ENCYCLOPEDIE -DE--LA--LANGUE -FRANÇAISE
		-ABEILLE
----			- LES ABEILLES ET LES HOMMES ( XVIII ) -croyances, savoirs et apiculture
				- HISTOIRE DE --L'APICULTURE MODERNE- et MENTALITÉS-- XVIIIe siècle (2)

 







Maurice Mathis ( Vie et Mœurs des abeilles, Paris, 1951) nous rappelle à juste titre que toutes ces nouvelles découvertes sur les abeilles n'allaient pas de soi pour les contemporains :

 

"Toute colonie d’abeilles normales, possédant du miel, du pollen, du nectar et du couvain de tous les âges, est apte à élever des reines. Il suffit d’enlever la reine existante. Cette découverte, faite par Schirach à Lusace, a été confirmée d’une manière définitive par François Huber de Genève, dès 1780, en Suisse; elle n’a pas été sans soulever une incrédulité générale. Nous n’en donnerons que deux exemples, celui de Ch. Bonnet et celui de Della Rocca. Le premier « avertissait les membres de la Société d’abeilles de Lusace de ne pas soutenir la conversion des vers d’abeilles en reines, au risque de se discréditer complètement aux yeux des vrais naturalistes. » Le second, bon apiculteur, cependant, et remarquable par sa sagacité en de nombreuses circonstances, écrit : « Quant à la métamorphose d’un œuf ou d’un ver, destiné pour une abeille ouvrière en reine parfaite, on peut nier ce fait hardiment, puisque pareille métamorphose est absolument impossible et que tout ce qu’on en rapporte est sans aucun fondement. »"




extrait de :

http://perso.fundp.ac.be/~jvandyck/homage/books/mathis/MM1951/A5.shtml


6Abbé Jean Baptiste François Rozier (1734-1793), Cours complet d'agriculture théorique, pratique, économique et de médecine rurale et vétérinaire. 10 volumes, de 1781 à 1800, Hôtel Serpente, Paris.

 

Tome Premier. Illustrations de ruches de différents concepteurs :

Fig 1 : la ruche de Palteau.

Fig 2 et 3 : Massac, de Boisjugan, de Cuinghien ou de Carne de Blangy.

Fig 4 : la ruche de Schirach

Fig 5 : la ruche de Wildman, de Mahogany, de Sieur Ravenel, de Gélieu, Pafleur ou Lignières.

 




Anton Janša (ou Janska, Janscha, Antona Janše, Antonu Janši) est né en 1734 à Breznica, en Carniole (Carniolie, Carniola), qui fait aujourd'hui partie de la Slovénie. Il fut nommé à vie directeur de la première école d'apiculture d'Autriche, à Vienne, fondée par lui en 1770 à l'initiative de l'impératrice et archi-duchesse Marie-Thérèse d'Autriche, qui lui octraya une pension à vie de 600 florins. En 1771, il rédige Abhandlung vom Schwärmen der Bienen (Dissertation sur l'essaimage des abeilles) et décrit pour la première fois la fécondation de la reine après un vol nuptial :

 

"Un jour de beau temps, de neuf heures du matin à trois ou quatre heures de l'après-midi, la reine sortit de la ruche accompagné d'une cour nombreuse d'ouvrières et de mâles. Elle tourna dans toute les directions autour de l'entrée de la ruche pour se souvenir de la ruche, quand elle y retournera après l'accouplement. Elle vola un moment en cercles devant la ruche, en la regardant, puis elle s'éleva, de plus en plus haut. Quand elle fut de retour de son accouplement, elle ne retourna pas directement à la ruche mais elle se mit à voler en face d'elle un moment. A ce moment, nous avons fait bien attention aux signes d'après lesquels nous avons reconnu que la reine avait été fécondée. Si l'abdomen est ouvert à l'endroit où les abeilles ont leur aiguillon, ou si quelque chose de blanc est pendu à son abdomen, comme un fil, et si l'abdomen paraît rompu et déchiré, alors c'est que sûrement la reine a copulé."




