ENCYCLOPEDIE -DE--LA--LANGUE -FRANCAISE

ABBAYE

 

--La --Médecine,
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L'Hôpital dans l'Antiquité
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AVERTISSEMENT

 


Nous allons donner ici des éléments pour comprendre les hôpitaux monastiques. Nous voulons parler ici des établissements relatifs aux soins des pauvres, des pèlerins, étrangers aux monastères. Ces lieux afférents à l'abbaye, mais pas compris stricto sensu dans sa clôture (la partie réservée strictement aux moines), ne doivent pas être confondus avec l'infirmerie de l'abbaye, réservée à la communauté des moines ou des novices, et dont l'étude suivra cette partie-ci, ni avec les hôpitaux traitant des maladies épidémiques, comme la peste, la lèpre, la variole, ou encore le feu de Saint Antoine ou l'ergot du seigle, etc... dont les malades sont accueillis dans des lazarets, maisons de pestiférés, maladreries, léproseries : ceci sera examiné au chapitre des maladies épidémiques.

Ajoutons que le sujet qui va suivre ne traitera pas non plus des thérapeutiques employées au sein des différents hospices monastiques mais plutôt de son cadre historique : Les soins relatifs aux maladies non épidémiques seront examinés au chapitre des soins, pendant que les maigres soins relatifs aux maladies contagieuses seront, quant à eux, évoqués dans le chapitre consacré à ces dernières, cité au paragraphe précédent.


Introduction


Si les mondes grecs ou romains ont possédé des établissements où on soignait des malades, il ne semble pas qu'il y ait jamais eu d'institutions hospitalières telles qu'on les a conçues au début de l'ère chrétienne, établis au nom de la charité. Il existait bien le Prytanée, mais on pourrait le comparer aujourd'hui aux cliniques privées de luxe...pas vraiment à la portée de toutes les bourses. Plus démocratique, cependant, il y avait. C'était les asclepions grecques, transmises aux Romains. Dans ces enceintes sacrées d'Esculape (dieu de la médecine), tout un chacun pouvait attendre du surnaturel la guérison, mais de là à être entendu des dieux, c'était une autre paire de manches ( voir médecine cultuelle). Notons par ailleurs, que dans les latifundias de Rome existait la valetudinaria (qui a donné le français valétudinaire), au sein de laquelle on ne portait assistance qu'aux esclaves et aux soldats...une précaution toute utilitaire, à cent lieux de toute idée charitable!

 
Pour mieux comprendre pourquoi on passe soudain de ces coutumes gréco-romaines peu sympathiques * à un message chrétien où la charité ** se traduit par de très nombreuses actions individuelles, il faut peut-être s'arrêter un peu au contenu de ce message.
 
« Portez secours aux malades et toute récompense viendra de Dieu » (épître de Jacques, versets 14-15). Ceux qui croient en moi, dit Jésus-Christ dans l'évangile de Marc (ch 16 :18) auront du pouvoir sur la maladie. Saint Paul énumère parmi les "dons de grâces" (charismata en grec) la faculté de guérison (1 Corinthiens 12 : 9). Le Christ lui-même demande à ses apôtres par la voix de Luc (10 : 9) : "Guérissez les malades qui s'y trouveront, et dites-leur : Le Règne de Dieu est arrivé jusqu'à vous. " Ces paroles ont joué un rôle essentiel dans le comportement des communautés chrétiennes. Puisque le Christ est le médecin, le médicament par excellence, les médecines humaines seront considérées souvent comme palliatives mais pas décisives, non essentielles pour sauver son âme. Ainsi, de l'antiquité au moyen-âge, et même au-delà, on rappellera toujours au malade son état de péché, cause principale de la maladie. Si on prend en considération sa souffrance, et ce dès l'antiquité, on lui rappellera toujours que la meilleure solution à son problème est Dieu, et qu'il faudra prier, expier son péché pour une véritable guérison. Cet aspect des choses doit s'ajouter à tout ce que le message chrétien contient d'incitation à la charité, envers les faibles, les malheureux, qui pousseront d'abord les chrétiens à donner un écho à la parole du Christ (voir Romains 12 :13, Hébreux 13 : 2, 1 Pierre 4 : 9, Jean 3).
 
