Valcárcel, sur les contreforts de la sierra de Aguiar, aux limites du Leon et de la Galice.

 
 

 


 Carte de la commune de Folgoso do Courel, province de Lugo, région de Galice (Galicia) Vestiges romans de l'église saint Félix du monastère de Visonia, San Fiz de Visonia, auj. appelé San Juan de San Fiz. A gauche, clocher peigne (espadaña), composé d'un mur pignon avec ouvertures (baies) pour les cloches. A droite, le porche.
Montes de Valdueza, vestiges wisigothiques fructuosiens (relatif à saint Fructueux)

 
Fructueux fonda très probablement le monastère Jean (Juan) de Poio : Mosteiro Xoán de Poio, en galicien, qu'il aurait rejoint de l'île Tambo (où il aurait fondé un ermitage), sur la ria de Pontevedra, en marchant sur les eaux.
Certains prétendent que c'est un de ses disciples, Teudiselo ( Theudigisclus, Theudigisel, Theudegisel, en espagnol Teodiselo, Teodisclo) qui est à l'origine de ce monastère, situé sur l'ancien Castrum Leonis (puis Castroleone), qui donna son nom au mont Castrove, près de la ria de Pontevedra (Pontem Veteris), qui a donné son nom à cette province de Galice :
 

Carte de la province de Pontevedra, dans la région de Galice.

Rien d'absolument certain dans tout cela, car les premiers documents relatifs au monastère datent de 982-999, qui relatent de généreuses donations, en particulier celles de Vermudo III, roi de Galice et de Leon de 1027 à 1037, mais aussi du comte de Galice Raymond de Bourgogne (1060-1107) et de sa femme Urraca (1081-1126), reine de Castille, León et Galice, par un document du 3 mars 1116. Le monastère prit ainsi de l'importance au cours des siècles, intégrant la prestigieuse congrégation de Valladolid* en 1548, augmenté du privilège du roi d'Espagne Charles Quint (Charles V, 1500-1558), qui se retira au monastère de Yuste (Juste, province de Cáceres, région d'Extremadure), où il finit ses jours. Ce n'est qu'en 1835, date de la loi de la "Desamortización"* (expropriation des biens du clergé), que les moines bénédictins furent contraints de quitter les lieux. En 1890, cependant, des moines occupent de nouveau le monastère, qui appartiennent à l'ordre de la Merci, les Mercédaires, de l'espagnol merced, grâce, du latin merces, rançon, ce qui explique que les moines de l'ordre s'occupaient, au début, de racheter des captifs chrétiens aux musulmans.
 
 
1. Vue aérienne du monastère Xoan de Poio
2. Eglise, de style renaissance et baroque, et aile de bâtiment monastique
3. Cloître, du XVIe s, de l'architecte Ruíz de Pamames et du maître Mateo López
4. Cloître
5. Grenier à grains sur pilotis appelé hórreo. Chaque pilotis de pierre est chapeauté d'une pierre ronde ou rectangulaire appelés tornarato, et qui protège d'éventuels rongeurs. Habituellement, les hórreos galiciens sont répartis par rangées de deux piliers, mais ici, ces derniers sont au nombre de trois sur 17 rangées, soit 51 appuis sur une longueur record de 121 mètres, sans doute le plus long de la région.

* VALLADOLID : "Jusqu'à la réforme sous les auspices des Rois Catholiques, chaque monastère était un organisme autonome et à la discipline relâchée dans bien des cas. Avec la réforme, outre le retour à la stricte observation de la règle, on réorganisa le gouvernement des monastères et on créa une congrégation regroupant ceux de Castille et celui de Montserrat, en Catalogne. Le monastère central était celui de Valladolid [San Benito el Real de, NDE] et, périodiquement, tous les abbés s'y réunissaient pour élire le supérieur de la Congrégation."

 
extrait de : http://museoescultura.mcu.es/coleccion/obras/silleria_fr.html

* DESAMORTIZACION : Processus entrepris par l'état espagnol entre 1766 et 1924, mais appelé le plus souvent "Désamortisation de Mendizabal" du nom du ministre de la reine Isabel Ie, Juan Álvarez Mendizábal (Cádiz, 1790 - Madrid, 1853), qui accéléra brutalement le passage des biens religieux aux mains de l'oligarchie des grands propriétaires terriens. Plus généralement la desamortización avait pour but de transformer en biens nationaux, ou aliéner en faveur des particuliers, les propriétés et les droits jusque-là soustraits au marché libre (patrimoine dit amortizado, amorti) et appartenant à divers organismes civils, mais surtout, ecclésiastiques.
 

D'autres fondations de monastères sont attribuées à Fructueux, parmi lesquels figurent celui de l'île de León (auj. San Fernando à Cadix), celui d'Armentaria dans la province de Pontevedra, mais aussi un monastère double à Nono dans la région de Cadix (Cádiz), ou encore, à la fin de sa vie, le monastère de Turonio (Turonium, Turoneo, Toronio, Toroño) en Galice, mais il n' y a guère de documents probants à ce sujet.