Par ailleurs, Janša aurait développé une nouvelle forme de ruche (čebelnjak) appelée kranjic de par leur origine, la Haute Carniole, dont Kranj était la capitale. Les kranjics sont empilées en blocs forment ainsi un rucher. Elles sont décorées sur leurs frontons (panjske končnice) de scènes religieuses, de vie quotidienne (chasse, professions, vie sociale, etc.), mais aussi de festivités, de contes folkloriques ou encore d'évènements historiques, un certain nombre de sujets étant traités avec ironie et humour. Cette pratique est devenue un art traditionnel slovène, qui se développera entre 1820 et 1880, s'éteignant peu à peu après la première mondiale de 1914-1918, à cause du développement de ruches modernes, à cadres amovibles.




7	8	9
7.--Premier fronton de ruche connue de type kranjic, avec le thème de la Vierge, daté de 1758.  8 et 9.--Kranjic d'Anton Janša reconstitué dans sa ville natale de Breznica.   VOIR AUSSI : APICULTURE TRADITIONNELLE et PATRIMOINE - EUROPE DE L'EST ET DU NORD3 - Ruches décorées




En 1771, un autre Slovène, Anton Humel (Huml), décrit en détail un autre accouplement hors de la ruche, et cette fois, avec plusieurs mâles. Humel confie ce récit à l'Association d'Agriculture de Ljubljana, qui elle-même demande à un célèbre apiculteur et prêtre de Komenda, Peter Pavel Glavar (1721-1784), d'écrire des commentaires à ce sujet. Glavar* écrit un commentaire long et précis (Pogovor o èebelnih rojih : Dissertation sur les essaims d'abeilles), dans lequel il relate par le détail l'accouplement de la reine et confirme les dires de Humel (Miheliè 1976. Stane Miheliè a traduit Glavar en slovène moderne). Par ailleurs, il déclare que la reine fécondée reste un temps à la ruche avant de s'envoler avec l'essaim. Il précise que c'est la vieille reine qui quitte la ruche avec le premier essaim et confirme que, malgré les idées reçues, la reine est fertilisée par plusieurs mâles et non un seul. Ces commentaires furent publiés avec le texte de Humel en 1775, sous le titre : Praktische Eröffnung daß der Weiser wirklich von den Thränen außer den Bienenstock befruchtet wird. In: Wöchentlichen Kundschaftsblatt des Herzogthum Krain.




* GLAVAR : a écrit aussi un ouvrage intitulé : Predlog za izboljšanje cebelarstva v c.k. dednih deželah (Proposition pour l'amélioration de l'apiculture dans les domaines royaux héréditaires), 1768.




 

1771, Jacques Joseph Ducarne de Blangy († 1812) fait paraître Traité de l'éducation économique des abeilles, où se trouve aussi leur histoire naturelle... où l'auteur développe des idées proches de White pour la récolte du miel dans deux ruches emboîtées, décrit une maladie appelée "le vertige de l'abeille" et dont on sait maintenant qu'elle est causée par le virus de la paralysie chronique (CBPV : Chronic Bee Paralysis Virus, Bailey 1968).




La même année, l'abbé suisse Francois-Xavier Duchet, chapelain de Remaufens, dans le canton de Fribourg, en Suisse, fait paraître son ouvrage, Culture des abeilles (chez Paul Abraham Chenebié à Vevey), dont un chapitre, en particulier, est consacré à l'origine de la cire. Ce qui est intéressant, c'est de constater, une fois encore, que les connaissances sur le sujet n'ont pas été diffusé très largement. En effet, l'abbé aurait dû savoir que Hornbostel, ving-sept ans auparavant, avait découvert cette origine. Au lieu de cela, le Suisse écrit :

 

