ENCYCLOPEDIE --UNIVERSELLE---

DE--LA--

LANGUE -FRANCAISE
 
Abiotique


. ABIOTIQUE . adj.


Le terme apparaît en supplément au Littré de 1877 mais, contrairement à ce qui est prétendu un peu partout, ce n'est pas le géologiste marin Edward Forbes (1815-1854) qui en est à l'origine. Forbes a proposé le terme de zone azoïque (azoic zone) en 1844, située en-dessous de 300 fathoms* du niveau de la mer, pour désigner un espace censé être privé de vie animale. Le terme abiotique qualifie les milieux privés de vie (a privatif, α et bios, βίος ,vie en grec) ou une partie non vivante d'un écosystème, mais, de manière plus complexe, ce mot est entré dans la terminologie scientifique pour désigner des facteurs chimiques et physiques qui ne dépendent pas des organismes vivants mais qui influent sur eux, que l'on appelle facteurs abiotiques, et qui sont appliqués en particulier à l'hydrologie marine, à l'agriculture, la sylviculture ou encore, à la pétrochimie.

* fathoms : brasse, en anglais. Mesure connue au moins depuis la Grèce antique (désignant à l'origine l'étendue des bras) appelée toise au moyen-âge et valant 1,8288.

Ces facteurs, essentiellement écologiques, sont de nature diverses et combinés entre eux :

- climatiques : froid, gel, pluies, inondation, sécheresse, désertification, teneur et qualité de l'eau, de l'air (dont vent), la température, la lumière, etc.

- chimique : concentrations de gaz dans l'air (azote, oxygène, gaz carbonique, etc.), dans l'eau ou dans les sols

- édaphique [voir plus bas] : salinité, teneur en minéraux, en humus, en gaz, etc.

- structurels, topographiques : Altitude, exposition (en viticulture, par exemple), pente, granulométrie, etc.

- historiques : évolution, pertubations de grande ampleur, pollutions.

Tous ces facteurs se combinent à des facteurs énergétiques : l'énergie potentielle de la pesanteur, mécanique des vents ou des courants, thermique, électrique oue encore nucléaire.


LES FACTEURS ABIOTIQUES,

introduction

 

"Le littoral marin est un écosystème dynamique dans lequel les cycles de marée journaliers, mensuels et saisonniers agissent tous selon des périodes régulières. Au cours de ces cycles, on enregistre des modifications au niveau des conditions physico-chimiques dans la zone de balancement des marées. Ainsi, plusieurs facteurs abiotiques influencent le rythme d'activité des organismes benthiques* : faction des vagues (Enright, 1965), la pression (Morgan, 1965), la température (Holmström & Morgan, 1983a), l'oxygène (Newell 1962; Kristensen, 1983; Pienkowski, 1983; Warren, 1984) et les inondations périodiques (Holmström & Morgan, 19836). II n'est donc pas surprenant que les organismes intertidaux doivent ajuster leur rythme d'activité en fonction de ces facteurs (Harris & Morgan, 1986). La période d'alimentation des espèces dépend non seulement de variables environnementales, mais aussi de facteurs biotiques comme la prédation et la compétition (Nybakken, 1988). Ces animaux doivent donc développer des stratégies alimentaires afin d'optimiser leur chance de survie et d'acquérir l'énergie nécessaire au maintien de leurs fonctionsmétaboliques, malgré la grande variabilité spatio-temporelle des paramètres environnementaux."
 
extrait de : ttp://www.ecoscience.ulaval.ca/catalogue/admin/imagephp/1689f-masson.pdf

* benthique : relatif au benthos (βένθος , du grec : profondeur) l'ensemble des organismes vivant sur le fond des mers de manière assez statique. Les deux autres ensembles vivants des océans se nomment le "nekton" (ou "necton", du grec : nageur), qui réunit les organismes indépendants, qui se déplacent eux-mêmes, et le plancton (de βένθος : "errant"), des micro-organismes qui vivent en suspension et qui dérivent au gré des courants.


Les facteurs abiotiques en hydrologie marine.

 

"...c’est la forte inertie de l’eau, ce compartiment fondamental et intermédiaire entre l’atmosphère et le substrat, qui confère au milieu marin sa relative stabilité. Ainsi, en faisant abstraction de certaines zones extrêmes (régions polaires, lagunes excessivement salées, secteurs pollués,…), il y a naturellement absence dans les eaux marines de grandes variations des principaux facteurs abiotiques, notamment en ce qui concerne :
 
- les pH bien tamponnés et très peu variables n’oscillant qu’entre 7 et 8,
- l’éclairement nul pour 90% du volume total de l’océan (zone aphasique et donc aphytale),
- les salinités* pour 99% du volume océanique qui fluctuent entre 33 et 36,5 5 ‰,
- les températures des eaux océaniques au dessous de 200m qui sont très peu variables au plan saisonnier et celles des eaux profondes (à partir de 2500m de profondeur) qui avoisinent 4°C, quelle que soit la latitude.
Cependant, l’océan mondial, est une mosaïque d’écosystèmes particuliers et ce vaste ensemble peut être différemment subdivisé, horizontalement ou verticalement, aux plans biologique, géographique, abiotique ou biotique.
 
C’est ainsi que tous les organismes marins n’appartiennent pas au même domaine biologique ; certains dépendent de la qualité physico-chimique des eaux (pelagos) et d’autres, en priorité de celle du substrat (benthos).
Ainsi, au plan abiotique, l’océan mondial peut être subdivisé horizontalement en 7 vastes ensembles ou régions géographiques en fonction de la latitude et de la température superficielle de ses eaux."

* SALINITÉ : on distinguera un organisme euryhalin , qui supporte des variations de salinité importantes du milieu aquatique où il vit (euryhalinité. Les estuaires et les lagunes n'hébergent que des espèces euryhalines) de l'organisme sténohalin (sténohalinité), son contraire.

 
 


texte et tableau extraits de : http://seme.uqar.qc.ca/01_pollution_marine/particularites_milieu_marin_generalites.htm

Les facteurs abiotiques en agriculture, sylviculture


Ces facteurs peuvent se diviser en macrofacteurs et microfacteurs. Parmi les premiers on distinguera des facteurs :
 
- géographiques : altitude, distance à la mer, altitude du masque*, exposition du versant, etc.
- climatiques : température moyenne, pluie, gel, grêle, etc. Parmi les seconds, on trouve des facteurs :
- topographiques, de pente et d'exposition combinée (IKR*).
- géologiques (roche, pourcentage d'affleurement rocheux, réaction à HCI de la roche mère, pendage des couches géologiques, fissuration, stratification, fracturation, etc.).
- pédologiques (horizon, horizon superficiel de la roche nue, texture et profondeur [nature et épaisseur du matériau allochtone, de l'altérite], altération, pourcentage et affleurement de cailloux, colluvions, alluvions, éboulis, restanque*, lapiaz, sondages et tests à la tarière hélicoïdale, etc.)
- anthropiques, caractérisés par des degrés ou indices d'anthropisation (nuls, épierrage, débroussaillage, banquette).
- édaphiques : structure du sol, granulométrie, teneur en sels minéraux et en humus, salinité, etc.