* au sens étymologique du terme grec, sympateia : souffrir avec autrui)
** du latin charitas, action de chérir, traduction du grec agapê, amour spirituel
 
Dans les trois premiers siècles de l'ère chrétienne, on ne peut pas dire qu'il existe des hôpitaux chrétiens, mais seulement des initiatives individuelles pour apporter secours aux indigents. Ceci est le fait de nombreux évêques et de diacres de l'Eglise, mais aussi de riches particuliers. Dès le Ier siècle après J.C, on connaît l'exemple de Zenaïda (ou Zenaida, Zenais) et de Philonella (ou Philonilla), deux sœurs nées dans un milieu juif, riche et cultivé de Tarse (Tarsus, Tarsos, Tarzi, en Asie Mineure, région de Cilicie, en Turquie actuelle). Tarse est, rappelons-le, la ville d'origine de l'apôtre Paul, dont elles auraient été les cousines. Les deux femmes apprennent la philosophie, la médecine, et après leur baptême, s'installent d'abord dans des grottes de Thessalie, près de sources thermales dont elles utiliseront les bienfaits. Là, elles auraient organisé des monastères de femmes et un hôpital, où Philonella aurait travaillé de manière scientifique, s'opposant particulièrement à la médecine qui avait cours, mêlée de superstitions et de magie. Vers la fin de sa vie, Zenaïda se serait même intéressée à la psychiatrie, et aurait accueilli des dépressifs qu'elle considérait comme de vrais malades et pour qui elle tentait de trouver des remèdes. Sa sœur était plus contemplative et trois de ses enfants spirituels, Papias, Pateras et Philocyrus ont construit un monastère d'homme pas loin de l'hôpital des sœurs saintes.
 
Constantin qui, par son édit de 313, donna aux chrétiens une entière liberté de culte, fit lui-même construire un hôpital pour les pèlerins en Terre Sainte, ainsi que plusieurs églises et monastères. Cependant, jusque-là, n'oublions pas que les chrétiens agiront parfois au péril de leur vie, persécutés par les païens. Ainsi en avait-il été de l'archidiacre romain Lorenzo, tombé sous les sauvages persécutions de Valérien en 258. Il aurait été parmi les premiers chrétiens à avoir fondé ce qu'on a appelé les pauperae gymnasia, dévolus à l'accueil des pauvres, malades ou impotents, tous frappés d'infirmitas, cet état de faiblesse physique, sociale ou morale. Ceux qui sont dans cet état sont des pauperes, comme le pauper aegrotus, le malade, le pauper infirmus, l'infirme, le pauper debilis ou imbecillus : le faible le transeunte, le voyageur de passage, le peregrinus : le pèlerin étranger, et enfin, dernier exemple, le decrepitatus : le vieillard.
 

 L'Hôpital  
Grégoire de Naziance, Gregorius Nazianzenus, Orationes
Saint Grégoire de Naziance et Basile le Grand soignant les pauvres et les malades, Turquie 879 - 882, BNF Grec 510, f. 149.
 


Le premier hôpital chrétien dont nous avons une description a été fondé par Basile de Césarée, fondateur de monastères et d'une règle célèbre, et moine lui-même. Cependant, il ne s'agit pas là d'un hôpital monastique à proprement parler, Basile était alors prêtre, puis évêque de Césarée et son hôpital n'était pas géré par des moines. Il n'avait pas été, sans doute, le premier à fonder un tel établissement. À Byzance, le concile de Nicée, en 325 apr. J-C, avait déjà prescrit aux évêques de disposer d'un tel lieu dans chaque ville. En tout cas, Basile fonde de 369 à 374 le Ptôcheion de Césarée ( de ptô, pauvre et cheion, lieu), modèle de xenodocheion (xenos = étranger), établissement où les voyageurs et les pauvres sont hébergés et soignés. Le Ptocheion comprenait des pavillons pour les malades, des chambres pour les voyageurs, une infirmerie, une léproserie, une église, un atelier de rééducation professionnelle pour les chômeurs, des bâtiments pour les médecins, d'autres pour les infirmiers, etc...
 
On appela cet hôpital une "Basilias", et l'ampleur de cette réalisation, grand comme une cité, avait passablement impressionné Grégoire de Naziance, son ami, au point où ce dernier l'appela "une facile ascension au ciel". Cet exemple allait être suivi un peu partout en Orient et en Occident et Byzantins et Romains, laïcs ou clercs, allaient recueillir naturellement cette expérience.
 
