ENCYCLOPEDIE -DE--LA--LANGUE -FRANCAISE


Moralia in Job de Grégoire le Grand

scriptorium de l'abbaye de Cîteaux
1111

Bibliothèque Municipale de Dijon
Manuscrit 173, folio 103v

Initiale P du livre 28
Lutte de créatures hybrides, zoomorphes et anthropomorphes
 

-ABBAYE
  -ABBAYE DE CÎTEAUX

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MORALIA IN JOB
(Morales sur Job)

de Grégoire le Grand

Bibliothèque Municipale de Dijon
Manuscrits 168, 169, 170 et 173

env. 35 cm x 22,5 cm

1111

 


HISTOIRE


Le texte de cette Morale* sur Job (Moralia in Iob, Moralia Gregorii, Magna Moralia, Moralium libri, Moralia sive Expositio in Iob, Expositio in librum Iob) est un de ceux qui fut le plus copié au moyen-âge. L'auteur en est le futur pape Grégoire le Grand (Gregorium Magnum, 540 - 604 ) et l'oeuvre commente la morale du livre de Job.

* MORALE : du latin : moralis, de mores, mœurs : Moralia ne désigne pas la Morale elle-même, mais plutôt des oeuvres morales, au pluriel. ou, plus rarement une oeuvre morale, au singulier. C'est pour cette raison qu'on dit plutôt Les Moralia, concernant certains traités ou commentaires sur la Morale.

Le pape Benoît Ier avait ordonné Grégoire et sept autres religieux comme diacres de Rome (regionarii) et l'avait envoyé comme apocrisiaire* (apocrisiarius) à Constantinople, mission reconduite par Pélage II, le successeur de Benoît, en 579. De 579 à 581 environ, où il oeuvrera à deux tâches importantes : La controverse avec Eutychius, le patriarche de Constantinople, sur la nature des corps après la résurrection*, et la rédaction des Moralia.

* APOCRISIAIRE : "L'on s'est demandé si l'ancienne figure de l'apocrisiaire n'était pas un ancêtre des nonces de l'époque moderne et contemporaine. Certains auteurs le contestent [3] . L'apocrisiaire, qui représentait le pape auprès de l'empereur à Constantinople, était en fait « le symbole et l'instrument d'une alliance entre l'Église et l'Empire » [4] : il représentait auprès de l'empereur la doctrine et les intérêts spirituels de l'Église de Rome avec, par conséquent, un poids et une portée autre que ceux des apocrisiaires des patriarches d'Alexandrie, d'Antioche et de Jérusalem. Mais il est tout de même difficile de voir dans l'apocrisiaire un véritable représentant diplomatique du pape à Constantinople, car, compte tenu du contexte politique et de la nature des relations d'alors entre l'Église et la communauté civile, l'apocrisiaire se limite à mettre en rapport deux autorités complémentaires au sein d'une même société, non deux autorités distinctes d'une même nature, comme ce serait le cas de deux gouvernements. (...)"

"[3] C'est le cas de K. WALF, Die Entwicklung des päpistlichen Gesandschaftswesens in dem Zeitabschnitt zwischen Dekretalenrecht und Wiener Kongress (1159-1815), Munich, 1966, p. 63.
[4] M. OLIVERI, Natura e funzioni …, o.c., p. 81."

extrait de : http://dom.letourneau.free.fr/mission_ad_extra.htm

* RESURRECTION : "Après la gloire de la résurrection, notre corps deviendra subtil par un effet de la puissance spirituelle dont il sera revêtu, mais il demeurera palpable en vertu de sa nature première, et il ne sera pas, comme l'a écrit Eutychius, impalpable et plus subtil que l'air et les vents." extrait des Aurea Catena = la châine d'or ou les explications des quatre Evangiles, de saint Thomas d'Aquin.

C'est en officiant à Constantinople que Grégoire prêcha une série de sermons à propos du Livre de Job. Ces sermons ont d'abord été notés et retranscrits de manière abrégée sur des tablettes de cire.
Puis, ce nouveau texte a été retranscrit, sur des rouleaux de papyrus et les tablettes de cire ont été lissées pour être réutilisées.
Trente cinq rouleaux de papyrus ont été employés pour ces Moralia (correspondant à 35 chapitres).

C'est vers 583 que Grégoire alla offrir ses Moralia à Léandre de Séville. Dans la dédicace de son oeuvre, Grégoire se reprochera d’avoir trop attendu pour suivre sa vocation de moine, qu’il sentait posséder depuis longtemps. Grégoire ne fut pourtant réellement moine que de 575 à 579, ce qui ne l'empêcha pas de vivre à Constantinople de manière presque conventuelle en compagnie d'un bon nombre de ses frères qu'il fit venir du Cælius, pour qui il fit transcrire son oeuvre en premier.

Après que Grégoire est devenu pape en 590, le texte a été retranscrit encore une fois, cette fois sur parchemin, six en tout, écrit en onciales.