* IKR : "L'IKR est l'indice de rayonnement défini par Becker en 1984. Il permet de prendre en compte à la fois l'exposition et la pente, et ainsi d'obtenir une bonne approche du rayonnement direct atteignant le site. Trois classes ont été définies : IKR< 0.9 (Stations fraîches), 0.95< IKR <1.05 (Stations neutres), IKR > 1.1 (Stations chaudes)."
 
extrait de : http://cemadoc.cemagref.fr
 
* RESTANQUE (n.f). Du provençal restanco (occitan : restanca) : Terrain, terrasse soutenue par un muret de pierres sèches.
 
* ÉDAPHIQUE (adj.). relatif au rapport entre la nature du sol et la répartition des espèces qui y vivent, végétales et animales.

 
"Le sol joue un rôle essentiel dans le cycle des éléments via les processus d’altération des roches et les processus de décomposition de la matière organique. Il est une matrice dans laquelle les plantes puissent leurs nutriments et
conditionnent en retour sa formation et l’évolution de ses propriétés abiotiques et biotiques. Le sol peut ainsi être considéré comme une véritable interface dans l’environnement (Robert, 1996) et comme une composante majeure de la santé des écosystèmes. Ceci dans la mesure ou les perturbations affectant les propriétés édaphiques influencent nettement les conditions définies par Rapport (1985) ... La santé des écosystèmes, basée sur leur aptitude à fonctionner naturellement, est donc fortement dépendante de la santé des sols. Il est dès lors essentiel de considérer les facteurs qui influencent l’évolution et la transformation des sols, dans les processus de fonctionnement des écosystèmes.
(...)
Le sol est composé de divers composants biotiques et abiotiques qui sont à l’origine
d’une grande variabilité de structures. Les particules minérales sont organisées en agrégats de tailles, de forme et de stabilité variable. La cohésion entre les particules minérales est assurée par des liants organiques ou chimiques (CaCO3, Al(OH)n, oxyhydroxides, silice…). Selon Henin et al. (1958) la résistance des agrégats en relative à deux facteurs principaux: la teneur en argile et la mouillabilité en relation avec la matière organique. Tisdall and Oades (1982) ont défini trois catégories de ciments organiques en fonction de leur résistance au cours du temps : (1) les polysaccharides qui sont très rapidement dégradés par les bactéries et qui permettent la formation d’une macrostructure (Guckert, 1973 ; Cheshire et al., 1974 ; Chenu
et al., 1998), (2) les matières organiques issues de racines ou de cellules bactériennes qui sont temporaires et (3) les composés organiques humifiés (acides humiques) associés à des cations métalliques qui sont sous cette forme particulièrement résistante aux attaques microbiennes.
La structure des agrégats influence la disponibilité du carbone, la circulation des fluides (eau et gaz) dans le sol, la disponibilité des éléments nutritifs en solution. Tous ces facteurs interviennent dans la dynamique et la survie des végétaux et des bactéries. L’organisation structurale des sols, par des tailles et des stabilités d’agrégats variables, définit une mosaïque de microenvironnements fonctionnels qui diffères par leurs propriétés physico-chimiques (Kilbertus, 1980; Hattori, 1988; Robert and Chenu, 1992, Ranjard et al., 2000). La matière organique des fractions granulométriques fines sous forme humifiée est plus résistante aux enzymes microbiennes (Gregorich et al., 1989). De nombreux travaux ont montré des biomasses microbiennes (Jocteur Monrozier et al., 1991; van Gestel et al., 1996)
et des activités enzymatiques (Kandeler et al., 1999) plus importantes dans les petites fractions. Richaume et al. (1993) et Kabir et al. (1994) et plus récemment Ranjard et al. (2000) ont reporté une abondance importante des eubactéries dans les microagrégats (250-50µm) et dans la fraction des argiles dispersables. L’hétérogénéité de la distribution des communautés bactériennes a été attribuée par Christensen (1992) aux teneurs en matière organique et en argile qui créent des habitats favorables (disponibilité en carbone et en nutriments, protection contre la prédation, teneur en eau…). Chotte et al. (2002) ont récemment isolé de la fraction argileuse d’un sol tropical, plus de 70 % des bactéries fixatrices d’azote. A l’opposé, ils ont démontré la présence d’un foyer d’activité de fixation important dans la fraction grossière (2000-50µm) et ont conclu à une influence favorable des
exsudats racinaires, particulièrement plus actif sur la macrostructure.
 
Chaque unité structurale, de la simple molécule organique ou de l'argile à l’agrégat
stable, forme ainsi une entité fonctionnelle qui peut influencer les processus impliqués dans l’évolution de la qualité d’un sol. L’hétérogénéité fonctionnelle est, au même titre que l’hétérogénéité spatiale et temporelle, un facteur prédominant de l’évaluation de la qualité des sols.
(...)
 
