ENCYCLOPEDIE -DE--LA--LANGUE -FRANCAISE

-ABBAYE
  -Lieux et vie de l'abbaye
 
 
L'habit du moine
Du VIe au VIIIe siècles
 

 

 

 


 

L'habit monacal

L'habit liturgique

 


 
 
L'habit monacal
 
 

 
Après les invasions barbares du Ve siècle, le costume du moine prend une nouvelle tournure. D'abord, les laïcs quittèrent l'habit long pour adopter les vêtements courts des envahisseurs barbares. Les religieux conservèrent les longs vêtements, prenant parti de se distinguer, en un moment où ils représentaient pour le peuple un modèle, un repère, au beau milieu de la confusion, de l'indigence spirituelle et matérielle qui régnait alors. Les longues tuniques à l'orientale furent souvent dès lors des signes visibles d'une appartenance religieuse, avec la dalmatique, le colobe, la lacerne ou la pénule par-dessus.
 
Avant de détailler les vêtements que nous venons de citer et dont il n'a pas encore été question, ajoutons que la règle bénédictine, répandue à compter de la seconde partie du VIe siècle, taillera d'un peu plus près le costume du moine. Un peu plus, disons-nous, car nous allons voir bientôt qu'en la matière, comme en bien d'autres, saint Benoît laissait aux abbés une relative liberté. D'autre part, il ne faut pas oublier que la règle de Benoît se propagea progressivement, et qu'il y eut, jusqu'à la fin du VIIe siècle, de nombreux monastères, de nombreuses abbayes ne suivant pas la règle bénédictine ou la suivant de manière mixte, avec d'autres règles. Enfin, même lors de la codification de la règle par Benoît d'Aniane, l'habit monastique ( et ecclésiastique en général), ainsi que la vie religieuse en général, fut l'objet de bien des recommandations (voire d'obligations), mais observées de manière très inégale, il faut le dire.
Mais revenons à la règle de Benoît, s'agissant de la tenue du moine :
 
"Les frères porteront des vêtements adaptés à la diversité des climats et aux variations
de la température car il en faut davantage dans les régions froides, et moins dans les pays chauds. Qu'on s'en remette pour cela à l'appréciation de l'abbé. Nous indiquerons toutefois ce qui nous paraît suffire dans les endroits tempérés : chaque moine revêtira la tunique [tunica]et la coule [cucullus], coule d'étoffe épaisse en hiver, de drap lisse ou élimé en été ; en outre, un scapulaire [scapulare] de travail, des bas [pedule]et des caliges [caliga] . De tous ces effets la couleur ou la qualité ne sont point pour les moines matière à discussion : on les prendra telles qu'elles se présentent dans le pays où l'on vit, et au meilleur marché possible.
L'abbé réglera la mesure des vêtements, prenant garde qu'ils ne soient point trop courts, mais proportionnés à la taille de ceux qui les portent. Le frère qui en reçoit de neufs doit toujours en même temps restituer les vieux et les déposer au vestiaire pour être donnés aux pauvres. Deux tuniques et deux coules suffisent au moine, pour se changer la nuit, comme aussi pour les laver : le surplus serait inutile, et, dès lors, il le faut supprimer. Les sandales aussi, et en général toutes les vieilles hardes, rentreront au dépôt quand on en retire du neuf."
Extrait du chapitre LV de la règle de Saint-Benoît ; les parties en gras ne font pas partie de l'original et sont des notes de l'encyclopédiste.
 
Un peu plus loin, Benoît parle du nécessaire donné au moine par l'abbé, et cite comme autres vêtements la ceinture et le mouchoir.
Revenons maintenant aux vêtements que nous avons cités pour les examiner de plus près. Nous avons déjà examiné la tunique, le colobe et la dalmatique, la coule ; voyons donc ce qu'étaient la lacerne et la pénule, version d'un même vêtement, puis le scapulaire prescrit par Benoît.
 
Venue de Gaule, portée aussi bien par les hommes que par les femmes, la pénule (pœnula ou pænula) était plus courte que le pallium (Cicéron, De Oratore), Ce vêtement antique, inspiré de la chlamyde grecque, était très utilisé par les romains en voyage ou les jours d'intempéries. Cette sorte de pardessus ample, sans manche, tombait dans le dos jusqu'aux talons et s'agrafait à l'épaule par une fibule (Martial, Épigrammes), assortie d'un capuchon, jouant le rôle d'une cape imperméable (Suétone, Vies des douze Césars).
"Selon la manière de l'ajuster, il était appelé lacerne (lacerna) ou pénule, forme copiée d'un vêtement barbare :
Marc Aurèle graciant des prisonniers Teutons. Bas-relief de l'arc de Constantin, 176 de notre ère. Palazzo Conservatori, Rome. Les soldats portent la lacerne, agrafée aux épaules par une fibule.