"La question unique à discuter est, si la cire faite par les Abeilles, qui à coup sûr, en sont les ouvrières, est composée de cette farine prise sur les fleurs, ou du miel même. Il faut de toute nécessité que ce soit de l'un ou de l'autre, ou de tous les deux ensemble, puisqu'on ne peut accorder à ces insectes le don de créer. Commençons par la farine, nous viendrons ensuite au miel, la preuve négative de la première sera fortifiée par l'affirmation du second, l'un et l'autre s'affermiront mutuellement." (op. cité, p. 191)




F. X. Duchet, Culture des abeilles, 1771 planche p. 334, Pressoir à cire planches p. 150 et 151, ruche


1779, le prêtre Allemand Johann Ludwig Christ (1739-1813) développe un type de ruche à barrettes fixes très similaire à celle que concevra plus tard l'abbé Warré :




J. L. Christ, Anweisung zur nützlichen und angenehmen Bienenzucht für alle Gegenden, "Conseils pour un élevage des abeilles efficace et agréable dans toutes les régions", Frankfurt and Leipzig Gleischerischen Buchhandlung, 1783.

 




10	type de ruche utilisée sur l'île de Syra (Grèce) prôné par l'abbé Della Rocca dans son traité complet sur les abeilles, de 1790.




1790 : L'abbé Della Rocca écrit son Traité complet sur les abeilles, 3 vol., Bleuet père. "Avec une méthode nouvelle de gouverner les abeilles, telle qu'elle se pratique à Syra, île de l'Archipel; précédé d'un Précis historique et économique de cette île; ouvrage dédié à Madame;" L'abbé serait le premier, parmi les pionniers de l'apiculture moderne, à avoir introduit la ruche de type top-bar mobile, cette ruche connue en Grèce ou depuis longtemps, mais aussi au Japon, par exemple, où elle aurait été utilisée au moins depuis la période Edo (vers 1600 -1868), ou encore dans les cultures précolombiennes. Cette technique top-bar a été modernisée dans les années 60-70, et introduite dans différents pays d'Afrique, d'Asie ou d'Amérique du Sud, et nous la détaillerons ailleurs. Avec elle, l'Europe redécouvre l'apiculture de type mobile, puisque l'amovibilité du rayon, que l'abeille construit à partir d'une barre ou barrette amovible permet des manipulations qu'un rayon fixe ne permet guère de faire. Ce qui nous donne l'occasion de nuancer les expressions "apiculture fixiste" et "apiculture mobiliste". Si la première est assez claire, et ne comprend que des ruches aux rayons fixes, qui ne peuvent être retirés de la ruche sans être découpés, la seconde n'est pas souvent nuancée. Elle comprend les ruches à barrettes, à rayons mobiles, que nous venons d'évoquer, et les ruches à cadres mobiles, dont l'invention et le perfectionnement révolutionneront le monde apicole.

 

Maurice Mathis (op. cit.) a relevé nombre d'observations pertinentes de l'abbé :




«" Nous avons observé effectivement nous-mêmes, que les abeilles qui reviennent chargées de miel (en réalité il veut dire nectar), quelquefois présentent, en entrant dans la ruche, leur trompe à d’autres abeilles pour leur donner le miel ou l’eau qu’elles rapportent ; mais nous croyons que c’est moins pour nourrir ces abeilles sédentaires que pour se décharger plus tôt de leur fardeau et pour repartir plus vite à la campagne."

Une observation qui a étonné tous les naturalistes, c’est que les abeilles ne consomment jamais ce pollen en dehors de la ruche. Della Rocca note : " L’abeille n’avale jamais la molividhe (pollen) avant de la porter à la ruche. "

(...)