Les cinq livres des Moralia de Grégoire sont à lire en latin ou en anglais sur le site :
http://ccat.sas.upenn.edu/jod/gregory.html


L'OEUVRE DE CÎTEAUX

 

Voici donc, après la Bible d'Etienne Harding (1090-1100), le deuxième manuscrit décoré qui nous reste des premiers temps de Cîteaux, et quelle surprise encore, de voir que ce premier style cistercien* n'a rien d'austère, au contraire ! Les quatre codices de Cîteaux, datés de 1111 présentent un décor enluminé aux couleurs vives, aux personnages vivants, sans que l'on sache vraiment qui l'a produit au scriptorium de l'abbaye, même s'il est fort probable que l'abbé Etienne Harding y a mis sa patte, comme ce fut le cas pour la Bible qui porte son nom.

* PREMIER STYLE CISTERCIEN : "Trois styles ont pu être distingués dans les enluminures de Cîteaux au XIIe siècle. Le premier, le plus connu, se distingue par l'extraordinaire vitalité de ses sujets. Qu'il s'agisse d'êtres humains, d'animaux ou d'entrelacs végétaux ornant les lettrines ou de lettres composées elles-même de plusieurs personnages, l'inspiration que les moines peintres tiraient de leur environnement quotidien alliée à la qualité artistique de l'exécution font des oeuvres de cette série l'un des sommets de l'enluminure, et ceci malgré certaines restrictions imposées par l'exigence de simplicité propre à Cîteaux, comme le nombre réduit des couleurs employées ou encore l'utilisation du parchemin lui-même comme fond.
Le deuxième style, qui s'épanouit à partir des années 1120, est dit ‘byzantin' en raison des influences orientales qu'il révèle. Celles-ci se manifestent dans le caractère hiératique de compositions pouvant occuper une pleine page, mais aussi dans certains détails décoratifs, grecques ou arabesques.
C'est aux exhortations de saint Bernard en faveur du dépouillement que l'on attribue le troisième style, caractérisé pas des lettres monochromes, ce qui n'empêche pas la polychromie au sein d'un même mot par juxtaposition de lettres de couleurs différentes. étant donné les contraintes imposées, la créativité artistique se réfugie dans la finesse du trait et la richesse des filigranes qui atteignent alors des sommets, tandis que la palette utilisée s'enrichit de nouveaux coloris. Ce style apparaît à une période de définition des règles de fonctionnement de l'Ordre en pleine expansion qui est, par conséquent également, un moment de grande production de livres."

extrait de : http://users.belgacom.net/merton/patrim.htm

On admire parfois les miniatures des Moralia de Cîteaux, leurs scènes violentes (guerres, combats), sauvages (luttes d'animaux) ou celles, plus apaisées, de la vie quotidienne des moines (moisson, bûcheronnage, etc...) ou, plus généralement, de la vie féodale de l'époque, sans vraiment comprendre leur profonde signification. Pourtant, c'était chose courante de manier l'allégorie pour éclairer les choses spirituelles, par nature incompréhensible de l'entendement seul, pense t-on. De plus, les Moralia ne sont pas la seule oeuvre où Grégoire met en scène des animaux jouant pour le lecteur la lutte du bien et du mal : Grégoire appliqua aussi l'interprétation tropologique aux animaux de ses Dialogi (Dialogues). Par ailleurs, il ne faut jamais oublier le contexte historique et le message que peut vouloir faire passer celui qui dirige le travail du manuscrit.

La principale préoccupation morale de Grégoire, dans les Moralia, est celle du combat spirituel à mener pour le chrétien, qui doit se tenir sans cesse sur la brèche, d'autant plus que plus il avance sur le chemin de sainteté, plus le combat est rude : cet aspect des choses a été particulièrement bien étudié par Conrad Rudolph dans "Violence and Daily Life : Reading, Art and Polemics in the Cîteaux Moralia in Job." (Princeton University Press, 1997) Ce combat reflète bien aussi celui que les fondateurs cisterciens sont en train de mener. C'est pour cela qu'on y voit tant de scènes de luttes, où l'homme (moine ou laïc) est l'instrument de Dieu, qui tord le cou aux démons multiformes du Malin, qui se met en travers de sa route pour le faire chuter (ill. 1, 9, 10, 16, 19) .Il faut admirer les chevaliers ou autres cavaliers et combattants qui sont illustrés, comme autant de soldats (miles) du Christ. Ces miles christi, on les connaît individuellement depuis le début de la dynastie Carolingienne, mais dans le courant du XIIe siècle, ils finissent par former un nouveau corps d'élite , un genre de personnes (ordo) à la fois moral et guerrier, à la fois ordo militaris et militia spiritualis.