Les mains sortaient de la lacerne par des fentes pratiquées sur les côtés. La pénule, lorsqu'elle était fendue, ne l'était que par devant, depuis le bord inférieur, jusqu'au milieu du corps. Les bras se trouvant complètement emprisonnés, on ne pouvait agir qu'en relevant les pans de la pénule sur les épaules. C'est un inconvénient auquel on remédia en échancrant la pénule sur les côtés, forme sous laquelle elle prit le nom de birre (byrrhus)." Extrait de Histoire du costume en France, de Jules Quicherat (1875)
Chrétien portant le birre (Perret, Catacombes de Rome, tome V)
 
La pénule pouvait aussi être désignée sous le nom de casula "petite cabane" (casa) selon Isidore ( De Origin, XIX, 21), parfois planeta, parce qu'elle était errante et flottante autour du corps. C'est la chasuble (casula), car elle recouvrait alors, tout le corps. C'est un vêtement très populaire, ample, choisi peut-être par les moines par humilité, comme le prescrit saint Benoît.
Cet éclairage sur la pénule doit nous faire comprendre aussi que, de même qu'à notre époque, les noms de vêtements étaient très souvent génériques, et s'entendaient de bien des variations du même vêtement, quand la même appellation n'était pas donné à des vêtements visiblement différents. Par exemple, quoi de commun entre la pénule de saint Côme (1) et celle du saint de la Madonne (2), ci-dessous ( A noter que saint Pierre porte des sandales à lanières étroites, et saint Côme des chaussures entièrement fermées) :
12
 
1. Saint Pierre et saint Côme. Détail de la mosaïque absidiale de Saints-Côme-et-Damien, vers 530, Rome. Saint Côme, au premier plan à droite, porte la pénule au-dessus de sa tunique. Saint Pierre porte une tunique laticlave sous un pallium.
2. La Madone avec des saints. Relief en ivoire, Ve siècle. Musée copte, Le Caire. Le saint à droite porte une pénule qui ressemble déjà fort à une chasuble. Le saint de gauche porte une dalmatique.
 
Le scapulaire prescrit par saint Benoît avait aussi été adopté par les moines orientaux, sous le nom d'analabus. Le mot vient du latin scapulare, épaule et, du temps de Benoît, il était une sorte de tablier de travail servant à protéger le vêtement porté en dessous (Benoît dit lui-même "scapulare propter l'opera"). Il était fait de deux morceaux d'étoffe tombant devant et derrière le corps du moine, le plus souvent très bas, mais sa longueur varie beaucoup dans l'histoire religieuse, spécialement dans des ordres actifs comme celui des Carmes, où il ne tombe devant qu'au niveau de la poitrine, mais ceci ne concerne pas ici notre sujet. Par ailleurs, on pouvait lui adjoindre une coule.
 

Chausses, Chaussures

 
S'agissant des bas, l'antiquité n'en a pas fait usage, et Quicherat nous explique pourquoi avant de nous détailler le sujet :
"C'est lorsque les soins de la propreté cessèrent de faire partie de l'éducation , et lorsqu'on perdit l'habitude des ablutions fréquentes, que les bas apparurent. A l'origine, ils n'eurent pas de nom particulier. On les appela tibialia, de même que les jambières connues auparavant, ou bien caligae*, à cause de leur analogie avec les souliers en forme de brodequins. La rencontre de ces mots dans les textes, à l'époque où nous sommes arrivés, est donc assez embarrassante, car à moins de circonstances particulières qui mettent à jour la pensée de l'auteur, il est impossible de décider s'il a voulu parler de bas, de gamaches ou de souliers.

On peut tenir pour certaine la mention d'un bas dans un passage de la Vie de sainte Radegonde par 1a religieuse Baudonive. Il y est rapporté, comme un trait de l'humilité de cette princesse dans les derniers temps de sa vie, qu'elle s'était taillé une paire de manchettes dans l'une de ses caliges. Cette calige ne pouvait être qu'un bas de soie, non pas un bas tricoté, car l'ouvrage de mailles ne sert à faire les bas que depuis trois cents ans, mais un bas fait de pièces assemblées. Un peu plus tard, on forgea le mot calcia sur calceus, qui était en latin le terme générique pour désigner tous les souliers montants. C'est de calcia (calciæ, au pluriel) que vient le mot français chausses, le seul par lequel les bas aient été désignés au moyen âge, et celui que nous emploierons jusqu'au moment où il a changé de sens.