A propos de ce pain des abeilles, Della Rocca s’exprime ainsi : " ... de sorte que nous sommes dans une entière persuasion avec plusieurs célèbres naturalistes, que le mélange de la molividhe (pollen) avec le miel est très nécessaire pour conserver nos insectes en bonne santé. Cela est si vrai, que lorsque les abeilles sont obligées de vivre uniquement de miel, pour avoir épuisé leur provision de molividhe, elles sont attaquées d’une maladie qu’on nomme dévoiement, et le meilleur moyen qu’on ait imaginé pour les en guérir, c’est de leur présenter le gâteau d’une autre ruche dont les alvéoles sont garnies de cette molividhe. " " Monsieur Duchet, écrit-il dans un autre passage, établit pour principe que le miel n’est pas seulement nécessaire à la nourriture des abeilles déjà formées, mais encore à la formation des embryons et des nymphes, et même en plus grande quantité que l’on ne pense : à chaque jeune, jusqu’à son état parlait de mouche,. il en faut, à tout le moins, autant qu’en peut contenir un alvéole."

(...)

La ponte des œufs non fécondés dépend, d’une part du nombre des abeilles et, d’autre part, de la quantité de larves du nid à couvain [ A ce sujet, Della Rocca s’exprime ainsi : Il n’est pas vrai que si on laissait aux abeilles trop de ces rayons à grand yeux (cellules de grande taille) elles donneraient naissance à un très grand nombre de faux-bourdons. Ce n’est pas la quantité de ces rayons qui excite les abeilles à une production nombreuse de ces mâles, c’est la force de la république, la bonté de la saison et le besoin qu’elles en ont.].

(...)

L’essaimage constitue le moyen naturel de reproduction chez les abeilles. Della Rocca affirme à ce sujet : " Tous les apiculteurs conviennent que les essaims forment le plus grand profil des ruches. "

(...)

Ayant eu à notre disposition une souche d’abeilles italo-américaines particulièrement douces et réputées peu essaimeuses, nous les avons vues essaimer normalement en Tunisie. Il semble donc bien que la sélection des abeilles à caractère peu essaimeur est une utopie. Della Rocca envisageait le problème d’une toute autre manière : " Pour avoir, écrit-il, des essaims en plus grand nombre, il est nécessaire de composer ses ruches d’essaims d’une belle espèce et féconde ; car, parmi ces insectes ainsi que parmi les autres animaux, il y a des républiques qui sont plus ou moins fécondes en essaims ; un propriétaire attentif ne tardera pas à découvrir cette différence parmi les ruches qu’il élèvera. Il suffira qu’il marque tous les essaims provenant de ruches qui ne sont ni assez fécondes, ni assez actives, et lorsque le nombre de ses ruches sera rempli et qu’il voudra faire périr le surplus, il choisira les infécondes et les paresseuses.»




extrait de :

http://perso.fundp.ac.be/~jvandyck/homage/books/mathis/MM1951/A.shtml




Signalons que Della Rocca évoque des ruchers de type "horno" (four, en espagnol, image 11) présents dans les environs de Paris.




11	12
13	14

 

11.- Horno très ancien typique, peut-être du XVIIIe. Señorío de Molina de Aragón.




12.- Mur à abeilles dont un fronton, sur un portail, donne la date probable de sa construction : 1785. Le rucher est constitué de seize niches (ou logettes) de 80 cm de haut, 50 cm de large et de profondeur, espacées de 1,50 m. Château Lacoste, surplombant la vallée de l'Aigues, en face de Bonnieux, en Provence (région du Lubéron, Vaucluse, 84). C'était un domaine de la famille du marquis de Sade depuis 1627, ce dernier l'ayant habité à compter de 1771. C'est peut-être Sade, donc, qui a fait construire ce rucher.




13.- Mur à abeilles du XVIIIe siècle, à Ravel, dans le Puy de Dôme, dépendant du château de Ravel,dont les jardins ont été dessinés par Le Nôtre. Cet apier est pourvu de neuf niches ou logettes de 2 m de large sur 1,20m à 1,80m de haut et environ 80 cm de profondeur. Photo d'une logette où l'on pouvait installer trois ruches verticales : voir dessin de droite.




14.-lVue partielle du mur à abeilles du XVIIIe siècle, dans le potager en activité de la Chartreuse de Bonpas (Bompas), à Caumont-sur-Durance dans le Vaucluse. Cet apier comporte 30 niches sur un mur de 33 mètres de long, six mètres de haut, réparties sur deux étages. Les étages de niches sont séparés de 75 cm, et les logettes elles-mêmes mesurent 75 cm de haut sur 50 cm de largeur et de profondeur.