La qualité physique d'un sol est étroitement liée à sa structure, c'est à dire à la façon
dont les constituants minéraux et organiques sont assemblés les uns par rapport aux autres. On peut penser à la structure du sol en termes "d'architecture" et de "stabilité". Sa qualité dépend en grande partie de la taille, de la forme et de la disposition des pores (vides) et des particules solides (mottes de sable, de limon et d'argile). Dans le sol, la matière organique et certains ciments minéraux sont les principaux liants dans la formation de mottes ou d'agrégats par les particules de sable, de limon et d'argile (Henin, 1958 ; Tisdall and Oades, 1982). Dans un sol bien structuré, l'air, l'eau et les éléments nutritifs peuvent traverser les vides contenus dans les agrégats et entre ceux-ci. En outre, l'assemblage des particules solides et des pores résiste bien aux diverses agressions (travail cultural, moisson, impact des gouttes de pluie, etc.).
C'est en effet dans les différentes catégories de vides ménagés par cet assemblage que
l'eau, les solutés et les gaz circulent ou sont stockés et que les êtres vivants peuvent se
développer. La dégradation
* des propriétés physiques d'un sol peut entraîner une réduction
importante de sa qualité. Une déstructuration affecte la pénétration des racines dans le sol
(Tramblay-Boeuf, 1995). Bengough et al. (1997) ont montré qu’une augmentation de
contrainte mécanique, que l’on peut observer lorsque l’on passe d’un sol poreux à un sol plus compact, induit une augmentation de la longueur racinaire. La modification des propriétés structurales des sols peut également diminuer la perméabilité et donc perturber la circulation des flux de gaz et d'eau, affecter la diffusion des solutés et modifier les mouvements des microorganismes (Duchaufour, 1997, Papendick et Campbell, 1981). La microflore bactérienne et la faune du sol sont également très sensible aux modifications de leurs habitats.
Les perturbations de l’hétérogénéité physico-chimique et structurale des sols peuvent
influencer certaines propriétés biotiques et abiotiques directement impliquées dans la survie de ces organismes (Ranjard et al., 1999, Lavelle et Spain, 2001).
(...)
La structure du sol évolue lentement sous l'action de processus naturels tels que les
cycles d'humectation-dessiccation
* et de gel-dégel* (Kemper et Rosneau, 1984 ; Haynes et
Swift, 1990), et de l'apport de matière organique (résidus végétaux et animaux). Cependant, la qualité structurale est une notion difficile à définir vu les liens étroits qui existent entre la structure et divers facteurs comme l'écoulement de l'eau et l'aération du sol. Pour qu'un sol ait une bonne structure, l'état et la stabilité de ses agrégats ne doivent pas limiter le potentiel de rendement d'une culture, les racines doivent pouvoir se développer et s'enfoncer dans le sol de façon optimale ; il doit aussi être suffisamment stable pour résister aux facteurs susceptibles de le dégrader."
 
extrait de :http://tel.archives-ouvertes.fr/docs/00/04/68/38/PDF/tel-00006161.pdf


* DÉGRADATION : "La dégradation traduit la capacité d’un produit à être transformé au cours du temps en
un composé dont la structure moléculaire diffère. On parle généralement de molécule «mère »
pour caractériser la molécule introduite initialement au niveau de la parcelle et de métabolites
pour caractériser les produits issus de la transformation de la molécule « mère ». Le produit
ultime de cette dégradation est généralement le dioxyde de carbone. On parle alors de
minéralisation.
 
DÉGRADATION ABIOTIQUE
 
La dégradation abiotique correspond à une dégradation physique ou chimique du
produit sans intervention de la biomasse. Les principales réactions sont dues :
- au soleil : les rayons incidents, notamment les rayons ultraviolets, mènent à la
photolyse
- à l’eau : les principales réactions sont l’hydrolyse, l’oxydation (principalement dans
les eaux de surface) et la réduction dans les eaux anaérobies et en profondeur dans les
sédiments
- aux particules solides du sol : les particules d’argiles ou les acides humiques peuvent
catalyser des réactions telles des complexations ou des polymérisations
L’ensemble de ces processus est influencé par des facteurs environnementaux tels que
la température, le pH, les conditions d’oxydoréductions (présence d’oxygène…)."

extrait de : http://engees-proxy.u-strasbg.fr/205/01/Charles_Vallet.pdf

* HUMECTATION-DESSICATION : dite hygroturbation
* GEL-DÉGEL : dite cryoturbation (Witkamp et Frank, 1970).
 

LE STRESS ABIOTIQUE

 
On parlera de "stress abiotique" quand les conditions des espèces vivantes sont modifiées par des facteurs abiotiques :
 
"La sécheresse, le froid et la salinité sont des stress abiotiques qui imposent aux plantes des changements métaboliques globaux. Exemple : l’induction des acides phosphatases « purple » (PAP) par les stress de la salinité chez le soja. Les acides phosphatases « purple » sont communément trouvées chez les plantes comme le soja. Cependant, leurs propriétés ne sont pas encore bien comprises. Une étude montre l’expression qu’un nouveau gène GmPAP3 serait induit par le stress osmotique. Le stress au NaCl provoque la traduction du gène, aussi bien pour les variétés sauvages (Glycine soja), que pour les variétés cultivées (Glycine max). La synthèse des protéines PAP ainsi induite conduit à un stress oxydatif (avec formation de H2O2). En réponse à ce stress oxydatif, le soja forme des protéines allergènes comme la thiol protéase (Gly m Bd 30K)."
 
extrait de : http://www.ahvoer.tonsite.biz/agro-carburant/fichiers_html/soja.html
 
"Les mécanismes de résistance à divers stress abiotiques (sécheresse, salinité, toxicité ferreuse, basses températures, métaux lourds) sont étudiés chez le riz, le blé dur, différentes espèces halophytes, le sarrasin et la chicorée à inuline. Les stratégies de résistance sont analysées au niveau de la plante entière et au niveau cellulaire par l'exploitation de techniques de caractérisation physiologique, biochimique et moléculaire. L'impact des basses températures et du stress hydrique sur les modalités de floraison est étudié chez la chicorée et le sarrasin, respectivement. Les taux d'accumulation de métaux lourds sont analysés en relation avec les cinétiques de croissance chez diverses espèces végétales en vue d'identifier des espèces performantes à des fins de phytoremédiation de sites pollués.
 
extrait de : http://rch.adre.ucl.ac.be/browse/list_fac/BOTA/pending/1352

 
LE PÉTROLE ABIOTIQUE

 
L'article suivant est extrait de :
http://www.agoravox.fr/actualites/environnement/article/la-controverse-du-petrole-50323


 
"La « controverse » du pétrole abiotique

Dans cet article, Richard Heinberg fait le point sur les connaissances actuelles au sujet de l’origine du pétrole. Un article important car les fantasmes sur une origine abiotique de l’or noir ont finalement traversé l’Atlantique pour se répandre sur l’Internet francophone, bien que leurs arguments aient déjà été invalidés "par anticipation" comme la lecture de cette analyse le démontre clairement.
(...)
 
Richard Heinberg est l’auteur de Peak Everything, de Powerdown : Options & Actions for a Post-Carbon World et de Pétrole : la fête est finie (Avenir des sociétés industrielles après le pic pétrolier) ouvrage de référence sur le pic pétrolier qui vient de paraître aux éditions Demi-Lune (Paris, octobre 2008). Il enseigne l’écologie et le développement soutenable au New College of California à Santa Rosa.
 