Il existe en nature des chausses d'une grande antiquité qui nous font voir la façon primitive de cet objet.
Le plus ancien échantillon est une relique de saint Germain, abbé de Moutiers-Grandval dans le Jura bernois, qui mourut en 677**. C'est, une seule chausse. On la conserve dans l'église de Délémont. Elle est d'un tissu de lin analogue au basin, composée de deux parties, le pied et la jambe. Il y a cela de curieux que chacune de ces pièces a été tissée en rond; par conséquent l'aiguille n'a pas eu à faire son office dans le sens de la longueur; elle n'a été employée que pour joindre les deux morceaux, et pour faire à l'ouverture une coulisse dont le dessus est orné d'un galon de couleur. La forme est très imparfaite; il n'y a pas de talon. Bas du VIIe siècle (Quiquerez, Bulletin de la Société pour la conservation des monuments historiques de l'Alsace, 1866).
 
Comme quelques personnes pourraient s'étonner qu'on ait tissé en rond, à une époque où l'on n'avait pas les métiers qui servent aujourd'hui à cette sorte d'ouvrage, nous leur dirons que ce procédé remontait aux temps les plus anciens. Chez tous les peuples civilisés de l'antiquité, le talent d'une mère de famille consistait à savoir faire une robe sans couture, comme celle de Jésus-Christ dont il est parlé dans l'Évangile. C'est ainsi que furent le plus souvent fabriquées les tuniques en forme de sac sans fond, dont il a été question ci-dessus.
 
Nous recourrons encore ici au trésor si riche en antiquités de la petite église de Délémont. Il possède les chaussures qui s'accommodèrent avec le bas primitif décrit précédemment, car elles sont aussi des reliques de saint Germain du Jura. Elles consistent en une paire de souliers de basane noire, autrefois vernie :

Profil et dessous des souliers de saint Germain de Moutiers-Grandval. (Quiquerez, l, c.)

Ces souliers ont été brodés sur l'empeigne et bordés sur tous leurs contours avec de la soie pourpre. L'empeigne est découpée de manière à produire sur le dessus une languette de la forme d'un fer de flèche. Une bride s'élève en avant du cou-de-pied. Deux oreillettes pratiquées sur le bord, au-dessus des chevilles du pied servent de points d'attache à des cordons de cuir blanc que 1'on tournait autour de la jambe. Le quartier est extrêmement élevé, le dessous du talon garni d'une plaque de renfort, taillée en cœur. La chaussure est d'une seule pièce; il n'y a de couture que sous la plante du pied et sur 1e côté intérieur. C'est de point en point le soulier que Jean le Lydien décrit sous le nom de campagus, comme l'un des attributs de la dignité sénatoriale au sixième siècle. Il est figuré dans les mosaïques de Ravenne et sur d'autres monuments.

Nous pouvons maintenant faire un rapprochement très intéressant entre les précédents souliers et celui, isolé, qui a été retrouvé (en plus d'une paire) à l'abbaye de Chelles, traditionnellement attribuée à la reine Bathilde, mais qui aurait appartenu aux évêques Genès ou Eloi. Ce point de vue s'appuie sur deux arguments : la chaussure, de grande taille, est manifestement de pointure d'homme, et, de plus, on sait que de telles chaussures avaient été octroyées aux évêques par les papes, pour le service liturgique. Le soulier de Chelles est d'un fin cuir* noir maroquiné à l'intérieur; ils ont pour attaches des courroies passées dans des oreillettes, et pour ornement des appliques de cuir doré ou des festons exécutés au point refendu avec des soies de plusieurs couleurs :

* CUIR : la vie de saint Columban (vita Columbani), écrite par Jonas de Bobbio en 642, raconte un épisode où l'homme de Dieu tombe sur un ours occupé à dévorer un congénère tué par une meute de loups. Il commande alors à l'ours de ne pas toucher à la dépouille même de la bête, car il a besoin de cuir pour en faire des chaussures.

 
1.----2. -
Soulier du VIIe siècle appartenant au trésor de l'abbaye de Chelles.
1. Détail de l'empeigne, de la languette et du quartier droit.
2. dessin de la Revue archéologique, 1856.