 

Voir aussi : ABEILLE - RUCHERS 1




C'est en 1792 que le naturaliste suisse François Huber (2 juillet 1750, Genève - 22 décembre 1831,Lausanne) publie un ouvrage qui décrit la ruche de sa conception, en bois de sapin, la première ruche à cadres mobiles formés de douze châssis (voir image 15). En effet, les cadres de la ruche se feuillettent, telles les pages d'un livre, d'où les deux noms de cette ruche, fournis par son inventeur lui-même : " ruche en livre" ou "ruche en feuillets". C'est un pas de plus dans l'apiculture mobiliste, mais les feuillets ne sont pas des cadres amovibles, car ils sont attachés entre eux par des charnières. D'autre part, la trouvaille de Huber est guidée par des préoccupations de son travail de naturaliste, non d'apiculteur à proprement parler. C'est donc une ruche d'observation idéale que l'apiculteur suisse cherchait à concevoir et qui lui a permit, en effet, une fine observation du monde des abeilles. De plus, en découvrant les bases de la notion très importante de l'espace abeille (bee space), Huber a fait de sa ruche à cadres mobiles une des toutes premières ruches modernes :

 

"Ceci me conduit à une observation que je crois nouvelle : en nous faisant admirer le parallélisme que ces mouches suivent constamment dans la construction de leurs gâteaux, les naturalistes n’ont pas fait attention à un autre trait de leur industrie, à l’égale distance que les abeilles mettent toujours entre ces gâteaux. Mesurez l’intervalle qui les sépare, & vous le trouverez pour l’ordinaire de quatre lignes [9 mm, NDE]. On sent bien que s’ils eussent été trop éloignés les uns des autres, les abeilles auroient été fort dispersées, elles n’auroient pas pu se communiquer réciproquement leur chaleur et le couvain n’auroit pas été suffisamment échauffé. Si, au contraire, les gâteaux eussent été trop rapprochés, les abeilles n’auroient pas pu cheminer librement entr'eux, & le service de la ruche en eût souffert. Il falloit donc qu’ils fussent séparés par une certaine distance, toujours la même, & qui convint également au service de la ruche, & aux soins qu'exigent les vers. La nature, qui a tant appris de choses aux abeilles, les a instruites encore à observer très régulièrement cette juste distance : il arrive bien quelquefois, à l'approche de l'hiver, que nos mouches allongent les cellules qui doivent contenir le miel, & qu'elles rétrécissent par cette opération l'intervalle entre leurs gâteaux ; mais ce travail particulier est fait pour une saison où il importe d'avoir de grands magasins, & ou d'ailleurs l'activité étant fort ralentie, il n'est plus nécessaire que les communications soient aussi spacieuses ou aussi libres. Au retour du printemps, les abeilles se hâtent de raccourcir ces cellules prolongées, afin qu'elles deviennent propres à recevoir les oeufs que la Reine doit y pondre, & elles rétablissent ainsi la juste distance dont la nature leur a fait une loi.