Le lecteur notera qu’il ne s’agit pas d’une réponse à l’article de M. William Engdahl, consultable ici, sur le même sujet, puisque M. Heinberg a écrit son article … 3 ans plus tôt !
Il est intéressant de constater que M. Engdahl reprend à son compte tous les points de MM. Gold et Kenney, pourtant parfaitement expliqués (et invalidés) par Heinberg, répétons-le 3 ans, plus tôt. Il faut y voir le signe indubitable qu’Engdahl ne connaît rien au sujet, car dans le cas inverse, il aurait répondu en tentant de réfuter Heinberg, par de nouveaux arguments, alors qu’il se contente de reprendre un par un les maigres arguments des tenants de la théorie abiotique ; la seule nouveauté est qu’il y mêle des considérations d’ordre géopolitique et économique, teintées de « théories du complot ». Que la flambée des cours du pétrole au premier semestre 2008 ait été amplifiée de manière considérable par la spéculation et que les compagnies pétrolières aient réalisé des profits records est une certitude, mais cela n’invalide nullement la pertinence du concept de pic pétrolier. Qui devra faire l’objet d’autres articles…
Au cours des derniers mois, quelques-uns des nombreux sites web [Note du traducteur : anglophones, et depuis 2007, également sur les sites francophones] remettant en cause le compte-rendu officiel des événements du 11 septembre 2001 ont également attaqué le concept de pic pétrolier. Je préfèrerais ignorer cette controverse - et il existe de bonnes raisons de le faire, comme certains de ces sites Internet manquent de crédibilité sur d’autres points ; néanmoins, parce qu’ils attirent un grand nombre de personnes qui commencent tout juste à trouver leur voie en dehors de la « transe consensuelle et sociétale », ils semblent causer certains dommages palpables. J’ai reçu plusieurs dizaines de courriels de personnes souhaitant sincèrement connaître ma réponse aux affirmations selon lesquelles le « pic pétrolier » serait une intox, et le pétrole une ressource inépuisable.
Voici donc, une fois pour toutes, ma position sur la controverse au sujet du pétrole abiotique.

Un résumé de la situation

Le débat sur l’origine du pétrole a cours depuis le XIXe siècle. Dès le départ, il y eut ceux qui soutenaient que le pétrole est primordial [NdT : au sens premier du mot] – qu’il remonte aux origines de la Terre – ou qu’il provient d’un processus inorganique, tandis que d’autres faisaient valoir qu’il fut produit à partir de la décomposition d’organismes vivants (principalement de plancton océanique) qui proliférèrent il y a des millions d’années, au cours de périodes relativement brèves de réchauffement climatique et furent enfouis sous des sédiments océaniques dans des circonstances fortuites.
Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, avec les progrès de la géophysique et la géochimie, la grande majorité des scientifiques se sont alignés sur la théorie organique (ou biotique). Un petit groupe de scientifiques russes pour la plupart – mais aussi, en nombre très restreint, de scientifiques occidentaux, parmi lesquels feu le physicien Thomas Gold de l’université de Cornell - ont donné leur préférence à une théorie abiotique (également appelé abiogénique ou inorganique). Bien que certains des Russes considèrent Gold comme un plagiaire de leurs idées, le livre de ce dernier The Deep Hot Biosphere(1998) a suscité une controverse auprès du public sur les questions de l’origine du pétrole, de sa localisation et de la quantité disponible à terme (ressource). Gold faisait valoir que les hydrocarbures existaient à l’époque de la formation du système solaire, et qu’ils sont réputés être abondants sur d’autres planètes (Jupiter, Saturne, Uranus et certains de leurs satellites) où la vie n’est pas censée avoir prospéré par le passé.

La théorie abiotique affirme qu’il doit donc y avoir, de manière presque illimitée, des réservoirs de liquides d’hydrocarbures primordiaux à de grandes profondeurs sous la Terre [NdT : dans la croûte terrestre] ; lesquels reconstitueraient lentement les champs exploités par les forages classiques.

Pendant ce temps, toutefois, les compagnies pétrolières ont utilisé la théorie biotique comme base pratique pour mener à bien leurs efforts d’exploration au cours des dernières décennies. Si, en effet, il existe de vastes et profondes ressources inexploitées d’hydrocarbures remplissant les réservoirs que les producteurs de pétrole exploitent, cela semble faire peu de différence quant à la production réelle. On observe l’appauvrissement de dizaines de milliers de champs de pétrole et de gaz dans le monde, et le remplissage (qui se produit en fait très rarement) n’a pas lieu à une échelle ou un taux commercialement significatif, à l’exception de l’exemple mineur et controversé que nous aborderons plus loin.

Les partisans de la théorie abiotique affirment également que les foreurs conventionnels, limités par une théorie erronée, ne tiennent pas compte de nombreux sites où de profonds réservoirs de pétrole primordial se sont accumulés ; si seulement ils foraient aux bons endroits, ils découvriraient beaucoup plus de pétrole que ce qu’ils trouvent actuellement. Cependant, à ce jour, les mises à l’essai de cette théorie n’ont pas abouti : pour autant qu’on le sache, le test sur un puits « abiotique » fut un échec commercial.
 
Ainsi, même si la théorie abiotique s’avérait au final scientifiquement valable, partiellement ou totalement, (ce qui encore une fois est loin d’être le cas), cela n’aurait probablement pas, ou peu, de conséquences pratiques en termes de déplétion pétrolière et de l’imminence du pic de la production mondiale de pétrole (ou « pic pétrolier »).
Voilà résumée la situation, telle que je la comprends, et il est probable que la plupart des lecteurs se satisferont d’un tel niveau d’informations sur ce sujet. Toutefois, comme ce résumé contredit certaines des affirmations les plus ambitieuses des théoriciens abiotiques, il peut être utile de présenter plus en détail certains éléments de preuve ainsi que les arguments des deux côtés du débat.

Du pétrole au cœur de la Terre ?

Gold a raison : il y a des hydrocarbures sur d’autres planètes, même dans l’espace lointain. Pourquoi ne pas nous attendre à trouver des hydrocarbures primordiaux sur Terre ?

C’est une question dont la réponse n’est que partiellement comprise, et elle est complexe. Les planètes connues pour receler des hydrocarbures primordiaux (principalement sous la forme de méthane, le plus simple des hydrocarbures) sont situées aux confins du système solaire. [NdT : le méthane est un élément chimique simple, contrairement aux autres hydrocarbures, éléments chimiques complexes.] Il y a peu de preuves de la présence d’hydrocarbures primordiaux sur des planètes rocheuses plus proches du Soleil (Mercure, Vénus, Terre et Mars). Sur cette dernière, peut-être les hydrocarbures se sont-ils volatilisés ou ont-ils émigré dans l’espace au début de l’histoire du système solaire, ou – comme le théorise Gold – vers les profondeurs. (Note : de très récentes preuves de l’existence de méthane dans l’atmosphère de Mars sont considérées comme l’indication d’une activité biologique, probablement dans un passé lointain.)[i]

Il existe en effet des preuves d’une présence de méthane en profondeur sur Terre : il se dégage à partir du milieu des dorsales océaniques, provenant probablement du manteau, même si son volume est relativement faible – moins que la quantité émise chaque année par les pets de vaches ( !) – il existe d’ailleurs des explications biotiques convaincantes sur l’origine de ce méthane ventilé.