 
Du temps de Grégoire de Tours l'usage était que les futurs mariés fissent cadeau à leur prétendue d'une paire de souliers. Ce devaient être de jolis souliers. S'il est permis de se faire une idée du luxe qu'ils comportaient par ceux de Délémont et de Chelles, on devra se garder cependant de transporter aux uns la forme des autres. Les chaussures dont on vient de lire la description, outre qu'elles furent des chaussures d'homme, se distinguent encore par un caractère particulier. Elles nous représentent les diverses variétés du soulier qu'étaient tenus de porter les ecclésiastiques lorsqu'ils célébraient les offices; car il y eut dès lors un costume sacerdotal".
A ce stade, nous nous rendons compte qu'avoir une idée du costume monastique consiste à en avoir plusieurs, et la réalité du sujet est ainsi faite, nous l'avons dit au départ, que l'uniformité du vêtement du moine n'existe pas à cette époque. D'ailleurs, nous n'avons pas du tout fini de le remarquer, toujours avec Quicherat :
 
"Les moines qui se rattachaient à l'observance de Saint-Basile étaient encore habillés à la grecque du temps de Clovis, et c'est pourquoi le concile tenu à Orléans en 511 caractérise leur profession par l'adoption du pallium. La défense qui leur fut faite en même temps de porter des tzangues prouve la même chose, car le goût de cette chaussure ne leur serait pas venu, si leur tunique eût été talaire. La légende de saint Oyan nous dépeint le supérieur des moines de Saint-Claude, drapé dans un pallium blanc que décoraient des claves de pourpre*.
 
Les moines à la façon égyptienne, comme étaient ceux de Massilia (Marseille), s'habillaient du colobe (dont il a déjà été question) et d'une cape en peau de chèvre qui leur pendait à gauche. Leur tête était plus couverte que leur corps. Ils commençaient par mettre dessus un béguin retombant sur la nuque, dont la forme était celle de la coiffure que l'on voit aux statues de sphinx. Ils couvraient cela d'une anabole tissée de laine et de, fil, dont les bouts, pendant des deux côtés, avaient assez de longueur pour être passés sous les aisselles et noués ensuite sur les épaules. Il ne fallait pas moins pour contenir l'ampleur du colobe et faciliter les mouvements des bras à ces religieux qui étaient tous ouvriers. Enfin un voile carré, posé sur le, tout, descendait jusqu'au milieu du dos et sur la poitrine.
 

Quant à la tonsure, c'était une coutume ecclésiastique en vigueur depuis le concile d'Agde (506) jusqu'en 1972 (réforme des ordres mineurs, Ministeria quaedam de Paul VI) : dès qu'un clerc recevait le 1er degré des ordres (l'acolytat ), on lui coupait les cheveux d'une façon spéciale pour le distinguer des autres membres du corps chrétien. Formes de tonsure : romaine, en cercle sur le sommet du crâne (plus la dignité était élevée, plus la surface tondue était large : l'évêque de Rome portait donc la " couronne de St Pierre " qui lui laissait juste une mince frange de cheveux) ; irlandaise, bande de quelques centimètres dégarnie au-dessus du front ; de Saint-Paul, crâne rasé par-devant jusqu'au sommet.

Au sujet des religieuses, nous ne possédons pas d'autres renseignements que les recommandations contenues dans les règles de saint Césaire d'Arles et de saint Donat de Besançon.
Saint Césaire, au commencement du VIe siècle, avait défendu l'usage des vêtements noirs ou de toute autre couleur prononcée. On devait s'accommoder des teintes laiteuses, et s'abstenir de toute décoration en tissu de pourpre ou en peau de loutre. Saint Donat, postérieur de cent cinquante ans, copia ces dispositions en ajoutant que les filles de son observance ne se livreraient à aucun travail de brochage ni de broderie, et que leurs coiffures ne dépasseraient, pas en hauteur une certaine marque qu'il fit à l'encre sur l'une des murailles du monastère."
Extrait de Quicherat, op. cit.
 
 
Au VIIe siècle, le moine avait adopté parfois un vêtement supplémentaire à sa tenue, et son usage était très répandu : c'était la chape (ou chappe, cappa), probablement dérivée de la caracalle (caracalla, du nom de l'empereur romain), tunique fendue par-devant qui avait l'air d'une redingote sans boutons ni collets. On la portait en plus de la tunique prescrite par saint Benoît, enfilée par-dessus elle.
 

* Il faut préciser que le luxe relatif de l'habit n'est pas en contradiction avec ce qui a été dit plus haut. En effet, il est question de l'abbé, chef du monastère, qui possédait de plus riches habits que ses moines en général, mais surtout, il peut s'agir d'un vêtement porté spécialement pour une grande occasion liturgique.

 

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