Cela posé, pour forcer les abeilles à travailler en cire, ou ce qui revient au même, pour les obliger à construire de nouveaux gâteaux, il suffit d'écarter assez les autres ceux qu'elles ont déjà bâti, pour qu'elles puissent en établir d'autres dans l'intervalle. Supposons qu'un essaim artificiel soit logé dans une ruche à feuillets composée de dix cadres, dont chacun contient un gâteau ; si la jeune Reine qui gouverne cet essaim est aussi féconde qu'elle doit être, les abeilles seront très actives -au travail, & disposées à faire de grandes récoltes -en cire. Pour les y déterminer, il faudra placer un cadre vuide entre deux autres qui contiennent chacun un gâteau : comme tous ces feuillets sont de même dimension ; qu'ils ont tous l'épaisseur nécessaire pour loger un gâteau, il est clair que les abeilles trouveront dans ce cadre vuide, que vous aurez introduit dans leur ruche, l'espace précisément nécessaire pour construire un gâteau neuf & elles ne manqueront point de 'le faire, parce qu'elles sont dans l'obligation de ne laisser jamais qu'un espace de quatre lignes entr'eux. Remarquez encore, Monsieur, que sans qu'il soit besoin de leur tracer la direction qu'elles doivent suivre, il est sûr qu'elles travailleront ce gâteau neuf parallèlement à ceux qui l'entourent, pour observer la loi qui veut un intervalle égal entr'eux, dans toute l'étendue de leur surface. Si la ruche est forte, & la saison bonne, on entrelassera d'abord trois cadres vuides entre les vieux gâteaux, un entre le premier & le second ; un autre entre le troisiéme & le quatrième, & le dernier, enfin, entre le cinquième & le sixième. II faudra aux abeilles un travail de, sept ou huit jours pour les remplir, & la ruche contiendra alors neuf gâteaux. Si le temps se soutient à une température favorable, on pourra entrelasser encore trois nouveaux feuillets, & par conséquent dans l'espace de quinze jours ou trois semaines, on aura obligé les abeilles à construire six gâteaux neufs. On pourroit continuer plus loin cette opération dans les climats chauds, & où la campagne offre perpétuellement des fleurs, mais dans notre pays, j'ai lieu de croire qu'il ne faut pas forcer davantage le travail pour la première année."

(op. cité, pages 354 à 358)

 

15

15.-lPremière planche de l'ouvrage de François Huber, Nouvelles observations sur les abeilles adressées à M. Charles Bonnet, chez Barde, Manget & Compagnie, Genève 1792.   Légende (extraite du texte de Huber, seule la mise en forme a été changée)   Figure I   aa, parcelle de gâteau qui sert à diriger les abeilles dans leurs travaux - bb, bb, Chevilles dont l'usage est de contenir le gâteau dans le plan du châssis : il y en a 4 de l'autre côté que l'on ne peut voir dans cette figure ; mais la figure 4 permet de voir comment elles doivent être placées. - d, liteau mobile qui sert à supporter la partie inférieure. - ee, Chevilles plantées dans les traverses au-dessous du liteau mobile, dans les montans, & pour le soutenir. - Les montants fg, fg doivent avoir 12 pouces*, & les traverses ff, gg 9 ou 10 ; l'épaisseur des montants & des traverses sera d'un pouce, & leur largeur de 15 lignes* ; il est important que cette dernière soit une mesure exacte.   * "1 pouce de l'Ancien Régime = 12 lignes soit 2.707 cm ou 1/12 pouce ou 1/144 toise. (...) 1 ligne = 12 points soit 0.2255 cm ou 1/12 pouce ou 1/144 pied ou 1/1728 toise extrait de : http://www.genefourneau.com/mesures.html#LIGNE   Figure II   - aa, deux planches qui divisent cette ruche en parties égales, & qui n'y doivent être placées que lorsqu'on veut la séparer pour former un essaim artificiel. - bb, planches qui ferment les deux côtés de la ruche, & qui ont des recouvrements.   Figure III   - aa, recouvrements qui la ferment par les côtés   Figure IV   - cc, portion des deux liteaux, l'un supérieur & fixe sert à retenir le gâteau dans sa situation verticale ; l'autre inférieur & mobile sert à le supporter par dessous.