Une nouvelle étude réalisée par le ministère américain de l’Énergie et le Laboratoire Lawrence Livermore suggère qu’il existe d’énormes dépôts de méthane dans le manteau de la Terre, à une profondeur de 60 à 120 miles (95 à 200 km).[ii] Mais aujourd’hui, les compagnies pétrolières ne sont pas capables de forer plus profondément que 10 km, et ce dans des roches sédimentaires. Dans des roches éruptives ou des roches métamorphiques, les outils de forage ne peuvent pénétrer qu’à seulement 3 000 mètres.[iii] Toute tentative de forer à une profondeur plus grande, s’approchant, même de loin, du manteau, verrait les parois des puits complètement broyés par les pressions et fondus par les températures rencontrées en cours de route. [NdT : Techniquement, il est possible de forer à des profondeurs bien supérieures – par exemple, les Russes ont atteint 14 000 m après des décennies de forage. Cependant, l’auteur pense au cas général, ainsi qu’à l’aspect économique de la production.] En outre, l’étude du ministère attribue à ces dépôts de méthane hypothétiques une origine différente de celle décrite par Gold.

Plus précisément, Gold a également fait valoir l’existence d’hydrocarbures liquides – du pétrole – à de grandes profondeurs. Mais il y a un problème : les températures à des profondeurs supérieures à 15 000 pieds (4 600 m) sont assez élevées (au-dessus de 275°F, soit 135°C) pour briser les molécules d’hydrocarbures. Ce qui reste après la rupture de ces liaisons moléculaires est le méthane, dont la molécule contient un seul atome de carbone. Pour les géologues pétroliers, ce n’est pas seulement une question de théories, mais bien d’expériences répétitives et parfois coûteuses : ils parlent d’une « fenêtre » pétrole qui se situe entre 2 300 et 4 600 m environ, au sein de laquelle les températures sont appropriées pour la formation du pétrole ; cherchez loin en dehors de cette fenêtre, et vous arriverez sans doute à un « forage sec » ou, au mieux, vous trouverez seulement du gaz naturel. Les rares exceptions servent à démontrer la règle : elles sont invariablement associées à des strates qui se déplacent rapidement (en termes géologiques) vers le haut ou vers le bas.[iv]

La théorie classique de la formation du pétrole connecte le pétrole avec le processus de sédimentation. Et, en effet, la quasi-totalité du pétrole découvert au cours du dernier siècle et demi est associée à des roches sédimentaires. D’autre part, il n’est pas difficile de trouver des roches qui ont existé à de grandes profondeurs où, selon les théories de Gold et des Russes, les conditions auraient été parfaites pour la formation de pétrole abiotique ou l’accumulation de pétrole primordial : mais ces roches ne contiennent typiquement pas de traces d’hydrocarbures. Dans les très rares cas où de petites quantités d’hydrocarbures sont présentes dans des roches éruptives ou des roches métamorphiques, celles-ci sont invariablement trouvées près de roches sédimentaires contenant des hydrocarbures, et les hydrocarbures dans les deux types de roches contiennent des marqueurs biologiques identiques (nous développerons sur ce sujet plus loin). L’explication la plus simple dans ces cas est la migration des hydrocarbures depuis des roches sédimentaires vers des roches éruptives (ignées) et/ou métamorphiques.

Il y a des années, Thomas Gold reconnut que le meilleur test de la théorie abiotique serait de percer dans le socle cristallin de la roche située sous des accumulations sédimentaires plus récentes pour voir si, en effet, on y découvre du pétrole. En 1988, il a convaincu le gouvernement suédois de forer jusqu’à 7 250 m dans un granit qui avait été fracturé par la chute d’une météorite (c’est cette fracturation permit aux foreurs d’aller aussi loin). Le trou de forage, qui a coûté des millions de dollars à percer, a produit 80 barils de pétrole. Même si le projet (brièvement redémarré en 1991) fut un échec commercial, Gold maintint que ses idées étaient justifiées. La plupart des géologues sont restés sceptiques, cependant, suggérant que le pétrole récupéré provenait probablement de boues de forage.

Les Russes (je dois rappeler au lecteur que je parle en fait d’une minorité, même au sein de la communauté des géologues de Russie) prétendent avoir connu des succès dans [ce type de] forages dans le socle rocheux situé sous le bassin Dniepr-Donets en Ukraine. Le professeur Vladilen A. Krayushkin, président du Département de l’exploration pétrolière de l’Institut des sciences géologiques, à l’Académie des sciences d’Ukraine, à Kiev, en charge de l’exploration du projet, a écrit :

« Les 11 champs principaux et le champ géant de pétrole et de gaz dont il est question ici ont été découverts dans une région qui avait été décrite, il y a 40 ans, comme ne possédant pas de potentiel de production de pétrole. L’exploration de ces champs a été réalisée entièrement en fonction de la perspective de la théorie moderne russo-ukrainienne des origines abyssales et abiotiques du pétrole. Le forage qui a abouti à ces découvertes a été étendu à dessein profondément dans le sol de roche cristalline, et c’est dans ce sol que se trouvent la plus grande partie des réserves. Elles s’élèvent au moins à 8 200 milliards de tonnes [65 milliards de barils] de pétrole récupérable et 100 milliards de m3 de gaz récupérable, et sont donc comparables à celles de North Slope en Alaska. »[v]

Toutefois, des évaluations indépendantes de la situation ne confirment pas ces affirmations. Tout d’abord, l’US Geological Survey, n’est pas d’accord sur le fait que les réserves du Dniepr-Donets sont si importantes (il cite 2,7 milliards de barils de pétrole pour l’ensemble de la découverte). Deuxièmement, l’apparition de pétrole dans le socle rocheux est certes inhabituelle, mais pas inédite, et le pétrole peut apparaître dans le socle rocheux de différentes façons. Dans le processus de forage à travers des roches sédimentaires, du pétrole peut être expulsé vers le bas, de sorte qu’il semble venir des profondeurs. Ensuite, il y a des situations où les roches ignées ou métamorphiques se sont déplacées vers le haut, ou des roches sédimentaires se sont déplacées vers le bas, de sorte que le socle rocheux couvre des roches sédimentaires (dans certains cas, le chevauchement peut s’étendre sur des centaines de kilomètres carrés). Dans son document « Oil Production from Basement Reservoirs - Examples from USA and Venezuela » [La production de pétrole dans des réservoirs situés dans le socle - Exemples aux États-Unis et au Venezuela], M. Tako Koning (de Texaco Angola, Inc.), parle de roches mères telles que les schistes marins dans presque tous les cas.[vi] Plus précisément encore, de nombreuses études citent l’existence de roches mères dans la région du Dniepr-Donets.[vii]

Le remplissage des champs ?