Par contre, il est fort probable que ce soit bien Fructueux qui ait fait ériger lui-même à la toute fin de sa vie le monastère de Montelios, dont il nous reste l'église de 665 env. au plan en croix grecque (à branches égales ) et qui comporte un arcosolium*, prévu pour accueillir la dépouille de Fructueux, qui aurait voulu peut-être faire preuve d'humilité en le faisant creuser à l'extérieur d'une des chapelles. En 1102, cependant, l'archevêque de Compostelle, Gelmírez, translata le corps du saint à Santiago, où il repose depuis.

* ARCOSOLIUM (de arcus (arc, voûte), et solium, terme utilisé parfois par les Romains pour désigner un sarcophage. Ce terme a été forgé par les premiers chrétiens
pour désigner leurs sépultures creusées dans les Catacombes romaines, le plus souvent familiale, divisée à cette fin en plusieurs compartiments. Les arcosolia sont creusées en forme de niche, dont le haut est un arc et la base une dalle de pierre.

Trente ans après la mort de Fructueux, on nous parle de l'abbé Locuber (691) fondant un monastère à Bailen, sur lequel Abd al-Rahman Ier a fait bâtir une mosquée, mais ce ne sont là que présomptions.

Il nous faut dire maintenant quelques mots sur les règles monastiques de l'Espagne wisigothiques, qui ont ceci de particulier qu'elle s sont aussi un pacte juridique (Pactum, Pacto) passé individuellement ou collectivement entre l'abbé et ses moines, semblable au serment prononcé par les rois wisigoths lors de leur élection, organisation d'inspiration germanique, donc, quasi féodale. C'est ainsi qu'à partir de la Galice, se forme une fédération d'établissements monastiques autour des monastères fructuosiens, situés au sud du Miño, autour de Braga et plus loin au Nord-Est, dans le Bierzo près d'Astorga, c'est la Sancta Regula Communis. Cet ordre "pactuel" sera officiellement annihilé par la dépopulation des habitants chrétiens du Minho (Braga, Lugo, Astorga) et d'autres régions luso-galiciennes, effectuée par Alfonso Ier (739-757), mais, intrinsèquement, il continuera d'être effectif jusqu'au XIe siècle en Galice aussi bien que dans l'Est des Asturies, à Liébana, en Rioja et en Castille, quand le centre des Asturies, le Léon, enfin tout le reste de l'Espagne, continueront d'appliquer les traditions wisigothes. Rien que pour la Galice, citons :
1) Sabaricus pactum of MS Escorialensis a I 13, VIIIe/IXe s.
2) Absalom pactum (826 ou 876) du monastère Santa-Eulalia (de Bubal, province d'Orense?)
3) Fulgaredus pactum (871) de Santa María de Mezonzo, près de Santiago.
4) Tudeildus pactum (1045) de l'abbaye portugaise de São Salvador de Vacariça dans les faubourgs de Coimbra. Dix-sept autres se répartissent entre Asturias de Santillana (1) Liébana (4) Rioja Alta (1) Castille (11).

Les pactes monastiques ne disparaîtront totalement que sous le règne du roi Fernando I (1035-1065), qui marque le triomphe tardif du bénédictisme.
 

 
Sources :

http://www.soyrural.com/monumentos.php?accion=amplia&id=42&patron=&comarca=0 (S. Pedro de Montes, ruines et plan
http://www.icai.es/publicaciones/anales_get.php?id=1035 (Compludo, Montes de Valdueza, Visonia )
http://www.elcaminosantiago.com/PDF/5_Map_Province_Leon.pdf (carte Leon)
http://www.diocesiscastillayleon.org/astorga/valdueza.gif (carte Valdueza)
http://webcaurel.fegamp.es/concello/Mapa%20xeografico.htm (carte Folgoso do Courel)
http://www.amigosgregoriano.com/coro/bierge.htm (peintures eglise Bierge)
http://www3.planalfa.es/cmariana/vidade.htm (Fructueux)
http://www.turgalicia.es/sit/ficha_datos.asp?ctre=1261&crec=11560&cidi=F# (abbatiale, cloître, horreo : Poio)
http://www.udc.es/dep/rta/WebRyTA/Mosteiros/monasterios/30poio/texto.html (Galice)
http://interhotel.com/hotelkey/mapas/provincias/pontevedra-g.jpg
http://www.turgalicia.es/sit/ficha_datos.asp?ctre=1212&crec=4586&cidi=I (images monastère Xoan de Poio)
Montelios :
http://www.celtiberia.net/imagftp/im58890288-se_montelios.jpg
http://www.artehistoria.com/tienda/banco/jpg/AUI20187.jpg
http://www.artehistoria.com/tienda/banco/jpg/AUI19846.jpg (plan)
http://www.legadoandalusi.com/legado/contenido/rutas/1024/ALI09064.jpg
http://www.artehistoria.com/tienda/banco/jpg/HIS18294.jpg
 
 

 

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