 

Huber avait d'autant plus de mérite dans son travail que la cécité l'avait progressivement frappé à partir de l'adolescence. Heureusement pour notre aveugle, il trouva en la personne de François Burnens, un domestique passionné comme lui par les abeilles et qui a travaillé avec lui à de nombreuses expériences. Le naturaliste suisse se penche longuement sur la fécondation de la reine et la différentiation sexuelle. Etonnament, Huber ne parle pas du travail de Janska, qui a décrit le premier, nous l'avons dit, la fécondation suite au vol nuptial de la reine. Quand il a la preuve que la reine est fécondée à l'extérieur de la ruche, il rogne les ailes de différentes reines en espérant qu'elles voleront assez bas pour les surprendre en flagrant délit de copulation, mais les unes ne peuvent plus voler, les autres ne volent pas assez haut pour rencontrer les mâles et c'est un échec. S'agissant de la différentiation des ouvrières et des reines, il poursuit les observations de Schirach et confirme, sans savoir que ce n'est qu'un aspect (ceci dit, fondamental) de la question, que les reines ne naissent pas ainsi mais le deviennent par une "éducation royale" (op. cité p. 143), avec cette nourriture si particulière qu'il va appeler le premier "gelée royale" (op. cité, p. 164).




"Lorsque vous avez été appelé, Monsieur, écrit-il à Charles Bonnet, dans la nouvelle édition de vos oeuvres, à rendre compte des belles expériences de M. Schirach sur la conversion des vers d'abeilles communes en vers royaux, vous avez invité les naturalistes à les répéter. (...) Je regarde donc, comme un fait certain que lorsque les abeilles perdent leur Reine, & qu'elles conservent dans leur ruche des vers d'ouvrières, elles agrandissent plusieurs des cellules dans lesquelles ils sont logés, qu'elles leur donnent non seulement une nourriture différente, mais en plus forte dose, & que les vers élevés de cette manière, au lieu de se convertir en abeilles communes, deviennent de véritables Reines." (extraits des Lettres Quatrième, page 138-139).




 

MENTALITÉS

 




Devant l'évolution des savoirs, nombre de savants et d'amateurs curieux mais pas spécialisés, décident de vulgariser le savoir, en particulier par des ouvrages écrits sous forme de dialogues, dans le droit fil de Fontenelle (1657-1757, Entretiens sur la Pluralité des Mondes), de l’Abbé Pluche (Noël-Antoine Pluche, 1688-1768), de Noël Regnault (1683-1762), comme le fera Diderot, Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre (1737-1814) ou Joseph Jérôme Lefrançois de Lalande (1732-1807). Gilles Augustin Bazin (1681-1754) est de ceux-là, qui, après avoir écrit l'Histoire Naturelle des Abeilles (Paris, 1744) en deux volumes, veut écrire sur le sujet un livre que tout un chacun pourra lire, Abrégé de l’histoire des insectes, pour servir de suite à l’Histoire naturelle des Abeilles (Paris, 1747-1751) en 4 volumes, cette fois.



"Le cinquième volume des Mémoires de Réaumur, l’un des rares ouvrages détaillés sur la question, est en effet hors de portée du lectorat visé : « par son prix, son étendue, et le sçavoir qui s’y trouve renfermé, [cet ouvrage] semble n’être que du ressort des Sçavans et des Curieux. » (Hist. , p. IX) Quant aux écrits antérieurs de Swammerdam ou Maraldi, ils semblent également inaccessibles : l’un, écrit en latin et en hollandais, « n’est point à l’usage des personnes que nous avons en vue » ; les textes du second se trouvent éparpillés dans les Mémoires de l’Académie des sciences, « et par conséquent hors de la portée des personnes qui en auraient le plus besoin. »

 

Si Bazin déclare d’emblée sa fidélité au texte de Réaumur, voire l’emprunt de certains passages à l’Académicien, tout le projet est fondé sur une approche plaisante d’un sujet difficile, grâce au dialogue, forme qui «[lui] a paru la plus propre à instruire, sans avoir un air dogmatique capable de rebuter des Lecteurs, qui, faute d’exercice, ne se croient pas en état de soutenir un discours suivi » ; l’utilité du savoir présenté, ainsi que le pittoresque des faits, primeront par ailleurs sur les détails savants : « Les Sçavans qui font des découvertes, les traitent en Sçavans : ils s’étendent & pésent sur des circonstances qui sont importantes entre eux, & pour le progrès des Sciences, mais souvent indifférentes, & quelquefois rebutantes pour la partie du Public qui est plus curieuse de connoître les découvertes, que la maniere dont elles ont été faites. […] L’ordre, les classes, les genres, les espéces dans lesquels M. de Réaumur a distribué toute la nombreuse famille des Insectes, les caractères spécifiques qu’il nous a indiqués pour les connoître & les distinguer, sont certainement la partie de son histoire qui marque le mieux sa profonde pénétration & sa grande capacité ; mais ce n’est pas ce qui plaît davantage au plus grand nombre des Lecteurs ; il y en a tel qui lui eût fait grâce de toute cette sçavante partie de ses Mémoires, pour le seul fait qu’il nous apprend, des petits bateaux que les Cousins sçavent faire pour mettre leurs œufs à flot»."