Les théoriciens abiotiques mettent fréquemment en avant des éléments comme le remplissage des champs. L’exemple le plus cité est celui de l’île d’Eugene, la pointe d’une montagne presque entièrement immergée située à environ 120 km au large de la côte de la Louisiane. Voici l’histoire telle qu’elle a été relatée par Chris Bennett dans son article « Sustainable Oil ? » [Du pétrole durable ?] sur WorldNetDaily.com :

« Un grand réservoir de pétrole brut a été découvert à proximité, à la fin des années 1960 ; en 1970, une plate-forme nommée Eugene 330 produisait activement environ 15 000 barils de pétrole brut de haute qualité par jour. À la fin des années 1980, la production de la plate-forme est tombée à moins de 4 000 barils par jour, et les réserves ont été considérées comme asséchées. Épuisées. Soudain, en 1990, la production a grimpé de nouveau à 15 000 barils par jour, et les réserves qui avaient été estimés à 60 millions de barils, dans les années 1970, ont été recalculées à 400 millions de barils. Il est intéressant de noter que l’âge géologique de ce nouveau pétrole était différent de celui du pétrole pompé dans les années 1970. Des analyses des enregistrements sismiques ont révélé la présence d’une « faille profonde » à la base du réservoir de Eugene Island, de laquelle jaillissait une rivière de pétrole provenant d’une source plus profonde et auparavant inconnue. »[viii]

Une « rivière de pétrole » à partir d’une source profonde sans lien [avec la précédente] ? Cela ne semble pas très prometteur. Mais un examen plus approfondi offre des descriptions et explications plus prosaïques.

Selon David S. Holland, et al. [collaborateurs], dans le livre Recherche et découverte, le réservoir est caractérisé par :

1. des caractéristiques structurelles dominées par la croissance des failles, des dômes de sel, et des failles liées au sel ;
2. d’épaisses accumulations de dépôts, deltaïques principalement, alternant sable et schiste ;
3. des réservoirs jeunes (moins de 2,5 millions d’années), avec migration des hydrocarbures dont les origines proviennent, plus en profondeur, de schistes marins riches en matières organiques ;
4. une évolution rapide de la stratigraphie, en raison de dépôts et de remaniements postérieurs ;
5. de nombreux réservoirs superposés de pétrole et de gaz, de hautes colonnes d’hydrocarbures et des taux élevés de production.[ix]

S’il est vrai que les estimations des réserves de pétrole ont augmenté sur le site d’Eugene, les chiffres ne sont pas extraordinaires. Les auteurs notent que : « De 1978 à 1988, ces opérations, les activités et les facteurs naturels [y compris l’exploration et la meilleure technologie de récupération] ont augmenté les réserves récupérables ultimes de 225 millions de barils à 307 millions de barils d’hydrocarbures liquides et de gaz de 950 bcf à 1,65 tcf. » [NdT : « bcf » signifie milliard de pieds cubiques et « tcf », trillion de pieds cubiques, soit une unité mille fois plus grande ; un pied cubique équivaut à 0,028 m3 ou 1 m3 à 35,31 p3] Selon d’autres estimations plus récentes, la quantité totale de pétrole récupérable pourrait atteindre les 400 millions de barils.

Rien de tout cela n’est particulièrement inhabituel pour un champ de pétrole en Amérique du Nord : les « quantités exploitables » de la plupart des champs sont réévaluées au fil du temps. Cela est une conséquence des réglementations de la SEC [Securities and Exchange Commission, équivalent de la COB] en matière de rapports qui exigent que les réserves soient estimées chaque année en fonction de la part de ressource réellement en mesure d’être extraite avec les équipements en place. De plus en plus de puits étant forés dans le même réservoir, les réserves « augmentent ». Puis, comme elles s’assèchent, les réserves déclinent et les taux de production diminuent. Rien de magique.

La production à Eugene Island atteignait 20 000 barils par jour en 1989 ; elle avait baissé à 15 000 b/j en 1992, mais avait rebondi pour atteindre un sommet de 30 000 b/j en 1996. La production du réservoir a baissé régulièrement depuis lors.

Les éléments de preuve à Eugene Island suggèrent l’existence de roches mères profondes à partir desquelles le réservoir se remplit en effet très lentement, mais les géologues sur le terrain ne travaillent pas sur l’hypothèse d’une origine primordiale de ce pétrole. Dans son article « Oil and Gas - ’Renewable Resources’ ? » [Pétrole et gaz - Ressources renouvelables ?], Kathy Blanchard qui travaille pour PNL écrivit : « les recherches géochimiques récentes de l’Institut océanographique Woods Hole ont démontré que la vaste gamme de la composition du pétrole dans les différents réservoirs du champ Eugene Island 330 peut lier les uns aux autres et à une roche source plus profonde, datant de l’ère Jurassique - début de l’âge du Crétacé. »[x]Son article explique que ce type de migration depuis des roches mères à proximité est loin d’être unique, et il examine la situation dans le contexte de la théorie biotique classique. Un document technique de David S. Holland, et al., « Eugene Island Block 330 Field – USA offshore Louisiana », publié par AAPG, note que le pétrole à Eugene Island montre :

« des preuves abondantes de migration verticale de longue distance. Sur la base d’une variété de biomarqueurs et d’indicateurs de maturité, on peut estimer que ce pétrole a été produit à des profondeurs comprises entre 4 500 et 4 900 m (15 000 à 16 000 pieds) à une maturité correspondant à une réflectance de la vitrinite de 0,08 à 1,0 % et à des températures de 150 à 170°C (300 à 340°F). Leur présence dans des réservoirs thermiquement immatures exige une importante migration verticale. Ceci est illustré sur le graphique 36, qui montre un historique de l’enfouissement et de la maturation du champ au temps de la migration du pétrole, c’est-à-dire à la fin de Trimosina "A", il y a environ 500 000 ans. Une partie des valeurs actuellement mesurées de la maturité en fonction de la profondeur est superposée sur le profil de maturité calculé pour le temps/la période Trimosina "A" servant à illustrer le bon accord de proximité entre les mesures et la prévision des profils de maturité. La claire différence entre la maturité du réservoir et celle du pétrole est frappante et suggère que le pétrole a migré vers le haut sur plus de 3 650 m (12 000 pieds) de profondeur, peut-être au Miocène supérieur, qui est l’âge de la roche mère. La migration du pétrole le long de ces failles est indiquée par l’observation de la température et des anomalies d’hydrocarbures à la surface et la répartition des réservoirs exploitables dans le sous-sol. Ces résultats sont compatibles avec ceux de Young et al. (1977), qui a conclu que la majorité du pétrole dans le golfe du Mexique trouve son origine à une profondeur supérieure de 2 450 à 3 350 m (8 000 à 11 000 pieds) à leurs réservoirs, depuis des roches mères 5 à 9 millions d’années plus âgées que les réservoirs. »[xi]