Mais l'approche des manuscrits ne doit être à ce point réductrice, il suffit de s'y pencher attentivement pour s'en rendre compte : Témoin d'une époque, l'enlumineur illustre celle-ci consciemment ou non quand il emprunte des exemples de la vie quotidienne, même si son décor est au service d'un but pour lui plus élevé, leit-motiv en filigrane de l'oeuvre qui ne peut en aucun cas se substituer entièrement à elle. Car l'auteur est un homme de la féodalité médiévale, où les aristocrates montent et chassent à cheval, font la guerre (ill. 12, 17 et 20) et on y cherchera en vain une présence maléfique quelconque : un cavalier fait une chute de cheval, un autre chasse au faucon, d'autres défendent une tour. Bien entendu, on peut lire au travers de la représentation des moines une glorification personnelle de leur vie, si conforme à l'exigence de la règle bénédictine, même si ce n'est pas un hasard de ne trouver que très peu de scènes spirituelles (ill. 5) dû à la fois au thème traité et, sans doute, à la situation des Cisterciens de défendre une vie autarcique et pauvre : Loin de se faire entretenir par d'autres, les moines travaillent beaucoup manuellement. Ils défrichent leurs terres (ill.7 et 11), moissonnent (ill. 13), même s'ils reconnaissent implicitement ne pas y arriver seuls : (ill. 11, 15? 18?). Leur pauvreté se voit à leurs haillons (ill. 7, 8, 11), images qui pour Rudolph rappellent encore l'autosatisfaction, mais qui reflètent bien la réalité, si on se rappelle que les moines de Cîteaux sortaient tout juste d'une situation de famine quand les Moralia ont été enluminés. Enfin, il ne faut pas ôter à ce très beau travail ses qualités d'humour, que le décorateur possédait indubitablement : Il n'est que de voir les initiales formées par les contorsions des jongleurs (ill. 4), par la courbure du dos des moines, marque de la pénibilité de leur tâche, comme leur rictus (ill. 7), par le pitoyable numéro des montreurs d'animaux (ill. 13) pour s'en convaincre.

En plus d'être facétieux, nous allons voir que l'artiste porte l'art de l'initiale à maturité et dépasse de loin le cadre historié : En fait, le corps de l'initiale disparaît, il est entièrement figuré, comme ce qu'il contient. C'est la scène qui donne corps à la lettre, et non l'inverse.

 
 

Ms 168

1--fol. 4 v, détail Initiale "R" de la page de dédicace. Un chevalier combat un dragon avec son serviteur.
2--fol. 5, détail Grégoire (Gregorius) offre son livre à l'évêque Léandre, frère d'Isidore de Séville, agenouillé devant lui. Les deux personnages sont revêtus de leurs habits épiscopaux : Dalmatique au-dessus, aube au-dessous,et sont munis de leur crosse.
3--fol. 7, détail Grégoire.

Ms 169

4--fol. 5, détail Initiale "S" formée de jongleurs.

Ms 170

5 --fol. 6v, détail Initiale "Q" du livre 11. Un religieux prie un ange.
6 --fol. 20, détail Initiale "M"du livre 12. Les deux moines forment les hampes du M.
7 --fol. 59, détail Initiale "Q" du livre 12. Deux moines fendent du bois.
8 --fol. 75v, détail Initiale "Q" du livre 16. Moine en train de moissonner
 

Ms 173

9 --fol. 20, détail Initiale "Q" du livre 20. Un cavalier attaque un dragon
10 - fol. 29, détail Initiale "Q" du livre 20. Un homme attaque un dragon
11 -fol. 41, détail Initiale "I" du livre 21. Essartage d'un arbre par les moines. L'essartage est la préparation à la culture : défrichage, abattage : ici des branches, par un convers, un paysan, voire un novice (non tonsuré, donc) puis du tronc, par un moine.
12 fol. 47, détail Initiale "Q" du livre 22. Un cavalier est désarçonné
13 fol. 66, détail Initiale "H" du livre 24 Les montreurs d'animaux (ici lapin et singe) forment les fûts de la lettre H
14 fol. 80, détail Initiale "I" du livre 26. Un abbé (Harding ?)
15 fol. 92v, détail Initiale "Q" du livre 27. Drapiers séparant laine et tissu
16 fol. 122, détail Initiale "B" du livre 30. Homme en lutte contre des créatures zoomorphes et hybrides
17 fol. 133, détail Haut de l'initiale "I" du livre 31. Des guerriers défendent une tour
18 fol. 148, détail Initiale "S" du livre 32. Battage du blé
19 fol. 156, détail Initiale "A" du livre 33. Homme et créatures zoomorphes et hybrides
20 fol. 174, détail Initiale "Q" du livre 35. Scène de fauconnerie. Chasse au vol de faucon.A droite, esquisses du gibier : canards, échassiers...

 
 
Sources :

http://www.enluminures.culture.fr/documentation/enlumine/fr/rechguidee_00.htm :
Un site exceptionnel tant par sa qualité que par sa profusion de miniatures !

http://www.hrionline.ac.uk/luceneweb/cistercians/results.jsp?query=moralia (ms 173 fol.103v)
http://www.arthistory-archaeology.umd.edu/resources/modules/monsters/sld038.htm (ms 168 fol. 4v)
http://membres.lycos.fr/ikyo/lettre_gothiqueprim/media/goth_prim_02.jpg (ms 173 fol.41)
http://cistercians.shef.ac.uk/image_gallery/pages/0193.php (ms 168 fol 5)

 
 
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