extrait de la revue Comètes,

Article de Nathalie Vuillemin (Université de Neuchâtel): Le dialogue aux prises avec la science des Lumières : Gilles-Augustin Bazin et les langues du savoir

http://www.cometes.org/revue/numeros/numero-1-le-dialogue-et-le-genre/nathalie-

vuillemin-gilles-augustin-bazin-et-les-langues-du-savoir/




“A Bee-hive is a commonwealth, of which every individual is a senator, a soldier, and a mechanic. She is governed by laws which every one approves of, and yields chearful obedience to; no parliamentary discords among them, no intestine wars, no arbitrary demands, no extorted obedience.”   James Bonner d'Édimbourg (Edinburgh), The Bee-Master's Companion, and Assistant... chez J. Taylor, Berwick, 1789.

Une Ruche est une république dont chaque individu est un sénateur, un soldat et un mécanicien. Elle est dirigée selon des lois que chacun approuve et auxquelles chacun se soumet avec joie et obéissance ; aucune discorde parlementaire parmi eux, aucune guerre intestine, aucune demande arbitraire, aucune obéissance extorquée."

 

 

 

SOURCES textes et images :


- http://apisite.online.fr/reaumur.htm

- http://kubaba.univ-paris1.fr/recherche/contemporain/conferencellulbeille.pdf (réaumur, alvéole)

- http://www.cometes.org/revue/numeros/numero-1-le-dialogue-et-le-genre/nathalie-vuillemin-gilles-

augustin-bazin-et-les-langues-du-savoir/

- http://www.apiwiki.eu/ver2/index.php?title=Organisation

- http://www.slought.org/files/downloads/exhibitions/SF_2005%5BBeehive%5D.pdf

- https://edit.britannica.com/getEditableToc?tocId=9015598

- http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k99227k (Mémoires de Réaumur, tome V)

- http://es.beekeeping.wikia.com/wiki/Steven_White (collateral boxes)

- http://www.martinatnewton.com/page2.htm (copies ruches vannerie)

- http://www.culturaapicola.com.ar/apuntes/libros/515_Sauvages.pdf

- http://es.beekeeping.wikia.com/wiki/John_Mills

- Patrimoine littéraire européen, Jean-Claude Polet, De Boeck Université (1997)

- http://www.culturaapicola.com.ar/wiki/index.php/Blangy

- http://web.bf.uni-lj.si/jbozic/queenm.htm#Detailed%20description%20of%20queen%20mating

%20behavior

- http://www.thezaurus.com/webzine/anton_jansha_slovene_apiarist

- http://www.culturaapicola.com.ar/wiki/index.php/Horno_de_abejas (senõrio de molina)

- http://www.adsapicolazaragoza.org/abejaresaragon.htm (cortes, daroca, piqueras)

- http://www.pierreseche.com/niches_a_ruches.htm

- http://www.les-bayards.com/mono15.htm

- http://warre.biobees.com/christ.htm (christ)

- http://www.pbase.com/jcliehn/image/83922641 (sculpture Birnau)



- Revue La Nature, du CNUM, Conservatoire numérique des Arts et Métiers (ruche Della Rocca)

- RUCHES et ABEILLES, Jean-René Mestre et Gaby Roussel, éditions CRÉER (images de Ravel)

 

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