Les biomarqueurs

Les affirmations des tenants de la théorie abiotique semblent souvent exagérées de bien d’autres manières. J.F. Kenney de Gas Resources Corporations à Houston (Texas), l’un des très rares géologues occidentaux à plaider en faveur de cette théorie, écrit : « des physiciens, des chimistes, des ingénieurs chimistes, tous compétents, et les hommes qui connaissent la thermodynamique savent que le pétrole naturel ne provient pas d’une évolution à partir de matières biologiques depuis le dernier quart du XIXe siècle ».[xii]À la lecture de cette phrase, on peut supposer que seul un petit nombre de pseudo-scientifiques isolés et troglodytes vivraient encore dans la croyance dépassée et discréditée selon laquelle le pétrole peut être formé à partir de matériaux biologiques. Cependant, en fait, tant les universités que les compagnies pétrolières regorgent de milliers « de physiciens, de chimistes, d’ingénieurs chimistes, hommes [et femmes !] tous compétents et bien au fait des lois de la thermodynamique » qui, non seulement souscrivent à la théorie biologique, mais l’utilisent chaque jour, comme base de leur succès dans l’exploration pétrolière. Et les expériences en laboratoire ont démontré à maintes reprises que le pétrole est en effet produit à partir de la matière organique dans les conditions auxquelles il est supposé avoir été soumis au cours des temps géologiques. La situation est en fait l’inverse de ce que Kenney insinue : la plupart des géologues pensent que l’hypothèse russe du pétrole abiotique, qui remonte à une époque antérieure à l’avènement de la théorie moderne de la tectonique des plaques, est un anachronisme. Il est maintenant avéré que les mouvements tectoniques sont en mesure de redistribuer radicalement les couches de roches, amenant les jeunes roches sédimentaires emplies de pétrole ou de gaz sous le socle rocheux, ce qui peut avoir pour conséquence, dans certains cas, que le pétrole semble prendre sa source dans le socle cristallin du précambrien, alors que tel n’est pas réellement le cas.

Les géologues remontent à la source du carbone dans les hydrocarbures par l’analyse de sa composition isotopique. Le carbone naturel est presque toujours composé d’isotopes 12, avec 1,11 % d’isotope 13. Les matières organiques, cependant, contiennent généralement moins de C13, parce que la photosynthèse des plantes montre une préférence pour le C12 plutôt que le C13. Le pétrole et le gaz naturel présentent en général un ratio C12/C13 analogue à celui du matériel biologique à partir duquel ils sont supposés provenir. Le ratio C12/C13 est une propriété bien connue du pétrole et elle est prédite par la théorie biotique ; il ne s’agit pas seulement une aberration occasionnelle.[xiii]

En outre, le pétrole contient généralement des biomarqueurs – porphyrines, isoprénoïdes, pristane, phytane, cholestane, terpanes, et chlorines – qui sont liés aux produits biochimiques tels que la chlorophylle et l’hémoglobine. Les « empreintes digitales » chimiques du pétrole supposé avoir été formé à partir des algues, par exemple, sont différentes de celles du pétrole formé à partir de plancton. Ainsi, les géochimistes peuvent utiliser (et ils le font régulièrement) les marqueurs biologiques pour établir des liens entre échantillons de pétrole et roches mères.

Les théoriciens abiotiques émettent l’hypothèse que le pétrole tire ses biomarqueurs chimiques de la contamination par des bactéries vivant au fond de la croûte terrestre (cf. le titre du livre de Gold « la biosphère profonde et chaude ») ou à d’autres vestiges biologiques enterrés. Toutefois, les correspondances observées entre les marqueurs biologiques et les matériaux-sources ne sont pas le fruit du hasard, mais bien plutôt systématiques et prévisibles sur la base de la théorie biotique. Par exemple, les marqueurs biologiques dans la roche-source peuvent être liés à l’environnement de dépôt ; c’est-à-dire que les roches mères avec des biomarqueurs caractéristiques de plantes terrestres sont trouvés seulement dans les sédiments terrestres et marins peu profonds, tandis que les biomarqueurs du pétrole associés aux organismes marins se trouvent uniquement dans les sédiments marins.

Faisons le bilan

Les points abordés ci-dessus constituent un simple échantillonnage des questions ; il me serait difficile si non impossible de répondre à l’ensemble des arguments avancés par les théoriciens abiotiques dans un essai aussi bref. J’ai fait circuler une ébauche de cet essai à deux groupes de discussion traitant des questions énergétiques et j’ai reçu par courriel environ une douzaine d’observations : l’une défendait la théorie abiotique, mais la plupart des autres la critiquaient. La moitié environ des observations provenaient de physiciens, de géophysiciens ou de géologues. Il est vite devenu évident à mes yeux que pour traiter la question, il faudrait écrire l’équivalent d’un livre.

J.F. Kenney a présenté un article bref et convaincant en faveur de la théorie abiotique,5 mais aucune réfutation qui traiterait systématiquement ses affirmations n’a été publiée. Un lecteur du site Internet de Kenney pourrait trouver à redire à certaines de mes déclarations dans ce présent essai (par exemple, en réponse à ma description de la « fenêtre » de profondeur pour la formation du pétrole, le lecteur [anglophone] pourra se référer à l’évocation par Kenney des expériences russes qui ont montré que le pétrole pouvait être formé à de hautes températures et pressions - des conditions similaires à celles qui doivent exister dans le manteau terrestre). Pourtant, parmi les commentaires que j’ai reçus de scientifiques se trouvaient de convaincantes critiques des affirmations de Kenney (retour à mon exemple : comme plus d’un commentateur l’a fait observer, même si le pétrole avait été formé dans le manteau, les théoriciens abiotiques n’ont pas suggéré de moyens plausible par lesquels il pourrait émerger à la profondeur à laquelle on le trouve sans passer par des régions où la température serait trop élevée et la pression trop forte pour que les hydrocarbures liquides puissent perdurer). Beaucoup d’autres affirmations émises par Kenney et critiquées par les experts sont de nature plus technique et plus difficile à résumer.

Ainsi, plutôt que de continuer dans ce sens, je préfère ne pas concentrer la discussion sur des points de détail et au contraire mettre davantage l’accent sur la situation globale.