C'est donc naturellement Byzance qui transmet aux Latins les termes qui serviront à désigner les espaces hospitaliers créés en Occident. Ils deviendront, en latin, le "nosocomium" réservé au malade, le "brephotrophium" pour enfants trouvés, le l'orphanotrophium pour orphelins, le "ptochium" pour le pauvre qui était incapable de travailler (c'est le ptôcheios grec, vu plus haut) le "gerontochium" pour les personnes âgées. De tous ces termes, le xenodochium sera le plus employé en Occident (c'est le xenodocheion grec,vu plus haut), quand on ne parlera pas d'hospitalia (littéralement : la chambre pour les hôtes). Le fait n'est pas dû au hasard : les xenodochia d'Occident seront au départ des lieux d'accueil des pèlerins (peregrini) :
Vestiges du xenodochium de l'abbaye Saint-Jean de Sorde, étape importante sur les chemins de Compostelle en pays Basque et de Béarn :
Il ne faut donc pas imaginer ces fondations comme des hôpitaux au sens moderne du terme, non : "L'assistance se bornait à offrir à tout le monde une halte reposante et de la nourriture. Les soins comportaient le plus souvent une série de prestations génériques et indifférenciées dans le but de calmer la douleur." extrait de Histoire de la pensée médicale en Occident, tome 1 : Antiquité et Moyen-Age, sous la direction de Mirko D.Grmek, éditions du Seuil, 1995)
 
L'entreprise byzantine allait être suivie un peu partout en Orient et en Occident et Byzantins et Romains, laïcs ou clercs, allaient recueillir naturellement cette expérience.
 
On citera rapidement les actions hospitalières connues, pour rendre plus précisément compte qu'à cette époque, les monastères ne jouent pour ainsi dire aucun rôle à ce sujet :

1) en Orient :celle de Mélanie l'Ancienne, vers 381, achevant de bâtir à Jérusalem, en plus d'un monastère, un hôpital pour les pèlerins et les malades. Celle de l'évêque Brassianus à Ephèse, de Jean Chrysostome à Constantinople, où œuvrait la sœur de Théodose II, Pulchérie (Pulcheria) qui aurait fondé "multa publica hospitum et pauperum domicilia", ainsi que l'empereur Justinien. Ce dernier rénovera en effet en profondeur l'organisation des hôpitaux vers 530, une organisation dont s'inspirera longtemps l'Occident. Du Cange énumère 35 établissements de la sorte dans la ville seule de Constantinople, dans son Historia Byzantina, tome II, au chapitre Constantinopolis Christiana. Il faut évoquer l'action de Jean le Bienfaiteur (vers 610) à Alexandrie,
 
2) en Occident : Vers 400, une riche romaine très chrétienne, Fabiola, établit un nosocomium pour regrouper les malades des rues et nourrir les misérables (Ep. LXXVII; "Ad Oceanum, de morte Fabiolæ", P. L., XXII, 694). Le Sénateur Romain Pammachius fonde un xenodochium à Porto que saint Jérôme loue dans sa lettre sur la mort de Paulina, la femme de Pammachius (Ep. LXVI, P. L., XXII, 645). Le pape Symmachus (498-514) construit des hôpitaux attachés aux églises Saint-Pierre, Saint-Paul et Saint-Laurent (Lib. Pontif. Moi, No 63, p. 263). Pendant le pontificat de Vigilius (537-555) Bélisaire (Belisarius) fonda un xenodochium dans le Via Lata à Rome (Lib. Pontif, l. c. 296). Pélage II (Pelagius, 578-590) convertit son logement en un refuge pour les pauvres et les vieillards.

On peut constater ainsi que, durant plusieurs s
iècles, et jusqu'à ce que les cités occidentales ne se désagrègent suite aux invasions barbares, les espaces hospitaliers naîtront surtout à l'ombre protectrice des demeures ecclésiales (évêchés, églises, cathédrales, etc..) ou laïques (demeures princières, de riches citoyens, etc...), ou encore des sanctuaires importants (Saint-Martin-de-Tours), en Gaule, en Italie, en Espagne :
 
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Xenodochium dépendant de l'évêché de Mérida, VIe siècle, fondé par l'évêque Mausona (ou Masona, vers 571 - 605). C'est la seule construction wisigothique non liturgique visible à ce jour sur le sol espagnol.
1 et 2 : Reconstitutions 1) de la vue générale de Mérida, 2 supposée du xenodochium lui-même ((Mateos Cruz, 1999).
3, 4, 5 : Photos des vestiges archéologiques : Remarquez en 5 le caducée symbole d'Asclepios (Esculape), dieu de la Médecine.
 
Quand la ville ne remplira plus son rôle de cité, quand les moines errants s'attacheront à la clôture, alors les monastères développeront leurs dépendances hospitalières, souvent avec le concours de l'épiscopat. Ainsi, pendant plusieurs siècles, et ce jusqu'à la progressive laïcisation des sciences (et de la culture en général) qui commença grosso modo au XIIe siècle, le savoir médical sera entretenu par les monastères : c'est dans les monastères que les manuscrits sont recueillis, copiés, traduits. Ce sont surtout les clercs qui, avant que les cités ne se peuplent, ne se développent à nouveau, conservent, préservent et entretiennent la culture et, surtout, qui savent la déchiffrer.
 
 
 

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