Il n’est pas possible de prouver avec certitude qu’il n’existe aucun pétrole d’origine abiotique. La science est une quête permanente de vérité, et les théories sont sans cesse modifiées ou mises au rebut lorsque de nouveaux éléments de preuve apparaissent. Toutefois, l’affirmation selon laquelle tout le pétrole serait d’origine abiotique exige des preuves irréfutables, car elle doit surmonter les innombrables éléments de preuve, déjà cités, qui lient les accumulations spécifiques de pétrole à des origines biologiques par le biais d’une chaîne bien comprise de processus dont les principes ont été démontrés, dans des conditions de laboratoire.

Clairement, j’apprécie les scientifiques non-conformistes ; j’ai une tendance naturelle à la sympathie pour eux. Le concept de pic pétrolier est lui-même une idée de franc-tireur, et depuis plusieurs années, j’ai promu un point de vue que le Wall Street Journal a récemment décrit comme « cinglé ».[xiv]Il m’est donc inhabituel, et je suis même un peu mal à l’aise maintenant de me trouver du côté de « l’establishment » scientifique en argumentant contre les théoriciens du pétrole abiotique. Ceux-ci méritent certainement une place dans le débat scientifique.

Peut-être qu’un jour il y aura un consensus général sur le fait qu’une partie au moins du pétrole est en effet d’origine abiotique. Peut-être y a-t-il en effet de profondes ceintures de méthane 30 km au-dessous de la surface du globe. Mais la question importante à garder à l’esprit est la suivante : Quelles sont les conséquences pratiques de ce débat sur les problèmes actuels de l’épuisement des ressources de pétrole dans le monde ?

Je n’ai pas personnellement inspecté les puits de pétrole en Arabie saoudite ou même au Texas. Mais presque tous les rapports crédibles que j’ai lus – qu’ils proviennent de l’industrie ou de scientifiques indépendants – décrivent essentiellement la même réalité : les découvertes sont en baisse, et l’ont été depuis les années 1960. Les capacités de production inutilisées ont pratiquement disparu. Et les vieux champs super-géants de pétrole dont le monde dépend pour la majorité de sa production ont dépassé leur pic de production ou sont sur le point de le faire. Même les champs russes cités par les théoriciens abiotiques comme preuve de leur point de vue ne sont pas à l’abri : en juin [2004] la direction de l’Agence fédérale de l’Énergie de Russie a déclaré que la production pour 2005 est susceptible de rester stable voire de chuter, tandis que d’autres autorités dans ce pays affirmaient que la croissance de la production russe ne pourrait être maintenue pendant plus de quelques années.[xv]

Serait-ce une bonne nouvelle si le pétrole était en fait pratiquement inépuisable ? À mon avis, non. Je pense que la découverte du pétrole a été la plus grande tragédie (en termes de conséquences à long terme) dans l’histoire de l’humanité. Découvrir un approvisionnement illimité de pétrole pourrait prévenir de dramatiques augmentations de prix et les symptômes catastrophiques du sevrage, mais il ne ferait qu’aggraver tous les autres problèmes qui découlent de la dépendance au pétrole – que nous utilisons pour accélérer l’extraction de toutes les autres ressources, l’émission de CO2 dans l’atmosphère, et des problèmes connexes tels que la perte de la biodiversité. La déplétion du pétrole est une mauvaise nouvelle, mais nullement pire que l’abondance en pétrole.

Compte tenu de la hausse rapide des prix du pétrole à l’échelle mondiale, la notion de pic pétrolier n’a guère besoin d’être défendue en ce moment [Note du traducteur (décembre 2008) : disons que cela a été vrai jusqu’à la dernière crise financière]. Nous voyons le phénomène se dérouler sous nos yeux alors qu’une nation après l’autre cesse d’être exportatrice pour devenir importatrice de pétrole (la Grande-Bretagne a franchi le cap cette année) [2004]. À un certain point dans un avenir très proche, les autres nations exportatrices ne seront tout simplement pas en mesure d’approvisionner toutes les nations importatrices.

En bref, la crise énergétique mondiale arrive sur nous très rapidement, et tout le temps consacré à débattre de théories hautement spéculatives ne peut que nous détourner de l’exploration et de la mise en application des stratégies pratiques susceptibles de nous aider à mieux préserver la nature, la culture et la vie humaine dans ces conditions de changements rapides.

Article traduit par Arno Mansouri et corrigé par Hervé Duval.
 
--------------------------------------------------------------------------------
Notes de bas de page

[i] 1. Voir l’article « Methane on Mars » du New Scientist, ici :
http://www.newscientist.com/article...
[ii] 2. http://www.eurekalert.org/pub_relea... ?
[iii] 3. http://wow.osu.edu/experiments/geol...
[iv] 4. Voir Hubbert’s Peak de Kenneth Deffeyes, p.21-22, p.171 ; Geodestinies, de Walter Youngquist, p.114.
[v] 5. http://www.gasresources.net/energy_...
[vi] 6. Le document « Hydrocarbons in Crystalline Rocks » n’est plus en ligne sur la page originale www.dur.ac.uk/react.res/RRG_... mais peut être consulté ici :
http:///web/20041211...
[vii] 7. http://www.911-strike.com/pfeiffer.htm
[viii] 8. http://www.wnd.com/news/article.asp...
[ix] 9. # 20003, 1999, http://www.searchanddiscovery.com/d...
[x] 10. L’article « Oil and Gas-"Renewable Resources" ? » n’est plus en ligne sur la page originale www.pnl.gov/er_news/08_95/er... Voir en archive, ici : http:///web/20061210...
[xi] 11. http://www.searchanddiscovery.net/d...
[xii] 12. Voir note de bas de page 9.
[xiii] 13. http://pubs.giss.nasa.gov/abstracts... et
http://www.agu.org/pubs/crossref/19...
[xiv] 14. « As Prices Soar, Doomsayers Provoke Debate on Oil’s Future », 21/9/2004
[xv] 15. L’article « Russia Won’t Be Able to Increase Oil Production - Economy Minister » n’est plus en ligne sur la page originale www.mosnews.com/money/2004/0... Voir en archive, ici : http:///web/20070417...
"
 



Sources :
 
Wolf H. Berger, Reflections on a Century of Exploration
http://www.encyclo-ecolo.com/Abiotique
http://www.cig.ensmp.fr/~hubert/glu/HINDFR.HTM
http://cieh.iut.u-bordeaux1.fr/modules/coursenligne/sgombert.pdf
http://www.onf.fr/outils/medias/20080707-084508-331703/files/2
http://www.hydrogeochem.qc.ca/pages/publications_gcbr/doc78.pdf
http://seme.uqar.qc.ca/01_pollution_marine/particularites_milieu_marin_generalites.htm
http://www.pik-potsdam.de/~kropp/accma/documents/may2008/A8-consuilt_ecolo_marine_version_final.pdf
 
 
 
 

---------------